« ll n'y a personne pour te condamner »
Le mois d'août a vu fleurir, à la faveur d'une prière de l'assomption1 puis du décès du Cardinal Martini - figure du progressisme catholique -, de nombreux billets sur le discours de l'Eglise en matière de sexualité. Et les blogueurs cathos font leur coming-out, avec des témoignages parfois très personnels. Une question est centrale dans ce débat, illustrée par le billet de Natalia Trouiller2 : et si l'Eglise avait tout compris en matière de sexualité ?
N'ayant pas la prétention de résumer ici la richesse que recèlent ces billets, ni même l'ambition de tous les citer, je vous renvoie au Pearltree ci-dessous. Reste que j'ai été interpellé par le décalage profond entre ceux qui ont trouvé dans les paroles de l'Eglise leur nourriture et ceux qui plaident pour une réorientation de son discours. La ligne de fracture est particulièrement saillante sur la question du rapport à l'interdit. Je vous propose donc quelques réflexions à ce sujet.
La loi morale : un panneau indicateur
Dépasser la répétition d'interdits incompréhensibles : voilà ce à quoi René Poujol appelle dans son premier billet, qui ouvre le débat. L'homme est de son époque et l'interdit d'interdire de mai 68 n'est pas loin... Mais Jésus a t-il dit : «Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ; je dis cela pour que votre vie soit misérable » ? Non ! Jésus a dit3 «Je dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite ».
La joie est la finalité ultime de la loi ! C'est pour cela qu'on l'a appelée "évangile" (bonne nouvelle). C'est aussi ce qui permet à Natalia de déclarer « pour moi, je veux le meilleur ». N'y voyez ni recherche de performance, ni vaine rivalité.. simplement le désir de vivre à fond. Vue de l'extérieur, sans cet appel à la joie, la référence à une quelconque norme morale n'est qu'une tentative d'autojustification4.
Ce rapport loi / joie ne se comprend qu'avec la perspective de la miséricorde. Dans l'évangile de la femme adultère, alors que tout le monde est prêt (par pure souci d'auto-justification) à lapider la femme, Jésus intervient en trois temps après avoir appelé à l'introspection : « 1. il n'y a donc personne pour te condamner ? (nul ne se justifie soi-même) 2. moi non-plus je ne te condamne pas (miséricorde) 3. va et ne pèche plus ». Il faut ici constater que la miséricorde n'est pas le renoncement à la norme morale.
Pourquoi conserver une norme morale si, au final, la miséricorde prévaut ? il nous faut arriver ici à la distinction que Jean-Paul II fait entre éthique et ethos. L'éthique est la norme morale objective ; l'ethos est l'expérience intérieure, subjective, que nous avons de cette morale. Par exemple, c'est très bien de ne pas tromper sa femme (de respecter l'éthique), mais ça ne suffit pas : le Christ nous appelle à une conversion telle que nous n'ayons même pas le désir de le faire (éthos) !
La norme objective est donc à la fois un tuteur et un thermomètre pour notre coeur. Dans le sermon sur la montagne, Jésus nous interpelle « Vous avez appris qu'il a été dit: tu ne commettras pas d'adultère. Et moi je vous dis: quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son coeur, commis l'adultère avec elle5». Il ne s'agit pas pour Jésus d'être plus légaliste que la loi (il a suffisamment taclé le légalisme des pharisiens6), mais de révéler l'appel qu'elle contient : un appel à la communion avec Dieu.
Si une discipline peut être nécessairement un temps, la vie qui nous est proposée n'est pas une vie d'ascèse externe reposant sur une répression permanente de pulsions internes : les catholiques ne sont pas appelés à être des frustrés ! Nous sommes appelés, par notre corps, à vivre une véritable rédemption. Jean-Paul II évoque explicitement ce point :
Les réflexions précédentes sont étroitement liées au problème de la spontanéité. Bien souvent on pense que c'est précisément l'ethos qui dépouille de sa spontanéité ce qui est érotique dans la vie et dans le comportement de l'homme et, pour cette raison, on exige la séparation de l'ethos "à l'avantage" de l'éros. [...] Mais cette opinion est erronée et en tout cas superficielle. [...] En effet, celui qui accepte l'ethos de l'énoncé de Mt 5,27-28, doit savoir qu'il est aussi appelé à la spontanéité pleine et mûre des rapports qui naissent de l'attirance éternelle de la masculinité et de la féminité. Une telle spontanéité est précisément le fruit graduel du discernement des impulsions du coeur.
La rédemption du corps, mythe ou réalité ?
Parfois, notre expérience concrète, quotidienne du rapport homme-femme et du rapport à notre propre corps rend difficile de croire à cette rédemption du corps. L'espérance de l'Eglise est-elle vraiment réaliste ? N'est-elle pas inaccessible au non-croyant ?
On reproche souvent à l'Eglise son manque de réaiisme. Citons d'abord l'excellent billet de blog de Jean Mercier : « je voudrais simplement me réjouir que l’Eglise catholique croie encore à la possibilité qu’ont les gens de résister à leurs pulsions, de ne pas y être soumis, d’y opposer une part de leur volonté et de trouver dans cette résistance leur liberté la plus vraie ». Si l'on avait dit à Oscar Pistorius qu'il courrait un jour le 200m en compagnie d'Usain Bolt, il aurait probablement ri ou pleuré...
Cette espérance est-elle accessible au non-croyant ? L'expérience montre que oui, comme en témoigne Natalia : « A titre personnel, j'ai été convaincue par les arguments de l'Eglise... avant même de savoir que l'Eglise avait de tels arguments, et avant même de devenir croyante. » En effet, il résonne en chacun, croyant ou non, comme l'écho de cet appel au don libre, total, fidèle et fécond de soi, inscrit par le Créateur. Cet écho peut sonner faux dans nos vies un peu cabossées, mais il continue de sonner et n'attend que d'être ré-accordé. C'est cet écho que l'Eglise appelle "loi naturelle", et l'espèce de biologisme que semble y voir René Poujol.
- 1. j'aurais l'occasion de revenir sur les revendications homosexuelles au mariage civil dans un billet prochain
- 2. 44 000 vues et plus de 1000 commentaires sur Rue89, c'est dire que la question intéresse
- 3. cf. Jn 15, 11
- 4. on le voit avec ce commentaire sous le billet de Pneumatis : « vous êtes un représentant sans doute talentueux d'une génération de catholiques qui ont tellement besoin de normes, d'être rassurés d'être du côté du bien, et de se sentir justifiés » ou cette façon dont Poujol demande à quiconque de se prononcer "en bon chrétien" (forcément autosatisfait et donneur de leçons) sur le sort des femmes du Nordeste brésilien
- 5. Mt 5, 27-28
- 6. cf. Mc 7, qui est l'évangile d'aujourd'hui