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Qui veut faire l'ange fait la bête

Qui veut faire l'ange fait la bête

PeTA, organisation vouée à la protection des animaux que j'ai déjà évoquée ici, récidive dans son utilisation du corps humain à des fins militantes. Elle ajoute en effet à son triste palmarès (tapez Peta dans Google Images) une image de la mannequin Joanna Krupa parée d'ailes d'anges, complètement nue à l'exception de son intimité -à peine- recouverte par un crucifix. Plus que la campagne elle-même et de l'amalgame des symboles religieux, c'est la tentative de justification face aux critiques qui m'a ici intéressé : Krupa se réclame en effet... de Jean-Paul II !

Dans une interview, elle avait en effet répondu « Je crois qu'être dérangé par le fait qu'une femme soit topless dans une série de photo ou un film est vraiment ridicule. [...] D'ailleurs, le fait est que selon Jean-Paul II, puisque nous sommes nés nus, c'est de l'art : il s'agit juste de montrer un magnifique corps que Dieu a créé.» Elle réagit ainsi à la controverse sur les photos : « En tant que catholique, je suis choquée que la Catholic League s'en prenne à ma campagne pour PeTA. Je fais ce que l'Eglise catholique devrait faire : travailler à faire cesser les souffrances des animaux, les créatures les plus innocentes de la Création. »

 

Les papes et les artistes

Je ne m'étendrais pas sur la longue histoire de relations entre l'Eglise et les artistes, plus difficile au vingtième siècle. Prenons toutefois le temps de constater que les derniers papes ont été particulièrement sensibles à leur contact. Jean-Paul II1 était auteur de théâtre tandis que Benoît XVI est réputé pour son goût du piano. Le fait est que, si en France l'Eglise est souvent peu considérée comme un interlocuteur possible, tant dans le domaine de la culture que des sciences, elle possède dans les deux une réelle expertise, reconnue internationalement.

Benoît XVI recevait d'ailleurs ces derniers jours un certain nombre d'artistes à la Chapelle Sixtine, pour évoquer avec eux sa vision de l'art, de son rapport avec l'Eglise et plus fondamentalement de la place du beau dans l'expérience spirituelle. Dans tous les rapports qu'a l'Eglise aux artistes, on peut voir un grand respect, une réelle estime, qui me permet de conclure que ce n'est pas contre les artistes ou l'art en général que la Catholic League s'est élevée.

 

Le Corps dans l'Art, selon Jean-Paul II

Jean-Paul II, il est vrai -et je me réjouis qu'une personnalité de la mode le reconnaisse- était loin d'être un ennemi du corps, malgré la réputation de conservateur coincé que certains ont voulu lui faire de ce côté-ci de l'Atlantique. Le corps humain est selon lui toujours digne et beau, et est habité par un appel au don de soi. C'est justement pour cela que sa réflexion va un peu plus loin que celle de Joanna Kruppa lorsqu'il parle de la représentation artistique du corps.

Le Pape commence par établir que la représentation artistique du corps n'est pas anodine, même si elle n'est pas impossible. Ecoutons-le :

  Le corps humain - le corps humain dans la nudité et dans toute la vérité de sa masculinité et de sa féminité - a une signification de don de la personne à la personne. [...] L'objectivation artistique du corps humain dans sa nudité masculine et féminine constitue un déracinement du corps humain par rapport à cette configuration. [...] Le corps humain perd cette signification profondément subjective du don et devient un objet destiné à une connaissance multiple par laquelle ceux qui regardent et assimilent, s'emparent en réalité, de ce qui existe de manière évidente et qui doit même exister de manière essentielle au niveau du don fait par la personne à la personne, non plus dans l'image, mais dans l'homme vivant.
Il est cependant impossible de ne pas se rendre compte que, du point de vue de l'ethos du corps, surgit ici un problème. Problème très délicat qui a ses niveaux d'intensité selon les différentes raisons et circonstances[...]. Poser le problème n'implique pas du tout que le corps humain ne puisse pas, dans sa nudité, devenir un thème de l'oeuvre d'art. Il en résulte seulement que ce problème n'est pas purement esthétique ni moralement indifférent.

Position fine s'il en est. Résumons : le corps est appelé au don, qui ne peut se vivre pleinement qu'avec une seule personne. De plus, la réponse normale à ce don doit être un don en retour, que l'oeuvre d'art ne permet pas. Il y a donc une tension à prendre en compte lorsque l'on représente le corps, sans que cela interdise de le faire si l'on prend les précautions requises. Du côté du spectateur, le risque est la pornovision ou la pornographie

En effet, dit Jean-Paul II, le problème est que le corps humain, qui nous destine à la relation interpersonnelle, est alors poussé dans la dimension de la "communication sociale". Il est tentant de croire que l'on peut vivre cette communion de personnes, vivre une relation vraie et profonde, avec le reste de l'humanité, mais cette relation est -vu notre état- utopique et, quoique rendue charnelle par l'image, en fait très désincarnée : on n'aime pas alors une personne révélée par un corps, on convoite un corps sans souci du reste de la personne.

De là, Jean-Paul II en déduit une responsabilité éthique de l'artiste :

   [Il n'a pas] le droit d'exiger, de proposer ou de faire que d'autres personnes, invitées, exhortées ou admises à voir, à contempler l'image, violent ces limites, avec eux ou à cause d'eux. Il s'agit de l'image où ce qui constitue en lui-même le contenu et la valeur profondément personnels, ce qui appartient à l'ordre du don et du don mutuel de la personne à la personne, se trouve, comme thème, arraché de son substrat authentique pour devenir, par l'intermédiaire de la "communication sociale", un objet et, en outre, dans un certain sens, un objet anonyme.

Bref, l'artiste a une activité esthétique, mais pas seulement, puisqu'il travaille sur le corps : il a la responsabilité éthique que la personne ne soit pas niée par le regard du spectateur. Cela ne signifie pas que l'artiste soit moralement responsable de comment le spectateur lit son oeuvre, mais il doit créer les conditions pour lui permettre une lecture qui respecte la dignité du corps.  Il doit se faire en quelque sorte éducateur. Le refus d'un art qui relègue la personne au rang d'objet n'est pas un puritanisme, mais la reconnaissance d'une plus grande valeur du corps :

  Tout le problème de la "pornovision" et de la "pornographie", tel qu'il résulte de ce qui a été dit ci- dessus, n'est pas un effet de la mentalité puritaine ni d'un moralisme étroit et n'est pas non plus le produit d'une pensée chargée de manichéisme. Il s'agit là du domaine très important et fondamental des valeurs auxquelles l'homme ne peut demeurer indifférent en raison de la dignité de l'humanité, du caractère personnel et de l'éloquence du corps humain. A travers les oeuvres d'art et l'activité des moyens audiovisuels, tous ces contenus et ces valeurs peuvent être modelés et approfondis, mais ils peuvent être aussi déformés et détruits "dans le coeur" de l'homme.

Jean-Paul II analyse ensuite la représentation du corps aux cours des époques :

  Au cours des différentes époques, en commençant par l'antiquité et surtout dans la grande période de l'art classique grec, on trouve des oeuvres d'art où le thème est le corps humain dans sa nudité et dont la contemplation permet de se concentrer, dans un certain sens, sur la vérité entière de l'homme, sur la dignité et sur la beauté - même suprasensuelle - de la masculinité et de la féminité. Ces oeuvres portent en elles un élément de sublimation presque caché qui conduit le spectateur, par l'intermédiaire du corps, au mystère personnel tout entier de l'homme. Au contact de telles oeuvres, ou nous ne nous sentons pas déterminés par leur contenu à "regarder pour désirer", dont parle le Discours sur la Montagne, nous apprenons dans un certain sens cette signification sponsale du corps qui correspond à la "pureté du coeur" et qui la mesure.
Mais il y aussi des oeuvres d'art et peut-être encore plus souvent des reproductions qui suscitent une objection dans le domaine de la sensibilité personnelle de l'homme, non pas en raison de leur objet, puisque le corps humain a toujours en lui-même une dignité inaliénable, mais en raison de la qualité ou du mode de sa reproduction, de sa représentation artistique.

...avant de proposer une définition de -ou du moins un éclairage sur- l'art :

  L'activité artistique authentique et responsable tend à dépasser l'anonymat du corps humain comme objet "non choisi", en cherchant à travers l'effort de création une pareille expression artistique de la vérité sur l'homme dans sa corporéité féminine et masculine qui se trouve assignée comme tâche au spectateur[...]. C'est de lui, à son tour, qu'il dépend de se décider d'accomplir un effort pour s'approcher de cette vérité ou de ne rester qu'un "consommateur" superficiel des impressions, c'est-à-dire quelqu'un qui profite de la rencontre avec le corps anonyme comme thème au seul niveau de la sensualité qui réagit par elle-même à son objet "sans choix".

Qui veut faire l'ange...

A la lumière de ce que j'ai expliqué précédemment, on commence à percevoir ce qui est gênant dans la campagne de PeTA : le corps de Krupa n'y est pas représenté en tant qu'élément artistique, pour lui-même. Sa représentation ne vise pas l'entrée en relation, la découverte profonde de ce qu'est la femme. Elle n'est qu'un instrument au service d'une cause qui -quoique respectable- ne vaut pas sa dignité. Elle est là pour attirer le regard du passant, le choquer (c'est donc qu'il y a quelque chose de choquant). 

En faisant de son corps un simple objet, elle invite le spectateur -qui regrette la présence du crucifix, mais pour quelle raison ?- à la convoitise. Le crucifix qui cache son intimité n'apporte rien au sens, et est complètement détourné de son sens profond, le don total de soi, puisque le spectateur est en effet invité non pas à entrer en relation, mais à s'emparer. Si son corps est effectivement une oeuvre d'art et sa beauté reflète effectivement quelque chose du plan divin, sa représentation est moins évidente car elle ne permet pas d'entrer pleinement dans toute la dimension de sa personne.

Elle met également son corps au service d'une association qui, pour plaider sa cause, n'hésite pas à ramener l'homme à l'animal, à les placer sur le même plan, comme si leur dignité était comparable. Le fait que les animaux soient sans défense n'implique pas que leur dignité soit égale à celle des hommes. Cet argument procède d'une vision qui fait de la faiblesse la source de la dignité. Cette vision est en fait achrétienne : le christianisme voit dans le pauvre, le faible, l'estropied un humain aussi digne que les autres, mais n'hésite pas à affirmer que Dieu est tout-puissant, et que la beauté en est, avec la bonté et la vérité, un attribut fondamental. Voulant un Dieu proche, nous avons trop tendance à nier sa transcendance alors que c'est dans la tension entre les deux que se trouve la fécondité.

Enfin, l'abus des symboles religieux est pour moi particulièrement choquant. Non qu'ils le soient de façon particulièrement "sacrilège" (en d'autres circonstances, je l'ai dit, la représentation d'un corps nu non loin d'un crucifix n'aurait pas été répréhensible et il ne s'agit pas de lancer des fatwas), mais parce que ces symboles religieux ont un sens précis et que leur usage à tort et à travers conduit à une confusion dans l'imaginaire du public sur leur signifiation réelle. Pour les êtres incarnés que nous sommes, les symboles sont essentiels pour toucher du doigt le mystère et les dévoyer est toujours dommageable. 

 
 

 
 

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Car tous ont péché...

La presse se fait l'écho d'un livre du journaliste Ekke Overbeek indiquant que Karol Wojtyła, futur Pape Jean-Paul II (et aujourd'hui Saint Jean-Paul II) aurait avant son élection pontificale, en tant qu'archevêque de Cracovie, eu connaissance de témoignages de faits de pédo-criminalité (la presse ne relaie ni le nombre ni la nature des faits) et n'aurait pas apporté la réponse appropriée (à savoir le signalement des faits aux autorités civiles et le déclenchement d'une enquête canonique aboutissant au renvoi à l'état laïc des malfaiteurs).