La Charité dans la Vérité : la question du divorce et du remariage.
L'Évangile de ce dimanche donne la réponse de Jésus à la question du divorce et du remariage, thème sur lequel les sacristains se sont abondamment exprimés, provoquant moult commentaires. J'ai moi-même commenté abondamment ce passage dans l'Évangile de Matthieu, mais l'Évangile de Marc, qui nous est proposé ce dimanche, m'inspire quelques réflexions complémentaires...
Les Pharisiens demandent à Jésus s'il est permis de renvoyer sa femme, et, à sa demande, citent la loi de Moïse pour justifier leur position. Je crois que, connaissant le fin-mot de l'histoire, on fait facilement un mauvais procès aux pharisiens en leur prêtant à tous des intentions mauvaises1 dans cette question : parmi les auditeurs - et, je veux le croire, parmi les pharisiens - devaient se trouver des personnes réellement intéressées par la réponse à cette question. Prenons donc au sérieux la réponse du Christ, qui n'est pas que rhétorique !
Sur la licéité du divorce
Revenons d'abord sur le « C'est en raison de votre endurcissement qu'il a formulé cette loi. Mais, au commencement de la création » : deux faits émergent.
D'abord, le divorce s'oppose à notre vocation profonde d'hommes et de femmes : nous sommes appelés à nous donner totalement, ce qui implique de se donner dans la durée, "pour le meilleur et pour le pire". Certes, je connais peu de couples qui, le jour de leur mariage, avaient en tête le pire : pourtant c'est l'amour trouvé 'dans le meilleur' qui se manifeste alors, et manifeste dans le "pire" la beauté et la dignité profonde de l'autre.
Ensuite, il fut un temps où il a été permis par Moïse, au nom de Dieu, en raison de notre endurcissement : la prescription de l'interdiction du divorce n'est pas une loi extérieure qui vous nous frapper, nous condamner. La voir ainsi serait faire preuve de juridisme2. Certains partiront de cette idée pour demander à l'Église de 'passer l'éponge' sur le divorce, par compassion, puisqu'il semble bien que Dieu le fait, lui3. C'est l'exact inverse qui est vrai : Dieu veut notre bien. L'Ecriture l'affirme en disant que Dieu est jaloux. Saint Paul explique4 que cette jalousie, c'est le fait que Dieu ne veut pas laisser une seule parcelle de notre être au péché : il veut nous sauver tout entiers. Là se trouve la seule vraie compassion, la charité dans la vérité. Voilà la compassion du Dieu qui ne dit pas aux hommes "Qu'avez-vous fait ?" mais "Où étiez-vous ?"5.
Qu'en est-il alors ? En fait, Dieu agit avec nous en Père aimant, avec pédagogie. Tant que le Christ n'était pas venu, il nous était difficile, justement par notre endurcissement, d'imaginer un amour totalement pur, dépourvu de péché, l'Amour-Don. Jésus a lui-même incarné cet Amour, qu'est le Père. Jésus nous montre le chemin6, nous appelle à le suivre et nous fournit les vivres pour la route.
Sur le remariage
Le discours sur le remariage est clair et c'est simplement une conséquence de l'indissolubilité proclamée aux pharisiens. Pourtant, un détail frappe : ce n'est pas aux Pharisiens que Jésus parle du remariage comme d'un adultère, mais aux disciples. Quelle en est la raison ? Je crois que c'est parce que les pharisiens sont trop légalistes : preuve en est qu'ils invoqueront à nouveau la loi de Moïse pour mettre la femme adultère à mort. Les disciples, qui connaissent le Christ, eux, sont conscients que ce qui est en jeu est le salut de la personne : son appel profond à vivre dans l'amour.
Notons également qu'il n'est pas dit "si un homme renvoie sa femme puis en épouse une autre", mais "si un homme renvoie sa femme pour en épouser une autre". Dans cette distinction se situe l'intention de l'action : Dieu regarde nos coeurs. Et, dans tous les cas, souffre avec nous de ce que nous n'ayons pas su trouver le chemin de la fidélité.
Du légalisme
Sans doute sommes-nous parfois trop comme les pharisiens : au lieu de rejeter le remariage, comme blessure faite au couple, nous rejetons les divorcés-remariés. En effet, nous raisonnons en termes sociaux plutôt qu'en termes humains : nous pensons le divorce et le remariage comme une plaie, qui pourrait nous contaminer.... ce raisonnement repose sur nos propres tentations d'infidélités que, pour les rejeter, nous faisons porter aux divorcés-remariés. L'«avantage», c'est que nous pouvons nous placer dans le camp des bons, puisque nous n'avons pas divorcé, nous. En réalité, nous faisons porter à nos frères le poids de notre péché.
D'où nous vient que nous ne sommes pas capables d'exposer la vérité dans la charité ? Peut-être du fait d'une conception fausse de la vérité. Habitués de la philosophie grecque, nous considérons la vérité comme un concept, un absolu qui s'impose aux personnes. Or, la vérité n'est pas un concept, mais une Personne : le Christ !
Il est symptomatique que dans l'Evangile, ce passage soit suivi dans Marc directement par celui-ci, également lu demain :
On présentait à Jésus des enfants pour les lui faire toucher ; mais les disciples les écartèrent vivement. Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi. Ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n'accueille pas le royaume de Dieu à la manière d'un enfant n'y entrera pas. » Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.
Nous, chrétiens, avons trop tendance à être comme les disciples, à empêcher les petits, les blessés de toucher le Christ. Malheur à nous ! Cela ne signifie pas que l'Eglise doive tout tolérer. L'Eglise est humaine mais porte également une dimension prophétique : dans la vision de la vocation dernière de l'homme, comme le Christ, elle refuse le péché en accueillant le pécheur. L'Eglise, elle, en refusant le remariage, met les remariés face à une réalité, qui est que le signe de l'amour divin - libre total, fidèle, et fécond - que constitue le mariage serait faussé. C'est loin d'être une condamnation et loin d'être une négation de ce nouvel amour de la personne remariée.
Comment alors nous positionner face au divorce et au remariage ? En prenant le rôle qui est le nôtre : celui de disciple, sans vouloir nous substituer au rôle de l'Eglise. Nous devons laisser les enfants, les pauvres et les petits toucher le Christ et se laisser bénir par lui. Nous devons refuser de faire justice nous-mêmes7, en ayant conscience que notre justice contrairement à la justice divine manquera toujours de miséricorde.
Nous devons jouer le rôle de gardiens de nos frères, non pas comme des geôliers, mais comme des anges8 , c'est à dire en intercédant pour eux auprès du Père.
- 1. Ils ont toutefois des raisons: c'est "Pour le mettre à l'épreuve" que la question est posée... et une prise de position sur ce sujet face à Hérode a coûté sa tête à Jean-Baptiste !
- 2. très bien développé dans cet article de Thomas More (le blog)
- 3. Leur argument théologique serait : Dieu étant éternel, sa loi doit l'être également. Si ça a été autorisé, ça devrait le rester, non ? Non, car les hommes ont changé et nous ne sommes pas au même point de l'histoire du salut. L'événement de l'Incarnation change la donne radicalement
- 4. en 2Co 11
- 5. cf. Gn 3
- 6. C'est comme s'il nous disait : "Tu ne crois pas dans l'Amour de mon Père ? Je vais le rendre tangible, je vais l'incarner pour que vous puissiez Le goûter et Le voir. Vous ne croyez pas que Dieu veut vous donner la vie ? Je vais donner ma vie, mon corps et mon sang, pour vous afin que mon sang vous vivifie. Vous pensiez que Dieu est un esclavagiste ou un tyran, qu'il vous fouetterait si vous lui en donniez l'occasion ? Je vais prendre pour vous la forme de l'esclave et je vous laisserai me flageller et me clouer sur un arbre ; pour vous montrer que mon Père n'a aucun désir de domination sur vous, je vais vous laisser me dominer. Je ne suis pas venu vous condamner, mais vous sauver ; je ne veux pas vous réduire en esclavage mais faire de vous des hommes libres. Ne soyez pas incroyants : croyez et recevez le don de la vie que je vous offre."
- 7. Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés
- 8. N'en déplaise à Authueil