La Solitude Originelle
« Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. »1 : Ce sont ces mots qui sont au coeur de la réflexion du Pape sur la Solitude originelle.
De quelle solitude s'agit-il ? Certainement, l'homme est alors seul sans la femme, mais la solitude est plus profonde : il est seul en tant que personne.
Notons que dans ce passage, l'homme (adam en hébreu) n'est pas encore défini en tant qu'individu masculin (ish en hébreu) : il ne le sera qu'après la création de la femme (isha en hébreu). La solitude n'est pas le propre du masculin mais de la personne humaine. Jean-Paul II commente en affirmant que "cette problématique anthropologique fondamentale intervient avant le fait d'être homme et femme"2.
Par avant, le Saint-Père n'entend pas avant chronologiquement mais dans la nature des choses. Nous sommes des êtres charnels avant d'être hommes ou femmes. Nous sommes quelqu'un3 L'expérience de la sexualité est secondaire par rapport à cette réalité première.
L'homme à la recherche de son identité
Reconnaissant le besoin d'une aide pour Adam, Dieu créa les animaux et il les fit venir vers l'homme, pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant portât le nom que lui donnerait l'homme4.
L'homme prend alors conscience de sa différence par rapport au reste de la création : "mais, pour l'homme, il ne trouva point d'aide semblable à lui"5. Quand Adam contemple la création, il ne voit pas dans les autres corps des personnes. Ainsi prend-il conscience de sa singularité parmi toute la création. Il réalise subjectivement la réalité objective décrite dans le récit Elohiste de la création : qu'il est fait à l'image et à la ressemblance de Dieu.
Cette réalité est vécue corporellement : l'homme est poussière dans laquelle Dieu mis son souffle. Aucun autre animal n'est ainsi, à la fois charnel et spirituel.
Cette singularité, cette solitude de la créature face à son Créateur est un appel entrer en relation. L'homme et la femme sont les seules créatures créées pour elles-mêmes, et ils ne sont pleinement eux-mêmes que lorsqu'ils entrent en relation, s'ils se donnent.
Se donner dans l'amour suppose d'être libre : si Dieu nous offre le choix d'entrer dans une alliance éternelle avec Lui, nous avons aussi le choix de refuser cette alliance. En faisant l'expérience de cette liberté, nous dit Jean-Paul II , l'homme aurait dû comprendre que l'Arbre de la connaissance du bien et du mal recelait une dimension de la solitude qui lui était jusqu'alors inconnue6 : l'éloignement de Dieu.
Le choix entre la mort et l'immortalité
Tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras.7
Dieu donne à l'homme de pouvoir manger de tous les arbres du jardin, c'est à dire de participer pleinement à la vie divine. D'un seul arbre, il ne doit pas manger. Il ne s'agit pas là d'un interdit pour tenter l'homme, avec une punition à la clé. Au contraire, Dieu réaffirme à l'homme sa liberté en lui dévoilant les conséquences de ses actes : si tu choisis de vivre loin de moi [qui suis la Vie], tu mourras.
Le "tu mourras" n'est pas une punition, ni même une conséquence : c'est dans le fait même de vivre hors de Dieu que se trouve la mort.
Adam pouvait-il comprendre cet avertissement ? C'est la question que pose Jean-Paul II8. Il n'a jusqu'alors connu que la vie. Qu'est ce que le mot "mourir" peut signifier pour lui, qui n'en a aucune expérience ? De la même manière que nous entrons dans la compréhension de ce que vit Adam en "négatif", lui aussi pouvait percevoir ce que signifie la mort en retournant le sens de ce qu'il a experimenté jusqu'alors.
La liberté de l'homme est de pouvoir accepter de vivre en communion éternelle avec Dieu comme d'être éternellement séparé de Lui. La solitude originelle nous permet de comprendre que notre relation à Dieu est à la fois dépendance et partenariat. Dépendance car l'homme est une créature ; partenariat car il est une personne créée par un Dieu personnel qui lui propose une relation amoureuse.
Cette relation, Satan l'attaque en suggérant que Dieu veut le mal de l'homme : en effet, si Dieu n'est pas Amour, alors la dépendance vis à vis de Dieu en vient à être perçue comme une menace contre la subjectivité de l'homme. En tant que sujet, l'homme refuse - avec raison - d'être réduit en esclavage : dès l'instant où il perçoit Dieu comme un tyran, il veut s'affranchir de la relation.