L'Eglise, l'amour, la loi, et la rédemption
L'Eglise peine aujourd'hui à être comprise dans ses positions, particulièrement dans le domaine de la morale conjugale et familiale. Elle paraît insensible à la douleur exprimée par les personnes qui, pour une raison ou une autre, s'en sentent exclus voire se sentent condamnés par elle, et seuls 28% des français auraient confiance en elle.
Emmanuel Pic le relève et invite à s'interroger. Philippe Clanché, lui, a déjà sa réponse : il plaide pour l'évolution des positions de l'Eglise sur un certain nombre de sujets1. Il manifeste sa pitié pour Mgr Lafitte2, qu'il estime écartelé entre une volonté de faire sentir "que l'Eglise aime (les gens) comme le Christ les aime" et une loi jugée impitoyable.
Car pour P. Clanché, "à lire les Évangiles, il est difficile de penser que Jésus était très à cheval sur les procédures". Et de citer l'exemple de la femme adultère, que Jésus ne rejette pas, avant d'ajouter avec ironie que l'Eglise, cette ingrate, "aime sans conditions les gens qui marchent droit. Drôle de façon d'aimer".
C'est oublier que Jésus, lorsqu'on lui demande s'il faut permettre le divorce, dit que celui-ci n'a été concédé par Moïse qu'en raison de la dureté de nos coeurs, mais qu'au commencement, il ne fait pas partie du plan de Dieu. Les pharisiens, qui prônent la loi morale la plus rigoureuse (sans se l'appliquer), s'attirent les foudres du même Jésus, mais celui-ci enjoint3 pourtant à suivre leurs paroles, plus que leurs actes. Qu'enfin, il dit venir accomplir la loi et non l'abolir. Bref, drôle de baba-cool. Qui doit prendre ça drôlement au sérieux, puisqu'il va tout de même sur la croix, pour nous en sortir.
Et pourtant, il me semble que P. Clanché va plus loin que le Jésus-baba-cool, mais qu'il (se) le cache parce qu'il se trouve dans le même pétrin qu'il suppose chez Mgr Lafitte lorsqu'il tente de faire dialoguer le Jésus-qui-accueille et le Jésus-qui-enseigne.
Je crois que son analyse échoue parce qu'elle est essentiellement de nature politique, qu'elle traite de positions de l'Eglise et d'opinions sur la société. Il manque quelque chose d'essentiel à cette vision d'un combat forcément collectif : la dimension personnelle de la rédemption.
Espérer déduire une option politique des propos du Christ est illusoire, car leur compréhension s'inscrit dans la relation qu'il tisse avec son interlocuteur. L'évangile de la Samaritaine l'illustre bien : Jésus y tient - avec amour - des propos qui sont pourtant loin d'être évidents à entendre "tu as eu cinq maris et celui-ci que tu as maintenant n'est pas ton mari". Touché. La femme reconnaît cette profondeur, cette compassion sans complaisance : "il m'a dit tout ce que j'ai fait".
Un prêtre que je connais un peu m'a dit que beaucoup de jeunes étaient touchés en confession, parce que "pour une fois, quelqu'un (le prêtre) les prend au sérieux, et ainsi les respecte en tant que personnes par son écoute exigeante". Pour une fois, ils ne sont pas face à un psy qui essaie de les déculpabiliser, d'anesthésier leur souffrance (que la société ne peut digérer). Pour une fois, dans l'assurance d'être aimés, ils peuvent reconnaître qu'ils se sont parfois plantés, et recevoir la force d'aller plus loin.
Vouloir une morale lisse, sans bien ni mal, c'est se priver de la rédemption et du Rédempteur. C'est sûr qu'il est plus difficile, à l'inverse, d'entendre de l'extérieur cette double attitude lorsqu'on n'a pas connaissance de la possibilité de la rédemption. C'est d'autant plus difficile à admettre que nous sommes tous pécheurs, et qu'il faut un pas de foi pour comprendre que notre état actuel ne correspond pas à notre vocation première. Mais si on se met à réformer l'orthographe parce qu'on est tous un peu dyslexiques, se comprendra t-on ?
Le langage du corps, de l'affectivité, mérite la même attention. Et une dose supplémentaire de charité : car, parce que c'est le plus beau langage que nous ayons, c'est aussi le plus douloureux lorsque nous ne l'utilisons pas pour ce qu'il signifie.
Deux concessions à Philippe Clanché : premièrement, penser ainsi la sexualité revient à lui conférer la dimension du drame qui se joue dans nos vies, du choix entre vivre pour nous-même ou dans le don de sa vie. Mais la nature-même de la sexualité (et du plaisir) demande aussi que nous la dédramatisions dans le même temps.
Deuxièmement : la posture de l'Eglise-institution vue exclusivement comme éducatrice n'est dans doute pas adéquate, d'abord par ses défaillances propres (j'ai suffisamment parlé de pédophilie ici pour que ce point soit clair) mais aussi parce qu'à notre époque, un niveau moyen d'éducation plus élevé qu'auparavant fait qu'il nous est difficile d'accepter ce mode de relation. Et encore plus si l'Eglise se met à marquer des zéros en dictée au fer rouge.
Un point sur lequel PC me rejoindra sans doute : si nous avons l'assurance, et l'espérance, de la rédemption, force est de constater que celle-ci, déjà réalisée, n'est pas encore complètement manifestée. Il serait sans doute bon que l'Eglise prenne cet aspect en compte, propose et fasse connaître des chemins pour vivre cette tension dans la communion avec elle.
- 1. du type inventaire-patchwork-revendicatif, et - dans le souci d'avancer le débat avec lui - je vais d'ailleurs ignorer ce joyeux melting pot pour me concentrer sur la volonté plus large d'une ouverture qui passerait par une adaptation du discours de l'Eglise
- 2. Secrétaire du Conseil Pontifical pour la Famille
- 3. en Mt 23