Enfants de Dieu
Nous fêtons demain la fête de la Sainte Famille et je voudrais évoquer cet amour dont Dieu nous a comblé, qui fait de nous ses enfants. Toute famille repose sur deux piliers (complémentaires et répartis, différement dans chacune, entre le père et la mère) : l'amour et la loi. Nous connaissons tous ces familles chez qui l'amour a disparu et pour qui la loi devient un cadre abstrait, vite intolérable par sa rigidité ; nous connaissons aussi celles qui, ayant renoncé à la loi, ont beaucoup de mal à vivre l'amour. C'est l'amour que les parents ont pour leurs enfants qui les conduisent à leur donner des règles qu'ils pensent justes ; c'est l'amour des enfants pour leurs parents qui les conduisent à les suivre.
Entrer dans la famille de Dieu
« Il leur était soumis. » Jésus a clairement manifesté à ses parents son appartenance au Père, mais ceux-ci ne l'ont pas encore compris et lui disent leur souffrance : il rentre alors à Nazareth avec eux et leur obéit. Plus tard, c'est à son Père qu'il obéira en donnant sa vie. L'obéissance à la loi, on le voit ici, n'est pas opposée à l'amour : elle est au coeur de l'amour.
« Voyez comme il est grand, l'amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu - et nous le sommes ! » dit la lettre de Jean, lue ce dimanche. Voici le coeur de l'amour : Dieu veut faire de nous ses fils. Face à cette volonté de Dieu, nous pouvons jouer les adolescents, rebelles parce qu'ils ne se croient pas vraiment aimés. Nous pouvons ne voir que la loi et être irrités par ce paternalisme. La loi se résume à : « Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toutes tes forces et tu aimeras ton prochain comme toi-même » et pourtant, aucun de nous n'est capable de la suivre à 100%.
Jean dira ailleurs (1Jn 4,10) : « En ceci consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est Lui qui nous a aimés ». L'amour, ce n'est pas tant que nous aimions Dieu que Lui nous aime. Nous mettons parfois trop l'accent sur l'amour que nous devons pratiquer, en le détachant de ce qui nous permet de le pratiquer, à savoir l'amour de Dieu qui vient en premier. La loi, c'est toi qui aimes (ou essaies d'aimer) Dieu ; la grâce, c'est Dieu qui t'aime.
Jean, modèle pour les enfants de Dieu
Comment comprendre cela ? concentrons-nous sur une personne qui a compris cela bien plus vite que nous, et bien mieux que je ne saurais l'expliquer : Jean. Jean est appelé « le disciple que Jésus aimait. » On entend cette expression souvent si l’on va à l’Église. Et l’on peut être tenté de croire que Jean est spécialement aimé par le Seigneur. Jusqu’à ce que l’on réalise que cette expression n’est utilisée… que dans l’Évangile de Jean !
Imaginez 5 secondes que vous écrivez votre journal, et qu'au lieu de dire : « aujourd’hui j’ai suis allé au cinéma avec Pierre et Jacques », vous disiez « aujourd’hui, Pierre, Jacques et le disciple que Jésus aimait sont allés au cinéma » !!! Est-ce que Jean a cru qu’il était meilleur que les copains ? Je ne crois pas... Alors qu’a-t-il voulu dire, ou faire ? Il s’entraîne à réaliser que Dieu l’aime ! Nous ne pouvons nous aimer les uns les autres, et aimer Dieu qu’une fois que nous avons pris conscience de l’Amour de Dieu pour nous !
L’expression « le disciple que Jésus aimait » apparaît à plusieurs reprises dans l’Évangile de Jean.
- La première fois, en Jean 13,21-30. On nous dit qu’il se tenait tout contre Jésus. Il ne repose pas sa tête sur sa propre poitrine, il se repose sur le Seigneur. C’est d’ailleurs à cela qu’on reconnaît Jean dans l’iconographie.
Ce passage correspond à l’annonce de la trahison de Juda. Jean est dans l'amour de Jésus. Pierre, à l’inverse, est dans le registre de la loi. « Seigneur, même si tous ici te trahissaient, il est hors de question que moi je te trahisse ». On connaît le résultat : avant que la nuit ne s’achève, il a par trois fois nié avoir même jamais connu Jésus ! Où trouve t-on le disciple que Jésus aimait ? Au pied de la Croix. Le premier résultat de la connaissance de l’amour de Dieu pour nous est que nous retournons toujours à la source de cet amour, qui est la Croix. L’amour de Dieu pour nous y est constant et invariant.Zoom...Vous savez parfois, on sort d’une retraite, et on plane spirituellement. On pense alors narcissiquement « je me débrouille pas si mal ». Et au lieu de contempler l’amour du Christ, on contemple notre nombril. Trois jours après, la gamelle spirituelle est inévitable : « Tout ce qui monte doit redescendre »... et l'ego ne fait pas figure d'exception.
J’appelle ça les montagnes russes spirituelles ! Si vous êtes sur un bateau, et que vous avez le mal de mer, que faites-vous ? Vous gardez les yeux fixés sur un point fixe. Notre foi varie, l’amour de Dieu est constant. Nous devons ainsi arrêter de nous fixer sur ce qui est changeant, pour garder les yeux dirigés vers ce que ne change pas : l’Amour du Père ! Et alors, on retrouve la stabilité.
Et l’on doit garder les yeux fixés sur cet amour même lorsque l’on ne sent rien. 1Jn 4,16 ne dit pas « nous avons reconnu et ressenti l’amour de Dieu », mais nous avons « reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru » ! Ressentez-vous à chaque minute l'amour de vos parents pour vous ? Doutez-vous pour autant qu'ils cessent jamais de vous aimer ?
Ce n’est pas une question de preuve. Avant même que Jésus n’ait accompli un seul miracle, au Jourdain, Dieu a déchiré les cieux pour lui et a dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur ». Qu’est ce qui vient juste ensuite dans l’Évangile ? C’est la tentation de Jésus ! Et comment le diable s’y prend ? Il lui dit : Si tu es le Fils de Dieu, change ces pierres en pain ; Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas. On retrouvera ça ensuite dans les évangiles « Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même, descends de la croix», etc. Ce que le diable omet, c’est le terme « bien-aimé » : il sait que rappeler à Jésus qu’il est bien-aimé est complètement contre-productif pour sa tentation ! C’est l’amour du Père seulement qui permet au(x) fils de vivre dans l’amour.
Une raison pour laquelle les gens refusent la morale chrétienne et ses vertus, c’est parce qu’ils n’ont pas ce sens des valeurs… ou plutôt de la valeur, leur propre valeur qui est d’être fils bien-aimés de Dieu ! Nous devons les nourrir de l’amour de Dieu, et non essayer d’extraire à la pioche l’amour de leurs cœurs desséchés !
Képhas en hébreux signifie Pierre. Jean signifie la grâce de Dieu. Le premier résultat de la grâce, c’est l’intimité avec le Seigneur. Dans le même passage, quand Jésus déclare qu’il va être trahi, Pierre ne demande pas à Jésus qui c’est. Il demande à Jean de demander à Jésus qui c’est. Alors, « se penchant vers la poitrine de Jésus », il lui demande et Jésus lui répond !
- Devant la croix, il y avait Marie et le disciple que Jésus aimait. Alors Jésus dit « Mère, voici ton fils. Fils, voici ta mère ». Le second résultat de la grâce, c’est de se tenir au pied de la croix. Imaginez que Jean était avec Jésus au moment le plus difficile. Imaginez comment il a pu être une bénédiction pour Jésus. Nous aussi pouvons être la joie du Père.
Arrêtez-vous une seconde et contemplez : Jean entre dans la Sainte Famille. Le second résultat de la grâce, c’est aussi de bénéficier de l’intercession de Marie, comblée de grâces, et de se voir confier par Dieu nos frères, littéralement sa propre famille.
- La troisième fois que cette expression apparaît, c’est à la résurrection. Marie Madeleine vient voir Pierre et le disciple que Jésus aimait et leur dit « on a enlevé le Seigneur ». Pierre et Jean courent tous les deux vers le tombeau, et l’autre disciple arrive avant Pierre. Le troisième don de la grâce, c’est de progresser dans la connaissance du Seigneur.
- La quatrième mention du disciple que Jésus aimait est après la résurrection, sur le lac de Galilée. Après une journée de pêche, les disciples rencontrent un homme qui leur dit de jeter les filets de nouveau. Face à la pêche miraculeuse, « le disciple que Jésus aimait s’écrie : c’est le Seigneur ». Le quatrième don de la grâce, c’est de reconnaître facilement l’œuvre de Dieu. Pierre, lui, a besoin de Jean pour reconnaître Dieu.
Zoom...
Le Seigneur veut que vous receviez Son amour : vous ne pouvez rien donner tant que vous n’avez pas reçu. Quand Jésus est reçu chez Marthe et Marie, Marthe s’attache à servir le Seigneur tandis que Marie repose à ses pieds et l’écoute. Et Marthe a ses raisons de critiquer Marie, car dans la culture du moyen orient, ce que Marie fait est complètement discourtois.
Et Marthe de dire « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur me laisse servir toute seule ? » On en connaît tous, des personnes qui se laissent submerger par les tâches matérielles et en viennent à critiquer deux personnes : leurs frères et Dieu ! Mais Jésus répond : « Marthe, Marthe, tu te soucies et t’agites pour beaucoup de choses ». Beaucoup de choses. « Et pourtant il en faut peu 1, une seule même ». Une seule.
Croyons nous réellement que la seule chose qui compte est de se tenir aux pieds de Jésus, de demeurer en son amour, et de contempler sa beauté ? Oui, il y a un monde qui souffre, et qui a besoin de notre service. Mais écoute ! La seule chose nécessaire est de se tenir en sa présence. Car c’est en accomplissant cette unique chose que nous pourrons être capables de rendre au moment choisi par Dieu l’unique témoignage à son fils.
Marthe voit "que Jésus est fatigué". Marie voit Jésus. Ne nous soucions pas trop vite des œuvres, sous peine de faire nos oeuvres pour Dieu, plutôt que l'oeuvre de Dieu : le temps viendra !
- Une dernière fois, le disciple que Jésus aimait apparaît. Après la scène sur le lac, Jésus réconcilie Pierre avec lui, l’institue chef de l’église et lui prédit de quelle mort il devra mourir. Il ajoute « suis-moi ». Premier réflexe de Pierre, il se retourne… et voit le disciple que Jésus aimait, qui suit déjà Jésus, lui. Il demande « Seigneur, et lui ? ». Jésus lui réponds quelque chose qui ressemble à ‘mêle-toi de tes oignons’ : « Que t’importe ? ».
Le cinquième don de la grâce, c’est de suivre le Christ. Pas pour être meilleur que le voisin, comme certains enfants se font parfois concurrence pour l'amour de leurs parents. Mais justement parce que notre Père nous aime chacun, individuellement. Parce qu'il a fait de chacun de nous son fils, sa fille, adoptifs.
Après avoir contemplé l'humilité de Dieu qui vient comme un petit enfant, choisissons d'accepter le don qu'il nous fait : de devenir les enfants de Dieu. Nous entrerons dans l'intimité avec Lui, intimité qui nous conduira à Le servir, à progresser dans Son amour, à reconnaître Ses oeuvres dans nos vies et, à sa suite, à faire par amour le don de nos vies.
- 1. comme dit la chanson : pour être heureux