L'analogie du Mariage
Dieu vous nous "épouser"
La Bible utilise nombre de métaphores pour décrire la relation de Dieu avec l'humanité : le Père et ses enfants, le maître et ses serviteurs, le berger et son troupeau, la vigneron et la vigne, etc. L'une d'entre elle trouve toutefois une résonnance particulière : celle de la relation amoureuse, du Fiancé et de la Fiancée, celle de l'Époux et de l'Épouse.
Les Écritures tout entières racontent en effet l'histoire d'un mariage : elle s’ouvre sur la création de l’homme et de la femme et sur leur appel à être 'une chair'. Dans l'Ancien Testament, les prophètes parlent de l'amour de Dieu comme celui du mari pour sa femme. Le Cantique des Cantiques, poème érotique situé exactement au milieu de la Bible, a donné à de nombreux mystiques les mots pour décrire leur relation au Christ. Le Christ incarne réellement dans les Évangiles l'amour divin, devenant 'une chair' avec l'humanité et donnant son corps. Enfin, la Bible s’achève sur la vision des " noces de l’Agneau " (Ap 19, 7. 9).
Observons que les premiers mots prononcés dans la bible sont ceux d'Adam s'émerveillant à la vue de sa fiancée nue : "Cette fois-ci, la voilà !" (Gn 2,23). Les derniers mots sont ceux de la Fiancée désirant le don de son Fiancé : "L'Esprit et l'Épouse disent : « Viens ! » [...] Viens Seigneur Jésus !" (Ap 22,17-20).
En respectant notre liberté, le Fiancé céleste s'offre et attend notre fiat1, notre "oui" libre à son invitation. Ce don de soi n'est pas une spéculation conceptuelle, elle est juste ici, inscrite dans nos corps !2
Où le mariage avec le Christ sera t-il consommé ? Dans le Royaume des Cieux, mais il est déjà accessible aujourd'hui, sacramentellement, dans l'Eucharistie. Jean-Paul II développe :
Nous nous trouvons au centre même du mystère pascal qui révèle pleinement l'amour sponsal de Dieu. Le Christ est l'Epoux parce qu'«il s'est livré lui-même» [...] C'est ainsi qu'il «aima jusqu'à la fin» (Jn 13, 1). L'Eucharistie est le sacrement [...] de l'Epoux, de l'Epouse. [...] Tout cela est dit dans la Lettre aux Ephésiens. Dans le «grand mystère» du Christ et de l'Eglise se trouve introduite l'éternelle «unité des deux» constituée dès le «commencement» entre l'homme et la femme. [...] le Christ, en instituant l'Eucharistie [...] voulait de cette façon exprimer la relation entre l'homme et la femme, entre ce qui est «féminin» et ce qui est «masculin», voulue par Dieu tant dans le mystère de la Création que dans celui de la Rédemption.
Méditons un instant sur cette réflexion : selon Jean-Paul II, l'Ecuharistie nous révèle le sens profond de notre sexualité. Dans l'Eucharistie, le Christ se révèle aux hommes et faire résonner clairement son appel ; réciproquement, une fois nos distorsions dues au péché enlevées, c'est dans la sexualité que nous découvrons et que nous est signifié le sens de l'Eucharistie.
Le lien se trouve dans cette parole du Christ, que chacun, mais plus encore les couples, est appelé à méditer et vivre : "ceci est mon corps, livré/donné pour vous/toi".
Cette 'analogie sponsale' n'est pas une coïncidence. Lorsque Dieu établit une alliance avec les hommes, l'union des époux en est un signe privilégié, que ce soit avec Adam3, Noé4, Abraham5, Jacob6 ou Moïse7
Cette alliance est alors signifiée dans la chair par la circoncision :
Vous vous circoncirez; et ce sera un signe d'alliance entre moi et vous.On devra circoncire celui qui est né dans la maison et celui qui est acquis à prix d'argent; et mon alliance sera dans votre chair une alliance perpétuelle.
Comment une telle marque physique peut-elle être signe de l'amour d'alliance de Dieu ? Les experts en histoire juives auront sans doute des explications variées (suivant les tribus etc.) mais considérons quelques faits simples : qui serait témoin le plus souvent de ce signe et dans quelle circonstance ? A chaque fois que des descendants d'Abraham vivent dans l'union sexuelle la réalité du don de leur personne dans le mariage, la circoncision leur rappelle la promesse divine d'un amour fécond.
L'Eglise voit dans ce signe de l'ancienne alliance la préfiguration de la nouvelle alliance (ie. du don total, sincère, fidèle et fécond du corps du Christ)8. Dans le Christ mis à nu et son corps donné pour nous, l'alliance promise à Abraham est accomplie ; la fécondité promise par le signe de la circoncision est accomplie dans le sacrifice eucharistique : "Femme, voici ton fils" (Jn 19,26).
Entrer dans une bonne compréhension de l'analogie sponsale
Angelo Cardinal Scola9 nous met en garde contre deux dangers qui nous guettent face à une telle analogie :
- Une interprétation maximaliste déforme notre vision de Dieu en l'identifiant à l'homme (anthropomorphisme), voire en lui attribuant une sexualité. Cette interprétation (qui nous conduit droit à l'hérésie) conduit à considérer que les catégories liées à la nuptialité sont les seules à éclairer le mystère de Dieu.
Le mystère de Dieu est transcendant et ne se limite pas à cette analogie : la Trinité n'est d'ailleurs pas décrite comme Père-Mère-Fils mais comme Père-Fils-Esprit. - Une interprétation minimaliste, souvent motivée par un refus du corps, conduit à ramener cette analogie au niveau de la parabole, en l'assimilant par exemple au niveau de l'image du berger et de ses brebis. L'analogie est imparfaite - comme toute analogie - mais Jean-Paul II affirme10 que c'est la moins imparfaite.
Comprendre la valeur propre à cette analogie sponsale
La valeur particulière de cette analogie est liée au fait qu'elle seule souligne le fait que Dieu veut faire don total de Lui-même11. Jean-Paul II veut clarifier ce point en le disant littéralement12 :
C'est ce qu'est le corps : un témoin du don fondamental qu'est la création, et ainsi un témoin de l'Amour qui en est à l'origine. La masculinité et la féminité, c'est à dire la sexualité, est le signe originel de don créatif [de Dieu]. C'est dans ce sens que la sexualité entre dans la Théologie du Corps.
Cette analogie présente trois grandes dimensions : tout d'abord, la complémentarité dans la différence sexuelle et l'altérité, qui - seconde dimension - nous appelle à la communion par le don de nous-mêmes, communion qui - et c'est la troisième dimension - est source de fécondité.
Ces trois dimensions - complémentarité, don mutuel de soi, fécondité - se trouvent dans tout amour. "Toute forme d'amour sera toujours marquée de cette caractéristique masculine ou féminine"13
On peut être tenté de croire que, si Saint-Paul dit que ce mystère est en lien avec le Christ et l'Eglise14, seule l'institution serait concernée : Jean-Paul II corrige, en nous rappelant que l'Église n'est corps du Christ que par la communion de chaque homme et chaque femme avec le Christ. Ainsi nous sommes chacun concernés par cette analogie : notre sexualité a vocation à être signe de l'amour de Dieu :
On ne peut donc comprendre l'Eglise comme Corps mystique du Christ, comme signe de l'Alliance de l'homme avec Dieu dans le Christ, comme sacrement universel du salut, sans se référer au « grand mystère », en rapport avec la création de l'homme, homme et femme, et avec la vocation des deux à l'amour conjugal, à la paternité et à la maternité. Le « grand mystère », qui est l'Eglise et l'humanité dans le Christ, n'existe pas sans le « grand mystère » qui s'exprime dans le fait d'être « une seule chair » (cf. Gn 2, 24 ; Ep 5, 31-32), c'est-à- dire dans la réalité du mariage et de la famille.
L'influence de Saint Jean de la Croix
Le carmélite espagnol, nommé Docteur de l'Église lorsque Karol Wojtila avait 6 ans, croyait que le christianisme était par nature une "demande en mariage spirituel" de Dieu. Ce mariage implique, selon Saint Jean de la Croix15 :
une transformation totale dans le Bien-aimé : les deux parties s'y livrent l'une à l'autre en totale possession l'une de l'autre, avec une certaine consommation de l'union d'amour, qui fait l'âme divine et Dieu par participation.. Cet état est le plus haut qu'on puisse atteindre en cette vie. [Comme dans la consommation charnelle où les deux ne font plus qu'un,] une fois le mariage spirituel consommé entre Dieu et l'âme, il y a deux natures fondues dans un même esprit et un même amour...
Le saint continue en affirmant qu'ultimement, le plan de Dieu est que chacun puisse dire à la suite du Christ "tout ce qui est à moi est à toi et tout ce qui est à toi est à moi". Ici se joue le lien entre l'image des Époux et l'image du Père et du Fils.
Cette participation à l'échange intime de la Trinité n'est pas un concept théologique, mais une réalité à vivre. Et nul besoin d'être théologien pour cela, nous dit Jean-Paul II16 :
Cette connaissance intime et 'savoureuse' que nous appelons experience de Dieu [...] va beaucoup plus loin que la réflexion théologique ou philosophique. Et beaucoup d'âmes simples et modestes la reçoivent de Dieu par l'action de l'Esprit.
Heureux les simples d'esprit ! Ils peuvent vivre cette réalité du don de l'amour sans s'encombrer de théologie, et être touchés directement dans leur coeur. Le Catéchisme le dit17:
Le cœur est la demeure où je suis, où j’habite (selon l’expression sémitique ou biblique : où je " descends "). Il est notre centre caché, insaisissable par notre raison et par autrui ; seul l’Esprit de Dieu peut le sonder et le connaître.
L'étude de la Théologie du Corps n'est pas une question de connaissances, mais d'expérience. Il ne s'agit pas de nous in-former mais de nous trans-former. Cette découverte se fait à genoux, dans la prière et l'abandon : il ne s'agit pas d'une expérience réservée à une élite, mais du développement normal d'une vie surnaturelle de foi et d'amour. Citons encore Jean-Paul II 18:
Le fait que l'on enregistre aujourd'hui, dans le monde, malgré les vastes processus de sécularisation, une exigence diffuse de spiritualité, qui s'exprime justement en grande partie dans un besoin renouvelé de prière, n'est-il pas un « signe des temps »? [...]
La grande tradition mystique de l'Église, en Orient comme en Occident, [...] montre comment la prière peut progresser, comme un véritable dialogue d'amour, au point de rendre la personne humaine totalement possédée par le Bien-Aimé divin, vibrant au contact de l'Esprit, filialement abandonnée dans le cœur du Père. On fait alors l'expérience vivante de la promesse du Christ: « Celui qui m'aime sera aimé de mon Père; moi aussi je l'aimerai, et je me manifesterai à lui » (Jn 14,21).
Il s'agit d'un chemin totalement soutenu par la grâce, qui requiert toutefois un fort engagement spirituel et qui connaît aussi de douloureuses purifications (la « nuit obscure »), mais qui conduit, sous diverses formes possibles, à la joie indicible vécue par les mystiques comme « union sponsale ». Comment oublier ici, parmi tant de témoignages lumineux, la doctrine de saint Jean de la Croix et de sainte Thérèse d'Avila?
- 1. Réponse de Marie à l'ange : "qu'il me soit fait selon ta parole".
- 2. Rappel : Ep 5,32: A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme et tous les deux ne feront plus qu'un. Ce mystère est grand ; je le dis en pensant au Christ et à l'Eglise.
- 3. Gn 1,28 : Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous »
- 4. Gn 9,1: Dieu bénit Noé et ses fils. Il dit : « Soyez féconds, multipliez-vous »
- 5. Gn 17,5-6 : je fais de toi le père d'un grand nombre de peuples. Je te ferai porter des fruits à l'infini, de toi je ferai des peuples
- 6. Gn 35,11 : Dieu lui dit: Je suis le Dieu tout puissant. Sois fécond, et multiplie: une nation et une multitude de nations naîtront de toi
- 7. Lv 26,9 : Je me tournerai vers vous, je vous rendrai féconds et je vous multiplierai, et je maintiendrai mon alliance avec vous.
- 8. cf. CEC 1150
- 9. dans son ouvrage The Nuptial Mystery
- 10. dans l'homélie de la fête de la Sainte Famille, 1988
- 11. TDC 96,4
- 12. TDC 14,4
- 13. Conseil Pontifical pour la Famille, Vérité et signfication de la sexualité humaine.
- 14. rappel: Ep 5,31-32
- 15. Saint Jean de la Croix, Commentaire de la strophe 22 du Cantique Spirituel
- 16. Maître dans la Foi, lettre apostolique adressée au supérieur général de l'ordre des carmes déchaux à l'occasion du 400e anniversaire de la mort de Jean de la Croix
- 17. CEC 2563
- 18. in Novo Millenio Ineunte, lettre apostolique pour la fin du jubilé de l'an 2000