Faut pas charier
Hena est une toute jeune femme, à peine 14 ans. Elle grandit au Bengladesh. Elle connaît bien son cousin Mahbub, 40 ans, voisin et ami de la famille. Mais depuis quelques jours, Mahbub la regarde bizarrement et lui fait des avances, qu'elle refuse. Ce 30 janvier au soir, il se saisit d'elle et entreprend de la violer. Hena n'a peut-être jamais entendu parler de sexualité, mais elle pressent que ce silence protège quelque chose qui n'appartient qu'à elle, et à celui à qui elle choisira de se donner. Elle n'a pas choisi Mahbub. Hena se débat, elle crie, en espérant que quelqu'un vienne à son secours.
Mais c'est la femme de Mahbub qui arrive en premier, et son frère. Ils commencent à la frapper. Hena n'y comprend rien, mais heureusement son père arrive, et la protège. Mais le conseil du village s'est réuni dans la maison de Mahbub. Pour eux, c'est clair : si Mahbub s'est introduit chez elle, c'est qu'elle l'avait séduit. Au nom de la charî'a, ils l'ont condamnée, à 100 coups de fouet. Mercredi, Hena est morte, à 14 ans.
Je n'ai que rarement évoqué ici cette question sensible du viol, sans doute par crainte de le faire de manière impersonnelle, et de réveiller chez certains des douleurs oubliées. Je ne l'ai fait qu'une fois, à propos des prêtres pédophiles en Irlande.
Mais ces cas lointains pourraient nous faire perdre de vue que ce mal nous touche aussi. Certes, en France, les victimes ne sont pas battues à mort ; mais souvent elles sont réduites au silence, quand elles auraient besoin, au contraire, d'être écoutées, accueillies comme des personnes avec leur dignité, elles qu'on a traitées comme des objets.
Cela va du flic malhabile qui en prenant sa plainte pense, parfois inconsciemment, «elle l'a bien cherché», à la pression sociale1 visant à maintenir une unité de façade. Chez nous, pas de chari'a, mais faut pas charier non plus.
Tentation également, de faire de Mahbub un monstre, pour mieux s'en distinguer. Mais l'honnêteté fera reconnaître à chacun qu'il est toujours tenté de faire passer son désir immédiat, avant la liberté ou le désir de l'autre. Hena n'a pas tombée entre les mains d'un monstre, elle a été deux fois victime du mal ordinaire, de cet égoïsme qui habite chacun.
Le combat contre le mal n'est pas une grande lutte cosmique à laquelle nous ne pouvons rien. C'est une guerre de tranchées, entre nous et nous-mêmes. Dieu, nous dit Jean-Paul II2, «assigne comme tâche à tout homme la dignité de toute femme»3.
- 1. qu'elle vienne de la famille, d'un groupe d'amis, ou d'une personne d'autorité, manager ou supérieur de communauté
- 2. cf. TDC 101, 6
- 3. et vice-versa