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Le gardien de mon frère

Le gardien de mon frère

Les abus sexuels dans l'Église choquent, et c'est une bonne chose que l'épiscopat belge ait clairement condamné les propos de l'ex-évêque de Bruges, qui reconnaît sans remords des actes pédophiles sur ses neveux. 

La réaction du Vatican, qui se dit «conscient de la gravité de [ses] actes», laisse espérer que ces propos et l'indignation qu'ils suscitent permettront un réel changement de cap dans la politique de l'Eglise par rapport aux questions de la prévention et de la gestion des cas d'abus sexuels.

L'Irlande, sonnée, réagit

En Irlande, où l'Eglise jouissait d'une réelle autorité morale, l'annonce des cas d'abus fut un vrai cataclysme, qui a sonné tout le pays. Plusieurs évêques ont démissionné1, accusés d'avoir au mieux manqué de diligence dans la gestion des cas d'abus dans leurs diocèses, et au pire de les avoir volontairement couverts. Une «visite apostolique» (entendez commission d'enquête) diligentée par le Saint-Siège s'est achevée et doit rendre son rapport au Pape avant Pâques. Un communiqué du Vatican est attendu avant l'été.

Depuis 1996, et les révélations de cas d'abus, l'Eglise irlandaise n'est pas restée inactive et a fait un réel effort de transparence. Les allégations d'abus peuvent être remontées via le National Board for Safeguarding Children, qui produit un rapport annuel, public et circonstancié et gère les cas en lien avec les autorités civiles. Le rapport 2010 mentionnait ainsi 197 allégations d'abus. Des efforts sont aussi faits pour protéger les enfants, avec des normes mises en place dans toutes les organisations qui les prennent en charge.

L'Amérique prend les devants

Aux Etats-Unis, les abus ont eu des conséquences très concrètes, puisque au moins huit diocèses ont dû déposer le bilan, après avoir payé près de 2,6 milliards de dollars de dommages et intérêts aux victimes. Les crimes commis ainsi que l'incapacité de l'institution à gérer les cas qui lui étaient soumis ont ainsi causé la fermeture de nombreux hôpitaux, écoles et oeuvres caritatives menées par l'Eglise.

Les évêques américains ont donc mis en place une charte qui décrit les mesures qui doivent être mises en oeuvre dans chaque diocèse pour protéger les enfants ; ils se sont dotés d'un organe consultatif, le National Review Board, qui commande chaque année un audit auprès d'un groupe indépendant. Le combat n'est pas encore gagné2, puisque le NCR a reçu cette année 21 plaintes pour abus sur mineur, et que l'auditeur a adressé cette année une lettre aux dirigeants de 55 diocèses américains pour pointer des manquements à leurs engagements de protection ou de transparence. 

Toutefois, l'existence-même de ces remontrances est un signe encourageant pour l'église en Amérique, signe qu'une volonté de changement l'habite. Deux séminaristes américains, membres d'une congrégation religieuse, m'ont confié avoir subi deux longues3 séances de test psychologiques, visant à déterminer leur maturité psychoaffective, avant d'être admis à prononcer leurs voeux. 

L'Église de France, pas épargnée

La France a connu des cas de pédophilie, mais en des proportions bien moindres que les pays anglosaxons. Cependant, ils ne sont pas inexistants (comme en témoigne ce dossier) et l'on y retrouve tous les ingrédients de la faillite anglosaxonne : minimisation des faits, dissimulation, omerta "pour le bien des victimes". 

De plus, force est de constater que ce faible nombre est dû plus à la faible présence de religieux4 dans l'éducation catholique française5 qu'à la qualité des mesures prises pour les prévenir. 

En effet, mis à part une simple brochure disponible sur le site de la Conférence des évêques6 (à qui il faut donner crédit de l'avoir mise à jour et promue en janvier dernier malgré l'absence d'affaire médiatisée), les évêques n'ont mis en place (ou en tout cas, communiqué sur) aucun dispositif formalisé pour prévenir les abus7.

Aucune commission indépendante transparente n'évalue ni ne rend compte chez nous de la manière dont les allégations d'abus sexuels sont traitées par les diocèses, qu'elles concernent des mineurs ou non. Aucun audit ne permet de garantir que la formation au séminaire pemet de détecter et d'écarter des individus psychoaffectivement instables. 

Parfois même, les candidats écartés n'ont pas à aller bien loin pour trouver un séminaire complaisant et trop content de pouvoir ainsi afficher des chiffres de vocations en hausse. Pourtant, à chacun, il sera demandé «qu'as-tu fait de ton frère ?». L'une de formes de cette question est celle-ci, formulée à chaque ordination par les évêques et supérieurs de séminaires, «savez-vous s'ils ont les aptitudes requises ?»

  • 1. et de nombreux autres furent explicitement cités dans un rapport d'une commission indépendante irlandaise, pour leur mauvaise gestion des cas qui leur ont été rapportés
  • 2. et il a eu du mal à commencer puisque dès 2003, Keating, alors responsable du NCR, claqua la porte.
  • 3. plusieurs jours
  • 4. Qu'on ne me fasse pas dire ici ce que je ne dis pas : les religieux ne sont pas plus susceptibles que d'autres d'abuser sexuellement des mineurs. Mais lorsqu'ils le font, l'institution est mise en cause plus immédiatement et plus violemment que lorsque c'est le cas de laïcs.
  • 5. ceux-ci ayant été interdits d'enseignement à plusieurs reprises au nom de la laïcité
  • 6. et distribuée dans certains séminaires
  • 7. Cette négligence, reconnaissons-le, est liée à un manque de moyens et de professionnalisme : on comprend mieux, par exemple, que le Vatican n'ait pas transmis à la justice irlandaise des documents, si l'on sait qu'il a la taille d'une sous-préfecture et que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi est dotée au mieux comme un tribunal de proximité

 
 

 
 

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Car tous ont péché...

La presse se fait l'écho d'un livre du journaliste Ekke Overbeek indiquant que Karol Wojtyła, futur Pape Jean-Paul II (et aujourd'hui Saint Jean-Paul II) aurait avant son élection pontificale, en tant qu'archevêque de Cracovie, eu connaissance de témoignages de faits de pédo-criminalité (la presse ne relaie ni le nombre ni la nature des faits) et n'aurait pas apporté la réponse appropriée (à savoir le signalement des faits aux autorités civiles et le déclenchement d'une enquête canonique aboutissant au renvoi à l'état laïc des malfaiteurs).