Être catholique, est-ce encore être chrétien ?
En réaction à la levée de l'excommunication accompagnée des propos de Mgr Williamson, La Vie avait lancé un dossier-débat intitulé « qu'est-ce qu'être catholique aujourd'hui ? ». Il y a quelques semaines, c'est sur Anuncioblog qu'était publié un article au titre similaire, quoique le contenu en fût fort différent, rebondissant sur la lettre adressée par l'évêque de Providence à P. J. Kennedy pour l'inviter à se demander s'il appartenait encore à l'Église. Le 28 décembre, c'est la publication par La Croix d'un sondage sur le "catholicisme en 2009" qui attire mon attention et me pousse à oser la question « être catholique, est-ce encore être chrétien ? »
Il ressort de l'étude 64% des français se disent en effet catholiques, tandis que seuls 4.5% vont régulièrement à la messe (résultats en ligne avec les études précédentes). Aussitôt publiée, aussitôt commentée... et qui Le Point invite-il pour se livrer à cet exercice ? Je vous le donne en mille, Christian Terras1. Surprise mêlée d'Irritation.
Surpris d'abord, non pas du contenu de l'entretien, car je connais le discours du bonhomme par coeur, mais surpris que ce soit la seule personne que Le Point ait trouvé pour réagir : nul évêque, nul responsable de communauté (ancienne ou nouvelle). Bref : l'Église serait-elle une sorte de société secrète qu'il serait si difficile d'obtenir l'avis d'un insider ? Pas du tout : les églises sont sur les places de tous les villages. Irritation ensuite, justement parce que nous, catholiques, sommes en train de louper une occasion d'exprimer ce qu'est le catholicisme. Terras, qui ne fête probablement pas la nativité, toujours à l'affût d'un coup médiatique, même un 28 décembre. Tandis que nous, à peine sortis de l'Avent, nous sommes déjà incapables de veiller. Bref, trêve d'introduction, je me suis dit que je me devais de dire un mot de cette enquête et de ses résultats.
La question de l'identité
S'il en est une qui agite profondément notre pays aujourd'hui, c'est cette question de l'identité. Le débat sur l'identité nationale lancé par Eric Besson met à jour un certain nombre de visions de l'identité, qu'on peut grossièrement classer dans deux catégories : celle de l'identitaire, et celle du "vivre ensemble". Avec deux risques : la première logique, poussée à bout, pousse à se recroqueviller sur des symboles, sur les signes visibles de l'identité, et de trop circonscrire ceux qui peuvent s'en prévaloir ; tandis que l'abus de la seconde mène au relativisme de l'identité et où chaque groupe de pression tire à lui la couverture, à grands renforts de 'tolérance'.
De Gaulle avait en son temps trouvé une parade, en distingant la France et les Français. Par nécessité, tout d'abord -il pouvait ainsi dire sans rire que si des français avaient collaboré, la France, elle, appartenait au camp des vainqueurs de 1945- mais aussi, parce que cette vision de l'identité et du vivre-ensemble français s'appuyait sur des valeurs profondes, plus difficiles à exprimer mais que chacun reconnaît. Si, en effet, la France de De Gaulle avait été une fable, elle se serait effondrée sitôt le charismatique personnage décédé.
L'identité catholique se pose les mêmes questions : d'un côté, il faut reconnaître qu'un certain nombre de catholiques sont tentés par la logique identitaire, qui permet de se singulariser en affirmant sa différence, en latin si possible2, perdant souvent la capacité3 de dialoguer avec le monde4 ; de l'autre, on voit une foule, plus nombreuse selon l'IFOP, qui se dit proche du catholicisme, tout en en récusant les symboles.
Si la question de l'identité religieuse est plus ardue encore que la première, c'est qu'elle est aussi bien plus importante : dans ma propre vie, ma foi est bien plus importante pour moi que ma nationalité ; plus je découvre le Christ, et plus ma nationalité m'apparaît comme une donnée contingente. Il est donc important pour notre discussion que nous soyons d'accord sur ce qu'être catholique signifie, puisque sans cela, vous ne comprendrez ni qui je suis -ou veux être- ni ce que je veux vous dire. Michel Souchon, jésuite, a fait une réponse intéressante5 à cette question posée par Croire.com :
Qu’est-ce donc qu’être chrétien ? Le mieux est de citer saint Paul : «Si, de ta bouche, tu confesses que Jésus est Seigneur et si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé» (Romains 10,9). Voilà l’essentiel, le noyau central, le cœur de la foi. Je partage donc tout à fait votre étonnement : comment se dire chrétien sans adhérer à cette profession de foi ?
Voilà ce qu'être chrétien. Être catholique romain ou être orthodoxe (etc.), ce n'est que l'expression de ce christianisme dans une culture particulière, selon des modalités propres. Combien des 64% de français qui se disent catholiques partagent ce centre de la foi chrétienne : la foi en un Dieu, qui est Amour, incarné en Jésus, ressuscité des morts ? Combien parmi les 4.5% de "messalisants" (pour reprendre le jargon d'Ipsos) ?
Une nécessaire conversion
Puisque mes lecteurs tolèrent que De Gaulle ait pu chanter les grandeurs de la France tout en considérant que "les Français sont des veaux", qu'ils me permettent de louer le catholicisme comme expression du christianisme, en reconnaissant que nous, catholiques de tous bords, sommes souvent bien loin du christianisme authentique. Nous sommes tous appelés -mais de manière différente pour chacun- à avancer au large, à prendre des risques, bref: à ne pas s'endormir dans le réconfort de nos certitudes.
Les deux points qui suivent nous concernent tous. Certes, l'identitaire est souvent plus présent chez les pratiquants que chez les autres, comme la bien-pensance chez les non-pratiquants, mais tous, quelque soit notre degré de pratique religieuse, nous souffrons dans une certaine mesure de ces deux travers.
Accepter le dépouillement d'une certaine forme d'identité
Timothy Radcliffe6 défend dans son dernier livre 7 l'idée que, chaque fois que nous nous accrochons à l'identitaire, c'est que nous manquons de confiance dans le Christ, c'est que notre foi est encore à nourrir. Je cite :
Les chrétiens sont encore tentés par des identités bâties sur la supériorité et l'exclusion. Les catholiques romains savourent parfois in petto un sentiment de supériorité par rapport aux chrétiens d'autres confessions (« nous, catholiques de souche »), tandis que d'autres chrétiens laissent entendre que Rome est toujours « la Prostituée de Babylone » ou du moins se félicitent d'être affranchis de la tyrannie du Vatican [...]
Comme l'écrit élégamment James Alison : "Nous sommes invités à subir un changement de perspective assez étrange, en prenant conscience d'une largeur d'esprit qui veut me détourner de mon absorption dans une identité trop petite, toujours défendue contre quelque autre individu ou groupe ; une largeur d'esprit qui m'amène tout en douceur à recevoir une identité qui ne peut être mienne que dans la mesure où c'est l'autre qui me la donne"
Pour le catho identitaire, prendre des risques, c'est accepter un dialogue avec le monde dans un langage qui lui est proche ; dialogue risqué car il risque d'ébranler nos certitudes, ce qui est toujours difficile a priori. Mais il y a un trésor à gagner, c'est celui de l'incarnation : que la foi ne soit plus seulement une masse de concepts, mais que nous voyions le reflet de ce corps du Christ, adoré religieusement dans l'hostie, dans nos frères qui souffrent.
Accepter le passage à l'âge adulte
La majorité des français se disent donc catholiques, mais il est de notoriété publique (depuis une enquête déjà publiée dans la Croix) que parmi ces 64%, une grande partie ne croit pas dans la divinité de Jésus ni dans sa resurrection, préférant voir en lui un "grand maître". Beaucoup partagent un certain nombre de valeurs catholiques (oui, l'amour du prochain est toujours classé dans les valeurs catholiques, peut-être grâce à certains groupes catholiques d'action sociale) mais rejettent en bloc l'enseignement de l'Eglise sur d'autres sujets (notamment les questions morales et liées au respect de la vie).
Certains vont à la messe et se déclarent, faussement humbles, "simples laïcs" chaque fois que leur est proposée une formation pour creuser leur foi, pour l'approfondir, l'enraciner. Ils préfèrent leur foi d'enfant, faites de bons sentiments, à la complexité du mystère qui relient leur vie humaine à la vie divine. Timothy Radcliffe, parlant de l'homélie, dit ainsi8 :
La première étape de l'écoute, nous l'avons vu, était un état de réceptivité passive [...] Paul avait commencé par donner du lait à boire aux Corinthiens comme à « de petits enfants dans le Christ » (1Co 3,1) mais le temps est venu de passer à une nourriture solide, qu'il faut mâcher
Si Dieu veut que nous soyons semblables aux petits enfants (Mt 18,4), il nous dit aussi d'être "prudents comme les serpents, et simples comme les colombes" : la simplicité à laquelle nous sommes appelés n'est pas un simplisme et Dieu attend que vous mettiez toutes les capacités qu'Il vous a données à Le rechercher.
D'autres se disent "catholique, mais non pratiquant". Je vais forcer le trait pour être entendu, mais prenez le avec la plus grande affection : vous pourriez aussi bien vous dire nudistes-non-pratiquants. Et par pratique, je n'entends pas nécessairement la messe dominicale et la fréquentation des sacrements9 mais si vous ne lisez pas la Bible, que vous n'allez pas à la messe, ne suivez pas de formation théologique, n'appartenez à aucune communauté de croyants, ne priez pas, Dieu passera à côté de vous et vous ne le verrez pas, faute d'avoir mis les bonnes lunettes. C'est comme espérer apprendre les maths sans faire ni calcul, ni géométrie, ni algèbre, ni analyse.
La foi n'est pas un ensemble de proposition auxquelles il faut adhérer sans les comprendre pour avoir le Salut ; c'est venir à la rencontre de votre créateur ! Comment le connaître si vous lui posez des lapins, si vous ne l'écoutez pas, ne lisez pas ses lettres. Dieu ne s'intéresse pas tant à ce que vous savez de lui qu'à qui vous êtes ; mais c'est à son contact seulement que vous pouvez vraiment être.
Catholique®, une marque déposée ?
L'enquête d'Ipsos commence par adopter -sans précaution aucune- une définition arbitraire du catholique ("celui qui se déclare tel"), pour ensuite dresser un profil sociologique de la population délimitée. Ce faisant, elle analyse ce qu'elle appelle les « catholiques sociologiques » (sic) ; en fait, elle se borne à constater que la majorité des français compte parmi ses ancêtres des catholiques. Cela ne nous dit pas ce qu'est le catholicisme. C'est encore plus risible que de proposer à l'Église de suivre leur opinion majoritaire. Que dirait-on d'un journal qui suggèrerait à l'équipe dirigeante du PSG de suivre pour le gouvernement du club l'opinion majoritaire parmi tous les proches et descendants de ses supporters ?
Présenter ainsi le catholicisme n'est ni neutre, ni anodin. Cela sert une idéologie : Terras, dans l'interview du Point, prétend que les catholiques "boycottent la messe" en raison de leur désaccord avec la hiérarchie de l'Eglise. Or, les chiffres de l'Ipsos montrent le contraire : si c'était le cas, la baisse du catholicisme serait compensée par une hausse sensiblement équivalente de l'adhésion à des confessions chrétiennes supposées plus libérales ou plus "progressistes". Ce n'est pas le cas : les statistiques montrent que ceux qui quittent l'Église rejoignent les rangs des "sans religion".
Progressiste ou tradi, une fausse question
La question n'est pas tant de savoir qui est progressiste ou qui est traditionnaliste, que de savoir qui reconnaît Jésus comme son Maître, comme le Fils de Dieu. On a cru longtemps qu'on était catholique de père en fils10. On sait aujourd'hui que la relation personnelle au Christ est l'essentiel (même si sa forme et son expression varient).
Emmanuel Mounier, fondateur de la revue Esprit, avait perçu -dès 1940- la sociologisation du catholicisme français comme la menace principale contre le catholicisme. Je cite11 :
De père en fils, on voit se développer en milieu formellement chrétien un complexe d’infériorité collectif mal avoué. Sous une pratique extérieure encore solide, un cœur incertain accepte secrètement l’infériorisation publique de la vie chrétienne. Les uns sont encore convaincus de la vérité finale du christianisme, mais leur foi débile se faisant battre sur tous les terrains immédiats, ils lâchent partout du lest. D’autres, au contraire, restent attachés à un style de vie chrétien, à une certaine atmosphère morale, mais au fond d’eux-mêmes ils tiennent le reste pour mythologie. Ces duplicités gardées dans l’ombre contribuent beaucoup plus que les obstacles extérieurs à ce manque d’assurance et d’assiette qui dénonce si fréquemment aujourd’hui l’homme religieux. p29
Ce catholicisme sociologique fait réellement obstacle à ceux qui, issus d'un autre milieu social, sont en recherche spirituelle :
L’ouvrier moderne, pour entrer dans une sphère de vie chrétienne, n’est pas tant arrêté par le saut spirituel de l’incroyance à la foi, que par le dépaysement sociologique où l’appelle le style de vie moyen des chrétiens pieux. « Il leur semble que, pour aimer le Christ, il leur faudrait accepter comme une déchéance, comme un amoindrissement de leur personnalité de rude travailleur » et ils se refusent à ce qui leur apparaît comme une perte d’humanité. p28-29
Le danger des abus de langage
On a donc pris l'habitude, en France, d'appeler catholiques des gens qui ne partagent que peu la doctrine de l'Église12. Je propose ici d'en réserver l'usage aux personnes qui acceptent explictement la doctrine de l'Eglise. Vous me direz « qui es-tu pour dire qui est ou n'est pas chrétien ?» ou « un homme qui n'adhère pas à la doctrine catholique ne peut-il pas être plus catholique, plus proche de l'esprit du Christ, que ceux qui y adhèrent ? »
Ces objections sont très justes, charitables, et pleines de tact. Mais elles posent un certain nombre de soucis, que j'illustrerai en empruntant un exemple à C.S. Lewis13 :
Le mot gentilhomme désignait à l'origine un groupe bien reconnaissable, bien défini : les propriétaires terriens qui possédaient une cotte de mailles. Quand vous qualifiiez quelqu'un de 'gentleman', vous ne lui adressiez pas un compliment, vous énonciez ce simple fait. A l'inverse, dire de quelqu'un qu'il n'était pas un 'gentleman' n'avait rien d'une insulte, mais une simple information. On pouvait ainsi être un gentleman malhonnête, sans contradiction.
Des gens très justes, charitables et pleins de tact diront alors « mais ce qui est important, pour un gentleman, ce n'est ni ses terres, ni sa cotte de mailles, mais son comportement.» Ils seront pleins de bonnes intentions. Être honnête et courtois est en effet plus important que de posséder des terres et une cotte de mailles. Mais ce n'est pas la même chose. Il devient alors plus difficile -et il sera difficile de mettre tout le monde d'accord- de dire qui est un gentleman ou non. Le mot 'gentleman' cesse de porter une information, pour ne plus être qu'un compliment. Le mot lui-même devient alors inutile, alors que nous avions déjà de nombreux mots pour complimenter quelqu'un.
(Se) communiquer en vérité
De la même manière, le mot catholique ne devrait être utilisé que pour désigner ceux qui partagent l'adhésion à la doctrine de l'Eglise catholique, sans jugement de valeur sur ceux-ci ou celle-là. Pour ceux qui partagent certaines conséquences de la foi catholique, comme l'amour du prochain, il y a d'autres mots : humaniste, philantrope etc..
Il est plutôt élogieux de voir que de nombreuses personnes veulent utiliser votre nom14, mais il faut pouvoir le refuser, car celui-ci cesse alors de vous désigner pour devenir un mot vide. C'est ce qui arrive avec ses ONGs qui utilisent le nom de Mère Térésa, ou de Benoît XVI.
Nul doute que, lorsque nous serons proches du Christ, nous serons marqués par sa grâce, que nous aurons notre "marque réservée" : la vocation du catholique est de se laisser marquer par le Christ. Mais n'anticipons pas ce jour en tentant de nous grimer artificiellement de symboles identitaires (quelles que soient la grandeur et la beauté de leur signification profonde).
- 1. pour ceux qui ne le connaissent pas, le directeur de Golias, revue qui se prétend catholique progressiste mais qui n'est ni catholique ni progressiste (dans le sens où le progrès consiste à aller vers un mieux, et où pour le suivre il vaut mieux parfois faire un 180° -ça s'appelle une conversion, en jargon- que de se lancer dans une fuite en avant pour avoir l'air in).
- 2. Je ne critique absolument pas l'usage du latin, ou n'importe quelle tradition ici : Dieu sait que j'y suis au moins autant attaché que les lecteurs qui pourraient être choqués par mes propos. Mais je refuse la facilité qui consiste à faire de ces traditions un "bouclier anti-païens", et cette dimension répulsive de l'identitaire survient très vite lorsque le symbole ou la tradition devient un objet de discorde entre chrétiens. On est alors comme des randonneurs qui, plutôt que de marcher vers le sommet, préfèrent disserter sur la qualité de leurs cartes respectives.
- 3. sans préjudice de la volonté de dialogue
- 4. Notre vision de Dieu et de l'homme est déjà radicalement différente de celle du monde. Si, en plus, elle est exprimée dans un langage que le monde ne comprend pas, alors elle devient proprement inacessible
- 5. qui mérite d'être lue en entier, d'autant plus qu'elle est courte
- 6. anciennement maître de l'Ordre des frères précheurs, ou dominicains
- 7. "Pourquoi aller à l'église", p239-240
- 8. ibid, p80
- 9. que je recommande cependant
- 10. et ce modèle était possible à une époque : en ces temps la foi du charbonnier n'était pas vécue comme une infantilisation, car il était autrefois possible d'être réellement adulte dans la simplicité, dans la mesure où le but ultime est d'apprendre à aimer. La théologie n'est nécessaire que pour les esprit tordus, qui vivent dans un monde beaucoup plus complexe que par le passé. De nombreuses âmes qui ont reçu la grâce de la simplicité, la capacité à rester dans la confiance, trouvent leur chemin vers Dieu simplement, par la petite voie thérésienne
- 11. E. Mounier, l'Affrontement Chrétien
- 12. il ne s'agit pas pour nous ici de le leur reprocher, mais simplement de le constater honnêtement
- 13. dans la préface de C.S. Lewis, Mere Christianity
- 14. un peu comme ces universités dont les diplômes sont falsifiés