Clark n'en montre pas assez
L'épisode Clark est terminé. Oubliées les unes d'un grand quotidien de gauche, qui s'offre à peu de frais une conscience révolutionnaire (et des ventes supérieures à la normale) en cédant au réflexe devenu pavlovien de la dénonciation de l'ordre moral. Evaporées les clameurs d'indignation, ou les dénégations officielles d'un Delanoë qu'on ne peut guère taxer de pruderie.
Nous avons maintenant le temps d'y penser. Profitons-en pour signaler chez Le Temps d'Y Penser, justement, un billet de qualité consacré à l'affaire. Mais ils ne sont pas seuls : Jean-Paul II, homme d'art, de théâtre, a choisi de consacrer au sujet de la place du corps dans l'art quatre catéchèses1 du mercredi, que je voudrais synthétiser ici.
La représentation du corps dans l'art pose des questions :
L'oeuvre d'art met en jeu nos sens (c'est la signification du mot "esthétique"2). Toutefois, la représentation du corps a un statut particulier du fait que chacun de nous fait l'expérience de son propre corps : elle met donc en jeu non seulement nos sens, mais aussi notre regard.
Le corps a toujours été objet de culture. Jean-Paul II lui distingue un statut différent selon le type d'art considéré : dans le ballet, ou dans la performance musicale, il est créateur et support de l'oeuvre d'art. La peinture le représente transfiguré. Dans la photo et le film, «le corps humain, n'est pas un modèle pour l'oeuvre d'art mais l'objet d'une reproduction». Cette "reproduction" (souvent à grande échelle) pose la question de l'anonymisation de la personne ainsi capturée.
Art et nudité
Jean Paul II constate ensuite une tension entre cette appropriation du corps de l'autre et la signification biblique du corps humain et de la nudité (à savoir un appel au don de soi qui , pour être vécu, suppose une réciprocité), et rappelle que, vu l'imperfection de notre regard (qui tend naturellement à réduire l'autre à un objet-pour-soi-même), l'intimité est la condition de réalisation de ce don.
La nudité n'est pas mauvaise ; elle est même parfois requise pour le bien de la personne (en médecine par exemple). Mais il faut en même temps constater que les tentatives d'atteinte grave à la dignité des personnes passe souvent par l'exposition de leur nudité.
En suivant sa sensibilité personnelle, l'homme ne veut pas devenir un objet pour les autres à travers sa nudité anonyme et ne veut pas non plus que l'autre devienne pour lui un objet de manière semblable. Il "ne veut pas" évidemment, dans la mesure où il se laisse guider par le sens de la dignité du corps humain.
En disant cela, Jean-Paul II met en garde contre tout excès de pruderie3 mais se risque à fixer une limite : la pornographie commence pour lui «lorsque se trouve violée cette profonde règle du don et du don réciproque qui est inscrite dans cette féminité et dans cette masculinité à travers la structure entière de l'être humain».
Les limites de la "communication sociale"
L'art, par définition, s'expose. Jean-Paul II montre ensuite que vouloir tout montrer revient à faire reposer sur la communication sociale un poids qu'elle ne peut supporter, qu'elle la communication des personnes. Pour faire simple et actuel, disons qu'il est humainement impossible d'avoir la même qualité de relation avec vos 500 contacts Facebook qu'avec votre mari ou votre femme.
S'y essayer revient à tenter de séparer la relation qui unit deux personnes de qui elles sont, à l'anonymiser. Le thème de l'amour homme-femme irrigue notre littérature et il ne s'agit pas, en refusant cet anonymisation, de placer l'amour humain sous une sorte de vernis de sacré qui l'interdirait. De nombreuses oeuvres illustrent la dignité et la beauté de cet amour
La qualité d'une authentique oeuvre d'art
Pour conclure, l'artiste authentique est celui qui, par son oeuvre, met son spectateur face à un choix :
L'activité artistique authentique et responsable tend à dépasser l'anonymat du corps humain comme objet "non choisi", en cherchant à travers l'effort de création une pareille expression artistique de la vérité sur l'homme dans sa corporéité féminine et masculine qui se trouve pour ainsi dire assignée comme tâche au spectateur et, d'une manière plus large, à tout récepteur de l'oeuvre.
C'est de lui, à son tour, qu'il dépend de se décider d'accomplir un effort pour s'approcher de cette vérité ou de ne rester qu'un "consommateur" superficiel des impressions, c'est-à-dire quelqu'un qui profite de la rencontre avec le corps anonyme comme thème au seul niveau de la sensualité qui réagit par elle-même à son objet "sans choix"..
Clark, un faussaire
Le problème de la production artistique de Clark n'est pas qu'elle révèle trop ses sujets ; c'est au contraire qu'en les montrant écrasés par le manque d'épaisseur de sa photo, sans envergure, il n'en révèle pas assez.
Le titre d'une des séries de photos le révèle bien : Adolescent Lust. Le mot lust en anglais ne recouvre pas la notion de désir, mais celle de concupiscence. Il désigne non pas de cette tension créative qu'est le désir de se donner à une personne mais cette tension destructive qu'elle l'envie de posséder l'autre comme un objet.