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Le jour d'après

Le jour d'après

Publié par Incarnare le mardi 11/09/2012 - 22:31 - Blog

Ce lundi, Christiane Taubira concrétisait, dans les colonnes de La Croix, la volonté du gouvernement de faire droit aux revendications de certaines personnes homosexuelles au mariage civil. Cette annonce ouvre un débat majeur pour notre pays, débat dont on est – comme citoyens – en droit d’espérer qu’il sera :

  • le plus large possible : Mme Boutin a déjà manifesté son souhait de voir les citoyens consultés par référendum1,
  • le plus libre possible : les partis politiques seraient bien inspirés d’accorder à leurs élus une totale liberté de vote à l’assemblée,
  • le plus ouvert possible, c'est-à-dire qu’il ne sera pas confisqué par certains groupes idéologiques à coup d’accusations d’homophobie envers quiconque manifestera une opinion contraire.

S'adressant au plus grand nombre, ce billet n’aura rien de théologique2 ; il s’agit en revanche de proposer un cadre de réflexion qui permettra à chacun, chrétien ou non, de progresser dans sa réflexion. Il est notamment inspiré par l’ouvrage de Thibaud Collin3, « Les lendemains du mariage gay »45.

 

 

Le mariage, une discrimination ?

Pour les partisans de l'ouverture au mariage civil aux personnes de même sexe, il s'agit de mettre fin, au nom de l'égalité des droits, à une discrimination manifeste : l'injustice serait tellement criante, et leur revendication si évidente, que la question ne se discuterait pas

Mais en quoi consiste la discrimination ? Selon la CEDH6, une discrimination consiste à faire "subir sans justification objective et raisonnable un traitement différent à des personnes se trouvant dans des situations analogues".

Dès lors, la question est : deux personnes de même sexe sont-elles dans une situation analogue de deux personnes de sexe opposé, face au mariage ? ou existe-il une justification objective et raisonnable à cette différence de traitement ?7 

Selon quelle norme peut-on constater "une justification objective et raisonnable" ? On se trouve ici au coeur de la divergence de vues entre partisans du mariage entre personnes du même sexe et tenants du mariage civil actuel. 

 T. Collin cite longuement et analyse les publications d'Eric Fassin, sociologue et partisan8 du mariage homosexuel. Celui-ci disqualifie toute référence, jugée obscurantiste ou ringarde, à un "donné" (transcendent ou non) qui précède le droit. Pour Fassin, seules sont recevables, dans le débat, les normes négociées, construites. Seules l'histoire et la sociologie, qui veut construire le monde en même temps qu'elle le décrit, ont voix au chapitre. Toute référence aux sciences naturelles est un "biologisme", toute conception anthropologique forcément irrecevable. 

Citons E. Fassin9

 Discriminer c'est naturaliser les inégalités. A l'inverse, la discrimination suppose des inégalités naturalisées. Il s'agit bien d'une logique circulaire entre effets et conditions de possibilité : les discriminations reconduisent la hiérarchie sociale du fait que celle-ci paraît naturelle et d'autant mieux que celles-là la font paraître telle. 

En clair, pour Fassin et ses condisciples, toute différence est une inégalité cachée, et perpétuée par une sorte de complot inconscient. Mais alors, plus aucune différence ne peut exister. Cette philosophie, qui rejette tout donné "naturel", érige l'égalité - en fait l'uniformité, cachée sous le mot égalité - comme nature

Paradoxalement, alors que la philosophie de la Déclaration des Droits de l'Homme consistait à reconnaître à chaque homme des droits en fonction d'un état originel, d'un donné commun objectif, on somme aujourd'hui l'Etat, promu créateur de normes, de redéfinir l'homme en fonction des revendications subjectives10de chacun, légitimées par l'affirmation d'un vécu douloureux.    

 

Le jour d'après

Est-il juste d'ouvrir le mariage civil aux personnes de même sexe ? Si l'objectif est de délibérer démocratiquement d'une décision politique, et non de se vautrer dans les idéologies, il faut se demander alors ce qui changera demain, concrètement, si la loi est modifiée pour permettre le mariage de personnes de même sexe ? 

 

Quels sont les effets concrets du mariage civil ? Est-il plus qu'un contrat ? La question peut se poser au vu de son affaiblissement (manifesté par un taux de divorce en hausse perpétuelle) et de sa relativisation (la plupart des enfants naissent aujourd'hui hors mariage, devenu aujourd'hui une option parmi d'autres). Certains sont d'ailleurs tentés de le faire, et ils sont de tous bords !! A ma gauche, Jacques Derrida qui, après avoir soutenu le mariage homosexuel, s'est finalement prononcé pour l'abolition du mariage civil ; à ma droite, certains catholiques sont aujourd'hui tentés de s'affranchir du mariage civil. Tous font une lecture du mariage civil érigé comme un simple mime laïque du mariage chrétien, sorte de fiction sociologique destinée alors à figer des structures sociales mises en branle par la révolution.

 

Mais le mariage conserve des effets, et non des moindres. Citons l'avant-propos du livre de T. Collin (l'italique est de l'auteur, le gras de votre serviteur) :

 Au terme de la cérémonie de mariage, le maire remettra aux deux hommes ou aux deux femmes un livret de famille. Celui-ci est constitué par un extrait de l'acte de mariage, sur deux pages ; actuellement, à gauche le nom de l'époux, à droite celui de l'épouse. Une telle distinction aura dû disparaître sous peine de discrimination administrative. Les deux pages devront avoir pour en-tête un terme neutre, par exemple, premier conjoint et deuxième conjoint, voire même, pour éviter de donner à l'un la prééminence sur l'autre, un même mot conjoint

 

Après la page consacrée aux extraits d'actes de décès des deux conjoints, on trouve celle de l'extrait d'acte de naissance du premier enfant. C'est bien sûr au titre que cet enfant est présumé être celui du couple qui vient de se marier. L'ouverture du mariage civil aux personnes de même sexe implique donc structurellement l'ouverture de la filiation à ces mêmes personnes.  

Au coeur des effets du mariage se trouve donc la question de l'enfant et de la filiation.

 

Ce rapport couple-enfant a connu deux évolutions notables : tout d'abord, les techniques médicales ont progressivement identifié enfant et désir d'enfant (par la réduction des grossesses non-désirées et par la procréation assistée) ; de plus, la focalisation sur le sentiment amoureux11 a rendu le couple instable, au point que l'enfant, de "bénéficiaire" du mariage, a pu en devenir l'assurance-tout-risques.

 

Par un retournement, certains en déduisent que tout sentiment amoureux peut revendiquer pour lui le mariage, et que tout désir d'enfant légitime un "droit à l'enfant", indépendamment de toute réalité, notamment biologique. Ils créent une autre fiction sociale, la "parentalité", distincte de la "parenté"12, permettant de construire et de déconstruire13 à loisir (Koz a traité ce sujet à deux reprises ces derniers mois et ses exemples sont éloquents). 

 

En réalité, en prétendant lutter contre ce qui serait une discrimination (entre couples hétérosexuels et homosexuels, dont on a vu qu'elle n'était pas établie), on crée volontairement deux catégories légales d’enfants : ceux qui auront un père et une mère, et ceux qui auront deux papas ou deux mamans, l’un des deux (au mieux) étant son géniteur. Quel est alors réellement l'intérêt de l'enfant ? 

 

Ainsi, ouvrir le mariage aux personnes de même sexe n'est pas neutre (après tout, lassés par des années de revendications, et poussés par un soupçon de libéralisme, n'est-on pas tenté de se dire "ça ne change rien à ma vie, c'est leur problème" ?) : c'est un véritable choix de société auquel nous sommes confrontés, et sur lequel il est de notre responsabilité, chacun en sa conscience, de se prononcer

 

 

 

«Les lendemains du mariage gay », par Thibaud Collin, Editions Salvator, 119p, 15€

  • 1. l’élection présidentielle consistant à exprimer une unique réponse à des questions multiples, elle ne saurait manifester l’assentiment du peuple à n’importe quelle décision de l’élu, notamment les plus importantes, ce qui explique l’existence-même du référendum
  • 2. il ne s’agit pas pour moi de montrer la beauté du mariage chrétien comme union libre, totale, fidèle et féconde d’un homme et d’une femme : je crois l’avoir déjà fait, même si imparfaitement
  • 3. professeur de philosophie en classes préparatoires et co-auteur du livre de Nicolas Sarkozy « La République, les Religions, l’Espérance »
  • 4. Éditions Salvator, 119p
  • 5. full-disclosure : le livre m’a été gracieusement adressé par l’éditeur
  • 6. cf. arrêt Thlimmenos c. Grece §44
  • 7. Premier indice : le Conseil Constitutionnel n'a vu aucune discrimination dans le mariage civil actuel, lorsque la question lui a été posée.
  • 8. et pas des moindres, puisqu'il préface la traduction française de "Trouble dans le genre" de Judith Butler : voir sa page ici
  • 9. Eric Fassin, in "Discriminations : pratiques, savoirs, politiques", La Documentation Française, 2008
  • 10. Pour Thibaud Collin : "ce qui prend la place du sacré évacué dans la sphère privée, de l'indiscutable, du non-négociable, c'est ce postulat : la souveraineté absolue de la liberté et de l'égalité des individus affranchis de leurs différences."
  • 11. Natalia a produit hier un billet beau, mais dur, sur la question
  • 12. du grec paros, engendrer
  • 13. Thibaud Collin va jusqu'à affirmer que l'enfant, ainsi enfermé dans le projet parental, est assimilé à une oeuvre d'art

 
 

 

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Car tous ont péché...

La presse se fait l'écho d'un livre du journaliste Ekke Overbeek indiquant que Karol Wojtyła, futur Pape Jean-Paul II (et aujourd'hui Saint Jean-Paul II) aurait avant son élection pontificale, en tant qu'archevêque de Cracovie, eu connaissance de témoignages de faits de pédo-criminalité (la presse ne relaie ni le nombre ni la nature des faits) et n'aurait pas apporté la réponse appropriée (à savoir le signalement des faits aux autorités civiles et le déclenchement d'une enquête canonique aboutissant au renvoi à l'état laïc des malfaiteurs).