TDC 094 - L'amour de Dieu pour le peuple choisi, signe de l'amour qui unit les époux
1. Nous avons sous les yeux Ep 5,22-33 que, depuis quelque temps, nous soumettons à une analyse en raison de son importance pour le problème du mariage et du sacrement. Dans son ensemble, à commencer par le premier chapitre, l'épître traite surtout du mystère caché en Dieu depuis des siècles, comme don éternellement destiné à l'homme. "Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ. C'est ainsi qu'il nous a élus en Lui, dès avant la création du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l'amour, déterminant d'avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus-Christ. Tel fut le plaisir de sa volonté à la louange de gloire dans sa grâce dont il nous a gratifiés dans le Bien-aimé" Ep 1,3-6.
2. Jusqu'ici on a parlé du mystère caché en Dieu "depuis des siècles" Ep 3,9. Les phases successives introduisent le lecteur dans la phase de réalisation de ce mystère dans l'histoire de l'homme: le don qui depuis des siècles lui est destiné dans le Christ devient partie réelle de l'homme dans le Christ lui-même: "... dans lequel nous trouvons la Rédemption par son sang, la rémission des péchés selon la richesse de sa grâce, qu'il nous a prodiguée en toute sagesse et intelligence: il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, ce dessein bienveillant qu'il avait formé en lui par avance, pour le réaliser quand les temps seraient accomplis: ramener toutes choses sous un seul chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres" Ep 1,7-10.
3. Le mystère éternel est passé ainsi de l'état de caché en Dieu à la phase de réalisation et d'actualisation. Le Christ dans lequel l'humanité a été depuis des siècles élue et bénie par toutes sortes de bénédictions spirituelles du Père - le Christ qui, selon le dessein éternel de Dieu, était destiné à ce que toutes choses soient ramenées sous Lui comme sous un seul chef, les êtres célestes comme les terrestres, dans la perspective eschatologique - le Christ donc, révèle l'éternel mystère et le réalise parmi les hommes. C'est pourquoi l'auteur de l'épître aux Ephésiens exhorte, dans la suite de son texte même, ceux qui ont reçu cette révélation et tous ceux qui l'ont accueillie avec foi, à conduire leur vie d'après l'esprit de la vérité connue. Il y exhorte tout particulièrement les époux chrétiens, maris et femmes.
4. Dans la plus grande partie du contexte, l'épître devient instruction, c'est-à-dire parénèse. Il semble que l'auteur parle surtout des aspects moraux de la vocation des chrétiens, en se référant sans cesse au mystère qui opère déjà en eux, en vertu de la Rédemption du Christ - et opère efficacement surtout en vertu du baptême. Il écrit en effet: "C'est en lui que vous aussi, après avoir entendu la Parole de vérité, la Bonne Nouvelle de votre salut, et y avoir cru, vous avez été marqués d'un sceau par l'Esprit-Saint qui avait été promis " Ep 1,13. Et ainsi donc, les aspects moraux de la vocation chrétienne restent liés non seulement à la révélation de l'éternel mystère divin dans le Christ, et à son acceptation dans la foi, mais aussi à l'ordre sacramentel qui, même s'il n'est jamais mis au premier plan dans l'épître, semble toutefois y être bien présent. Du reste il ne saurait en être autrement pour la raison que l'Apôtre écrivait à des chrétiens qui, grâce au baptême, étaient devenus membres de la communauté ecclésiale. De ce point de vue, Ep 5,22-33 que nous avons analysé jusqu'à présent semble avoir une importance particulière. Il jette en effet une lumière spéciale sur le rapport essentiel du mystère avec le sacrement et spécialement sur la sacramentalité du mariage.
5. Au centre du mystère, il y a le Christ. En Lui - précisément en Lui - l'humanité a été bénie par toutes sortes de bénédictions spirituelles. En Lui, l'humanité a été élue dès avant la création du monde, élue dans l'amour, et destinée à devenir fils adoptifs. Quand, par la suite, avec l'accomplissement des temps, ce mystère éternel s'est réalisé dans le temps, ce fut également en Lui et par Lui. C'est par le Christ qu'a été révélé le mystère de l'amour divin. C'est par Lui et en Lui qu'est advenu son accomplissement: "En Lui nous avons la Rédemption par son sang, la rémission des péchés ..." Ep 1,7. Et ainsi les hommes qui, moyennant la foi, acceptent le don qui leur est offert dans le Christ, ont réellement part au mystère éternel, même s'il opère en eux sous le voile de la foi. Cette attribution surnaturelle des fruits de la Rédemption accomplie dans le Christ acquiert, suivant Ep 5,22-33, le caractère d'un don de soi conjugal du Christ lui-même à l'Eglise, à la ressemblance du rapport conjugal entre le mari et la femme. Donc ce ne sont pas seulement les fruits de la Rédemption qui sont un don: le don, c'est surtout le Christ: Il s'est donné à l'Eglise comme à son Epouse.
6. Nous devons nous demander si en ce point cette analogie ne nous permet pas de pénétrer plus profondément et avec plus de précision dans le contenu essentiel du mystère. Il importe d'autant plus de se le demander que ce passage classique de Ep 5,22-33 n'apparaît ni abstraitement ni isolément mais constitue une continuité; en un certain sens, il s'agit d'une suite des énoncés de l'Ancien Testament qui présentaient suivant la même analogie l'amour de Dieu - Yahvé pour le peuple-Israël qu'il avait élu. Il s'agit en premier lieu des textes des prophètes qui ont introduit dans leurs discours lu comparaison de l'amour conjugal pour caractériser de manière particulière l'amour que Yahvé nourrissait pour le peuple-Israël, l'amour qui ne trouva ni compréhension ni réponse mais au contraire infidélité et trahison. L'expression de cette infidélité, de cette trahison fut surtout l'idolâtrie, le culte rendu aux dieux étrangers.
7. A vrai dire, il s'agissait dans la plupart des cas de relever de manière dramatique cette trahison et cette infidélité appelées adultère d'Israël; toutefois, à la base de tous ces énoncés des prophètes, il y a la conviction explicite que l'amour de Yahvé pour le peuple élu peut et doit être comparé à l'amour qui unit l'époux à l'épouse, l'amour qui doit unir les conjoints. Ici il conviendrait de citer de nombreux passages des textes d'Isaïe, d'Osée, d'Ezéchiel (nous en avons déjà rappelé quelques-uns précédemment, lorsque nous avons analysé le concept d'adultère avec, comme toile de fond, le Sermon du Christ sur la montagne). On ne saurait oublier qu'au patrimoine de l'Ancien Testament appartient aussi le Cantique des Cantiques où l'image de l'amour conjugal a été tracée - il est vrai - sans l'analogie typique des textes des prophètes qui présentaient dans cet amour l'image de l'amour de Yahvé pour Israël, mais également sans cet élément négatif qui constitue dans le autres textes le motif d'adultères ou d'infidélité. Ainsi donc l'analogie de l'époux et de l'épouse qui a permis à l'auteur de l'épître aux Ephésiens de définir le rapport qui unit le Christ avec l'Eglise, possède une riche tradition dans les livres de l'Ancienne Alliance. Analysant cette analogie dans le texte classique de l'épître aux Ephésiens, nous ne pouvions manquer de nous référer à cette tradition.
8. Pour illustrer cette tradition nous nous limiterons pour le moment à citer un passage du texte d'Isaïe. Le prophète dit: "Ne crains rien, car tu n'auras plus à rougir; ne soit pas confuse, car tu ne seras plus déshonorée; au contraire tu oublieras la honte de ta jeunesse et tu ne te souviendras plus de l'opprobre de ton veuvage. Car ton époux est ton créateur; Seigneur des armées est son nom; ton rédempteur est le Saint d'Israël qui s'appelle le Dieu de toute la terre. Telle une femme abandonnée dont l'esprit est affligé, le Seigneur t'a rappelée. "La femme épousée dans la jeunesse, pourrait-elle être répudiée?" a dit ton Dieu. Je t'avais abandonnée pendant un court instant, mais je te reprendrai avec immense amour (...). Mon affection ne s'écartera jamais de toi et mon alliance de paix ne faillira jamais, a dit le Seigneur qui a pitié de toi" Is 54,4-7 Is 54,10
- 15 septembre 1982