La dérive des (in)continents
Une loi pour l'euthanasie discutée au parlement malgré un vote à l'unanimité en 2005, une première secrétaire du Parti Socialiste qui se prononce pour le mariage homosexuel : un certain nombre de débats reviennent périodiquement sur le devant de la scène politique, du fait de coups de boutoir portés par quelques associations médiatiques (ADMD et Act-Up en tête) et complaisamment relayés par des politiques qui cherchent à surfer sur la vague, quelle qu'elle soit.
N'y a t-il donc rien de permanent en ce monde ? Aucune vérité valable hier qui ne soit erreur aujourd'hui ? Le "progrès" revendiqué par les modernistes se s'embarrasse pas de savoir où il va mener, tant qu'il continuer à gigoter. Certains politiques, pas dupes et habiles, tentent de faire conserver à ces polémiques périodiques leur caractère d'«onde de surface», essaient de les canaliser dans un mouvement brownien pour qu'à force de gesticulation, on ne s'éloigne pas trop du point de départ. Peu, cependant, ont le courage d'affirmer haut et fort des convictions fermes, bref de montrer un cap, ce qui est le rôle du politique1.
J'accuse le Parti Socialiste (et consorts de gauche), mais la droite porte également une lourde part de responsabilité : cette méthode politique sarkoziste, qui consiste à rebondir en permanence sur l'actualité pour ne pas rentrer dans les débats de fond, fait le jeu de ce progressisme acharné. Aujourd'hui c'est un fait divers, une loi. Or qu'est-ce qu'un fait ? C'est un événement auquel un communicant a donné du sens en le mettant sous les projecteurs. Et les associations diverses et variées sont des professionnels pour ça. Face à leur impopularité -ainsi méritée- les politiques ont l'impression de n'avoir qu'une carte à jouer pour assurer leur survie politique : la rupture. Quitte à retourner la fable, j'affirme qu'à force de rompre, on finit par plier.
Cela ne veut pas dire qu'il faille gouverner en suivant une idéologie, sans considération des faits. Mais si l'on ne se donne pas une grille de lectures, si l'on n'assume pas de voir la réalité à travers des lunettes bien choisies, on se condamne à la myopie, à la courte-vue politique, tout en ayant l'illusion de la liberté de penser. L'absence d'idéal -ou son enfouissement public, comme un objet de honte- est déjà un idéal en soi : celui du nihilisme.
Les États-Unis, fort critiqués, ont pourtant un système parlementaire qui permet d'échapper à ces dérives : ce n'est pas en France qu'on discuterait aujourd'hui d'un sujet aussi majeur que la couverture santé proposée par Barack Obama. Ce dernier a dû batailler ferme -et faire des compromis assumés- pour que sa réforme soit ne-serait-ce qu'inscrite à l'ordre du jour du Sénat américain. Cette force du parlement américain lui permet de prendre le temps de débattre des sujets de fond, assure une véritable autonomie des représentants et sénateurs par rapport à une administration qui ne leur survivra pas, et d'éviter l'inscription à la hâte de sujets pathétiquement inutiles ou au contraire de discuter en une demi-journée de sujets fondamentaux.
En l'absence de cap fixé, la dérive idéologique est irrésistible, comme la dérive des continents... elle pousse, comprime -et on laisse se développer la pression- jusqu'à ce que la tension émotionnelle soit trop forte et que cèdent les parlementaires. On hérite alors d'une loi -souvent mal écrite- qui sert les intérêts d'une minorité bruyante ; on vit dans l'incontinence législative.
- 1. si celui-ci consistait à suivre l'opinion, c'est Ipsos, BVA et le CSA qui gouverneraient, qui a dit « c'est pas déjà le cas ?»