Erreur sur la Personne
Le Nouvel Obs reprend une dépêche de l'AP, qui annonce que l'Eglise de Suède aurait donné son aval au mariage homosexuel. On prend le vocabulaire ecclésial -synode, archevêque, prêtres-, on mélange et... on relaie l'information telle quelle dans notre pays, de culture très différente à la Suède. Le résultat pourrait donner l'impression que l'Eglise catholique reconnaîtrait le "mariage homosexuel"1.
Seulement, il ne s'agit absolument pas de l'Eglise catholique, mais luthérienne, séparée ; on n'y trouve point de prêtres (au sens catholique du terme, c'est à dire de ministre du culte agissant in persona Christi lors de l'eucharistie) mais des pasteurs. La confusion des genres est savamment entretenue par le Nouvel Obs, qui mise manifestement sur une erreur sur la personne.. Par esprit d'oecuménisme, jetons toutefois un oeil à la vision luthérienne, pour éprouver ses fondements.. Nous verrons que la vision catholique du corps n'en resplendira que plus certainement.
La position de l'Eglise luthérienne de Suède.
Regardons plus avant cette décision de l'Eglise luthérienne. Dans un document, elle explique le mouvement en ce sens par le fait qu'elle se doit de suivre la société (jusqu'à récemment, le luthéranisme était religion d'état en Suède : ses ministres sont officiers d'état civil). Ce document est intéressant à plus d'un titre, car il comporte à partir de sa 23ème page une partie sur les "considérations théologiques à propos du mariage homosexuel" : en réalité, si on lit bien, il y a peu de théologie.
On y lit en effet plus le processus -d'ailleurs très bien décrit dans l'introduction- de lobbying que d'arguments théologiques. Ceux-ci sont d'une pauvreté déconcertante. Résumons-les :
Un premier argument2 se résume ainsi : « la Bible ne porte pas en elle une vision précise du mariage ; d'ailleurs, on y voit de nombreux mariages polygames ». Ce qui est amusant avec cet argument, c'est qu'il s'auto-disqualifie, sauf à légaliser la polygamie3.
Deuxième argument : « A l'époque, pour les juifs, le mariage était un arrangement familial sous couvert de religieux ; pour les romains c'était un moyen d'assurer l'héritage ». C'est atterrant de lire ce genre d'argument juste après une citation d'Ephesiens 5,31-32... qui rappelle que le mariage révèle à la fois la vocation première de l'homme et de la femme à l'unité, et sa réalisation eschatologique. Sous couvert d'un relativisme historique ainsi présupposé, le document affirme que, si le mariage est lié à la sexualité, la question de la nature de cette sexualité serait restée ouverte jusqu'au moyen-âge.. tout en reconnaissant4 que jusqu'à nos jours, il a toujours été perçu comme l'union d'un homme et d'une femme.
Troisième argument5 : selon Luther, le mariage existant avant la révélation ; n'appartenant pas à la vie éternelle ; étant universel et non spécifique aux chrétiens, il n'appartiendrait qu'à l'ordre séculier. Passez votre chemin, rien à voir avec la théologie, en somme. Seconde idée luthérienne : la loi est de l'ordre de la raison, l'évangile n'a pas à intervenir dans ce domaine6. En bref : le fait que vous soyiez chrétien n'a aucune influence sur la manière dont vous devez vous comporter, ce qui constitue l'essence du droit.
Quatrième argument, qui est proche : dans la vision luthérienne, le mariage n'est pas un sacrement. Pour résumer, Dieu se fiche de ce que vous pouvez bien faire de la vie qu'il vous a confiée, alors vivez comme bon vous semble.
Tout en reconnaissant que l'un des objectifs du mariage est la procréation, et que celle-ci ne se fait que dans la complémentarité des sexes, le document élargit -ou plutôt dissout- la procréation dans une fonction symbolique de reproduction, que le couple homosexuel assurerait.
Le document l'affirme7: s'il n'est "pas question d'accepter tout changement social au nom du concept du dynamisme de la Création [...] le but de la création est de servir l'homme, de nous aider à montrer de l'amour pour nos frères humains". Cinquième argument donc, dans ce document, en faveur de la licéité du mariage homosexuel : le souci du faible, dont le prototype est bien entendu vu dans la personne homosexuelle qui revendique son droit au mariage. En résumé : victimisez-vous, et l'Eglise du Suède réécrira la bible s'il le faut pour vous satisfaire. (Notez d'ailleurs que l'idée que l'enfant puisse être le faible dans ce contexte n'a germé dans l'esprit du rédacteur... qu'à la page 36)
Sixième argument : la complémentarité des sexes n'est pas nécessaire à l'accomplissement de la personne ; la preuve Jésus est resté célibataire et on ne peut pas dire de lui qu'il était incomplet. Ont-il vraiment lu l'Evangile sur cette question ?
Septième argument : la Bible a besoin d'être interprétée à la lumière d'aujourd'hui, car ne dit-elle pas l'homme supérieur à la femme ? Nous avons passé suffisamment de temps ici à réfuter cette idée, qui vient d'une mauvaise compréhension de ce que Saint-Paul voulait dire déjà à l'époque et d'une vision caricaturale du progrès qui nous amène à le reléguer facilement au rang de barbare.
Huitième argument : selon le document8, il serait anachronique de croire que Jésus parle -dans Mc 10 (quand Jésus parle de la fidélité dans le mariage)- spécifiquement du mariage homme / femme. Le rédacteur tient le raisonnement suivant : puisque Jésus parle de fidélité, et que celle-ci peut se vivre dans le couple homosexuel, alors il n'a rien contre. Faux. En fait, Jésus parle de fidélité dans le cadre du mariage -dont il a déjà évoqué la nécessité de complémentarité sexuelle- et le fait que Jésus ne condamne pas l'homosexualité à chaque parole qu'il prononce sur un sujet qui n'a rien à avoir ne suffit pas à faire de lui un de ses partisans !
Neuvième argument (un des plus pernicieux, je vais d'ailleurs le citer verbatim tellement c'est horrible) : Après avoir évoqué le fait que la science permet techniquement la paternité / maternité biologique des personnes homosexuelles, le document affirme donc9 « s'il est vrai que la famille unie par le mariage constitue pour l'enfant le meilleur cadre de vie, alors il est discriminatoire pour les enfants de parents homosexuels de leur interdire de grandir dans une famille consolidée par les liens du mariage.» C'est oublier que le mariage constitue un cadre de vie par sa nature (l'union libre, totale, fidèle et féconde d'un homme et d'une femme) et non par l'étiquette sociale "mariage" accordée indépendamment de la réalité qu'elle recouvre.
Dixième argument : l'état suédois a voulu créer un "partnership" (un contrat civil) qui ne porte pas le nom de mariage. L'Eglise luthérienne de Suède récuse ce contrat... et pour ce faire, accepte le "mariage homosexuel". La logique est ici tout simplement absente.
En résumé...
La vision développée dans ce document de l'Eglise luthérienne est tellement pauvre que l'on peut craindre que, quand bien même les fidèles ne la fuieraient pas d'instinct à l'annonce de cette reconnaissance du "mariage homosexuel", ils le feraient certainement en voyant l'abîme intellectuel et théologique qui a servi à le justifier.
Elle repose sur une conception naturaliste de la sexualité, et une vision strictement sociale du mariage, qui perd complètement de vue le sens de notre vie, de notre corporéité et de notre sexualité dans le plan de Dieu. A aucun moment, elle ne cherche à comprendre qui nous sommes vraiment et, en conséquence, fait erreur sur la Personne. J'invite ceux que ce sujet intéresse à lire notre présentation -certes imparfaite- de l'enseignement de l'Eglise catholique sur ce sujet.
- 1. Il nous semble que la lecture de notre site suffit à montrer en quoi c'est un oxymore
- 2. Partie 3, p 25
- 3. malgré les tentatives pitoyables de récuser cet argument p39-40, qui montrent bien une gêne des rédacteurs
- 4. p30
- 5. p27 du document
- 6. je cite ici le document... !
- 7. p32
- 8. p35
- 9. toujours p36, incroyable ce qu'on peut dire d'idioties en une page