Si Roman Polanski portait un col romain...
« Imaginez que les jésuites1 remettent une récompense à un prêtre pédophile qui a fui le pays pour éviter la prison : le cri de rage serait universel ! Les groupes de soutien aux victimes demanderaient le retrait de la récompense et l'organisateur de la cérémonie publierait un communiqué d'excuses. Les journalistes spécialisés dans le fait religieux seraient sur le coup, avec le soutien de leurs éditeurs. Les éditorialistes dénonceraient la congrégation, et en feraient un autre exemple de l'absence de sensibilité de l'Eglise en matière d'abus sexuel.
Et ils auraient raison. Et je les soutiendrais. » Voici les mots du Père Thomas J. Reese, sj dans Newsweek.
Seulement voilà. Roman n'a de romain que le prénom et pas le col, il n'est pas prêtre, mais membre de l'industrie du cinéma qui, loin de le désavouer, en vient à justifier ses actes. Pourquoi n'entend-on pas de cris de rage du côté de la presse spécialisée ? Comment un homme qui a non seulement admis avoir violé une gamine de 13 ans mais a en plus fui le pays pour ne pas effectuer sa peine peut-il être médiatisé sans que cet aspect de sa vie soit jamais évoqué, sinon par complicité ?
Le président de la république et le ministre de la culture n'avaient pas à apporter leur caution à un pédophile pour justifier qu'il n'ait pas été inquiété en France : il suffisait de mentionner sa nationalité et le fait que la France, comme tous les pays, n'extrade pas ses ressortissants. Pourquoi s'engager ainsi ?
Les défenseurs de Polanski avancent le fait que la fille aurait été consentante - ce qui, quand bien même ce serait vrai, n'est pas une circonstance atténuante pour avoir des relations avec une fille de 13 ans, notamment quand on en a 33. Ils précisent qu'elle lui a pardonné - après avoir trouvé un accord au civil, qui n'entraîne pas l'extinction de l'action pénale. Enfin, ils mentionnent une enfance et une vie tragique pour le réalisateur... et en plus cela fait 30 ans, non ? Tous ces arguments mentionnés au procès d'un prêtre pédophile auraient été balayés - avec raison - d'un revers de main, dans le prétoire et hors du prétoire.
Polanski n'est pas un cas isolé. L'industrie du divertissement en a connu d'autres, à commencer par Michael Jackson et Woody Allen2, qui ont aussi été accusés d'abus sexuels. Avec un peu de travail de recherche, les médias pourraient allonger cette liste. L'Eglise a été soumise au feu purificateur de la colère médiatique lorsqu'il a été révélé que 4% de ses prêtres avaient été accusés (à tord souvent, à raison parfois malheureusement) de pédophilie. Que dire de l'industrie du film ?
« Le monde a bien changé, conclut le P. Reese, sj : le divertissement est sa nouvelle religion, fondée sur la trinité que forment l'argent, la violence et la sexualité débridée. Les réalisateurs et les stars sont idolatrés et rapidement pardonnés de tout crime : leurs agent de relations publiques sont aussi efficaces que les saints confesseurs. Le divertissement - et non la religion - est le véritable opium du peuple, et nous ne voulons pas accabler nos dealers. N'y a t-il pas ici une justice à deux vitesses ? »