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Le silence des bergers

Le silence des bergers

Déjà 3 ans ont passé depuis le remise du rapport de la CIASE et la prise de conscience, pour beaucoup, de l'ampleur des abus et de l'existence de pratiques, idées, tabous qui font système et créent un environnement favorable, au mieux à la reproduction en série des abus, par l'impunité des agresseurs, et au pire à l'émergence de ces abus. Trois ans ont passé et toujours cette question : en tant que catholique de base, mari, parent, que puis-je faire au-delà des mesures de protection des mineurs lors d'activités concernant l'enfance (camps scouts, sessions de jeunes) ?

Un livre sorti récemment, Le silence de l'Agneau, propose au plan théologique et pastoral une réponse originale, détonante (et souvent polémique), mais pleine d'espérance. 

L'auteur, Matthieu Poupart, n'est pas théologien et ne prétend pas l'être, mais, fidèle catholique, il a pris au sérieux la recommandation de la CIASE, de "passer au crible" le langage pastoral de l'Eglise (notamment son catéchisme et les interventions concernant la sexualité), pour déteminer ce qui, dans celui, peut compléter un terreau favorable aux violences sexuelles. Guide-conférencier, il met à notre service son savoir-faire de vulgarisateur pour présenter un point de vue soutenu par une synthèse de travaux de théologiens.

Le silence des pasteurs, tombeau de la parole de l'agneau

En trois parties, l'essayiste analyse d'abord le discours d'ouvrages et de conférences ayant eu un certain succès (dont celle de l'abbé Grosjean dont j'avais écrit ici une recension critique), avant de s'intéresser particulièrement à l'évolution du magistère sur la question du viol et sa place dans l'édifice de la théologie morale, et enfin d'analyser le silence du magistère, en particulier de la théologie du corps de Jean-Paul II, sur ces questions. 

A chaque fois, l'auteur mêle avec une grand intelligence analyse critique, parole de victime, approche historique et exégèse biblique, montrant efficacement comment l'état de pauvreté du magistère et de la pastorale actuels résulte souvent de l'oubli progressif, ou de la reprise lacunaire, de ressources bibliques et des Pères de l'Eglise, et comment un travail exégétique et patristique peut nous donner les moyens d'enrichir cette pastorale pour que la compréhension par les fidèles catholique progresse, de sorte qu'un abus ne puisse rester muré dans le silence.

Matthieu Poupart convoque ainsi tour à tour Exode 22 (Juda et Tamar), Saint-Augustin face au suicide de Lucrèce, le second livre de Samuel (le fils du Roi David et une autre Tamar) et d'autres textes fondaeturs, analysés de façon très pédagogique. 

Le ton est parfois polémique (on sent à la fois dans l'écriture l'amour de l'Eglise et la colère face au mal qui la contamine) et, si à un moment nous prend l'envie de crier à l'auteur « mais quand il dit ça, X n'est pas en train de parler de violences sexuelles, il est en train de proposer un chemin à des personnes bien disposées, souhaitant progresser dans la vertu et la sainteté !!! pourquoi parlerait-il d'abus à ce moment-là? », on finit par se laisser convaincre que, justement, ce silence fait tout de même partie du problème.

On peut trouver hors de propos le reproche fait à la morale catholique d'avoir une vocation médicinale et non pénale. Mais quand l'Eglise qui la propose (à juste titre) en a fait le coeur de son propre système pénal et refusé à la justice civile d'intervenir pour rendre justice au cri des innocents, ce jugement ne tient plus.

J'ai souvent avancé ici que l'enseignement de Jean-Paul II (les catéchèses du mercredi mais aussi Amour et Responsabilité) m'avait converti justement par son réalisme, au sens où intégrant des apports de psychologie moderne, il dit de façon concrète ce qui peut se vivre dans le coeur du fidèle qui cherche sincèrement à vivre l'amour humain. Mais force est de constater qu'au-delà de ce qui se passe dans le coeur de l'homme de bonne volonté, notre expérience humaine est aussi faite du mal subi et qu'ici l'enseigment est incomplet.

Un appel au travail

En 176 pages, Matthieu Poupart ouvre des perspectives majeures et enthousiasmantes (oui !) pour notre Eglise, en ce sens qu'il nous montre que la Tradition et la Parole de Dieu portent déjà en elles les ressources nécessaires pour proposer un enseignement plus complet et plus juste. Il y a juste à travailler, non pour s'affliger des lâchetés passées, mais pour se rapprocher de la Vérité. La crise des violences sexuelles a pour un temps rendu inaudible la parole de nos pasteurs ; peut-être un jour, conclut-il, notre parole renouvelée amènera-t-elle certains à trouver dans la Parole les ressources pour leur propre vie, et cette crise deviendra-t-elle l'occasion d'une évangélisation renouvelée.

Le refus de David de rendre justice à Tamar entraîne la chute de son Royaume. Le silence de nos pasteurs a entrainé la crise actuelle. Dans un cas comme dans l'autre, seul un rapprochement authentique du Christ permet une restauration. Le Christ est le Seul Agneau silencieux, car c'est le seul qui peut librement s'offrir en sacrifice au péché des hommes. Pour les autres brebis de son troupeau, sachons développer un environnement leur permettant d'exprimer le cri de leur souffrance. 

 
 

 

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