le mariage, champ de bataille philosophique
Le mariage a ceci d'intéressant que, plus il est vidé des devoirs concrets qu'il portait autrefois, plus il doit assumer les divergences entre les représentations que chacun s'en fait. Moins il a de personnalité et plus il est schyzophrène ; plus l'enjeu devient faible et plus les enjeux sont grands. La question prioritaire de constitutionnalité sur le mariage des personnes homosexuelles déposée ce jour-ci au Conseil Constitutionnel en offre une illustration parfaite.
Laissons de côté une seconde nos opinions personnelles sur la question, pour constater que celle-ci n'est que l'épicentre d'une division dont le coeur est bien plus profond ; que dans ce débat autour du mariage se joue la cristallation d'un divorce latent entre deux options philosophiques que tout oppose.
Les forces en présence
La première est l'option libérale moderniste, qui repose sur deux postulats : elle considère tout d'abord que chacun peut faire tout ce qui ne nuit aux autres ; ensuite, selon ses partisans, c'est nous-mêmes qui nous construisons, qui nous créons, par la représentation que nous nous faisons de nous-mêmes. C'est à cette idéologie que nous devons, en politique, mai 68 (puisqu'il n'y a pas d'autre réalité que la représentation que je m'en fais, seule ma liberté compte : c'est la toute puissance de l'autonomie, il est interdit d'interdire), en pédagogie, les méthodes globales1, etc.
Pour les tenants de cette ligne philosophique, le mariage est une construction sociale, malléable à souhait. Il n'a aucune nature propre qui justifierait qu'on en limite l'accès. C'est pour eux un simple contrat (en code civil, on dit une convention). Certains vont plus loin en affirmant que l'idée-même d'identité sexuelle n'est pas une notion naturelle, mais qu'elle n'est qu'une fabrication de la société et que le sexe biologique est une contingence auquel il faut superposer un rôle, un sexe social, le genre.
Son slogan est sans doute la citation de Simone de Beauvoir "On ne naît pas femme : on le devient"2.
A l'opposé, se trouve une autre philosophie, humaniste et essentialiste3, qui postule que certaines choses sont naturelles et qu'on ne peut donc les redéfinir à l'envi. Sans nier que les personnes contribuent à la fondation de leur identité, elle affirme toutefois qu'il y a en chacun de nous une identité profonde ; que notre personne a un socle, qui garantit que nous restons nous-mêmes alors même que nous changeons, et que nous recevons comme étant constitutif de notre nature.
Contrairement aux philosophies qui pensent que le sexe est conventionnel ou reçu comme une addition à notre humanité, elle constate simplement que chacun est homme ou femme, que notre sexe est constitutif de notre humanité. Pour elle, le « contrat de mariage » est la reconnaissance par les sociétés d'une réalité naturelle («le mariage») définie comme l'union d'un homme et d'une femme, qui lui pré-existe.
Son slogan pourrait être la citation de Catherine de Sienne "Devenez ce que vous êtes"4.
Les tactiques de combat
Tandis que les premiers voient toute opposition au mariage homosexuel comme une restriction de la liberté, les seconds ne cherchent pas tant à empêcher les personnes homosexuelles de se marier, que de reconnaître qu'elles ne le peuvent pas, c'est à dire que l'objet-même du mariage exclut qu'ils puissent le contracter. Affirmons-le d'emblée : l'histoire du droit et l'esprit dans lequel les lois ont été écrites vont dans le sens des seconds.
La capacité de contracter
L'argumentation des partisans du mariage homosexuel est que l'empêcher irait à l'encontre de la liberté de contracter. Cependant, la jurisprudence du Conseil Constitutionnel reconnaît que le mariage civil n'est pas un simple contrat mais une institution, c'est à dire que, au-delà de sa forme, c'est son esprit et sa finalité qu'il convient de respecter.
Quand bien même ce serait un contrat civil, la tentative, par l'avocat, d'invoquer la capacité à contracter, est assez malhonnête, puisqu'elle revient à insinuer que le refus du mariage homosexuel s'apparenterait à une mise sous tutelle de ces personnes. Il ne s'agit pas de dire que ces personnes sont incapables de contracter5 -d'ailleurs, rien ne les empêche de se marier.. avec une personne du sexe opposé- mais de dire que ce n'est pas là la nature du mariage.
De la nature du mariage...
Même les plus libéraux et les plus modernistes devront reconnaître que le mariage possède une nature. C'est en général les mêmes qui refusent (avec raison !) le mariage polygame. Dans l'expression «union d'un homme et d'une femme», ils choisissent de s'attaquer aux termes homme et femme. Mais, avec le même raisonnement6 on pourrait tout aussi bien s'attaquer aux termes un et une ! Le libéralisme à outrance justifie tout (et n'importe quoi) parce qu'il ne respecte rien.
De fait, l'énergie consacrée par les lobbies homosexuels à revendiquer le mariage nous laisse penser qu'ils lui reconnaissent une nature spécifique, qui leur fait désirer le mot-même de mariage et non pas seulement les prérogatives. Seulement, en le détournant dans leur intérêt, ils risquent de le distordre et, de facto, d'anéantir l'objet de leur revendication.
L'une des caractéristiques les plus prisées du mariage7 c'est la reconnaissance sociale : la réalité du lien du mariage s'impose à tous comme une évidence. C'est donc au nom de la liberté, absolutisée dans l'égalitarisme, que l'on refuse à tous la liberté de ne pas reconnaître une telle union ; au nom de la tolérance que naît cette intolérance qu'est l'atteinte à la liberté de penser et d'expression.
De même, si on suit cette logique libérale jusqu'à l'extrême, l'ordre public est illégitime dès qu'il restreint la liberté et le "droit au" mariage. Et peu importe si cet ordre public est justement la condition première d'existence de cette liberté.
...et de sa finalité
Il ne reste plus que la finalité du mariage : le droit (canon) décrit le mariage comme «l'alliance matrimoniale, par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants».
Finalement, n'est-ce pas la question de l'enfant qui se cache derrière cette Question Prioritaire de Constitutionnalité ? Force est de reconnaître que les couples homosexuels ne peuvent, sans recours extérieur, concevoir et ce, non pas par accident, mais par nature. On peut donc difficilement soutenir qu'une revendication du mariage homosexuel sous-tendue par la revendication du droit à l'enfant serait motivée par le respect de la finalité du mariage.
Le législateur a eu la bonne idée de s'opposer au mariage arrangé ; il serait bien inspiré de s'opposer à ce qu'on arrange le mariage.
- 1. selon lesquelles l'enfant peut et doit découvrir de lui-même les connaissances
- 2. phrase qui, s'il était bien comprise, ne serait pas si absurde
- 3. sans être un pur essentialisme, cependant
- 4. la citation exacte : «Si vous êtes ce que vous devez être, vous mettrez le feu au monde entier!»
- 5. comme des mineurs par exemples
- 6. "ma liberté avant tout"
- 7. et la discussion devient ici singulièrement savoureuse, si on se rappelle que c'est au nom de la liberté vue comme autonomie que ce combat est mené