Card. Schönborn : "On ne cherche pas un super manager, mais un homme de Dieu"
Le célibat pose aujourd'hui question : naturellement incompréhensible pour la société -puisqu'enraciné directement sur le Christ, qu'elle rejette- il est devenu également source de contestation dans l'Église. Ainsi, le comité de la jupe, créé après une phrase malheureuse de Mgr Vingt-Trois, ne supporte pas la rivalité de la soutane. Mais nous y reviendrons plus tard : nous ne souhaitons pas faire du célibat un lieu de discorde et faire un premier billet sur le sujet "en réaction à" ne nous semble pas approprié... même si nous nous réservons le droit d'entrer en dialogue plus tard. Pour l'heure, nous souhaitons aborder cette question "positivement" et découvrir avec nos lecteurs la beauté du célibat consacré.
La place des consacrés n'est pas une donnée sociologique
Le Cardinal Schönborn, qui a prêché à Ars la retraite sacerdotale internationale au début du mois, répondait aux questions de Famille Chrétienne sur sa vision du célibat et du sacerdoce. On ne saurait l'accuser de nier les questions que suscite le célibat, puisque c'est lui qui avait porté à la connaissance du cardinal Hummes une pétition de laïcs autrichiens. Sa vision du célibat est pourtant très positive. Il réfute l'argument comme quoi la crise des vocations, et la charge croissante qu'elle provoque, devrait conduire l'Eglise à abandonner le célibat : « les études sociologiques sur les prêtres en Europe disent cette chose surprenante : la plupart d'entre eux -même s'ils râlent parfois- sont heureux ; leur vie leur procure beaucoup de joie ».
Ces hommes et femmes qui se consacrent au Christ ne possèdent pas grand-chose, et parfois rien. Comme lui, ils ont choisi de ne pas tenter d'avoir une pierre où poser la tête. Ils choisissent, dans l'obéissance, de renoncer à l'empire de leur propre volonté (ce qui ne signifie pas l'abandon de leur liberté). Enfin, ils vivent de vivre la chasteté1 d'une manière particulière, la continence. En bref, selon les critères du monde, ils ont tout pour être malheureux. Qu'est-ce qui fait courir le célibataire consacré ? Mgr Schönborn répond : « S'il vit son sacerdoce comme un grand don de lui-même -ce qui est le cas de la plupart des prêtres-, s'il aime Jésus et les personnes qui l'entourent, inévitablement, il sera heureux ».
Cela ne veut pas dire que le célibat est chose facile : dans l'idéal, le célibataire n'a pas choisi de suivre sa vocation par dédain du mariage ou des femmes et, il peut être tentant, dans les moments de difficulté, d'y chercher une consolation. Le célibat n'est pas un renoncement à l'affectivité, qui est l'une des expressions naturelles de l'amour. Ainsi, le cardinal invite les prêtres à nouer des relations fraternelles entre eux mais également avec les familles et, concrètement, à leur « réserver du temps dans l'agenda ».
Enfin, les consacrés ne sont pas des 'managers de paroisses'. Il peut être tentant d'y consacrer toute son énergie, mais il s'agit probablement d'une fuite, comparable à celle de ces cadres qui rentrent toujours plus tard du travail. Les laïcs sont pleinement capables, sous le regard bienveillant du prêtre, de mener un certain nombre d'activités pastorales. Vouloir s'identifier à son activté est réducteur : le prêtre -et plus largement le ou la célibataire consacré(e)- est avant tout un « homme de Dieu ».
Se dépouiller d'un rôle reconnu -manager- peut être vécu par le consacré comme un sacrifice de plus : pourtant, l'histoire de Marthe et Marie montre qu'en faire la source de notre identité représente un réel danger. Cet abandon est d'autant plus difficile dans une société française fondée sur le statut. Jean-Marie Vianney était "à l'écoute des paroissiens. Partant de la réalité de leur quotidien de simples paysans, il donnait constamment l'impression de vouloir les "tirer vers le haut". Il les rendait responsable du bien commun en leur mandant de réaménager le cimetière, d'entretenir l'église, d'organiser des fêtes qui ne fussent plus des lieux de perdition. Il était convaincu que l'éducation et l'enseignement catéchistiques stimuleraient les âmes pour les conduire vers la sainteté"2.
La tentation de réduire le célibat -et les célibataires consacrés- à l'expérience que nous en avons
La majorité d'entre nous trouve son bonheur dans le mariage et nous avons du mal à comprendre comment le célibat consacré peut être choisi. C'est parfaitement normal ! Jésus l'affirme clairement lorsqu'il évoque le célibat consacré : "ce n'est pas tout le monde qui peut comprendre cette parole, mais ceux à qui Dieu l'a révélée". Faut-il pour autant en conclure qu'il ne soit pas désirable ? Gardons-nous en ! Le Christ a mis en effet sévèrement en garde les apôtres contre la tentation de vouloir s'immicer dans la vocation de l'autre3. Si nous ne percevons pas la beauté du célibat consacré, peut-être devons nous nous interroger sur la justesse de notre vision du mariage, tant les deux sont complémentaires.
Nous ne percevons ainsi pas la beauté du célibat en nous-mêmes ; de plus, nous voyons dans nos communautés certains prêtres qui doutent de leur vocation et d'autres qui, l'ayant abandonnée, en revendiquent l'abolition. Ceux-là sont médiatisés : on ne parle pas des trains qui arrivent à l'heure et quel journal télévisé oserait un sujet sur un prêtre qui trouve sa joie dans sa vocation ? De manière assez pathétique, nous cherchons aussi dans nos prêtres une perfection illusoire, et parce qu'ils ne peuvent supporter ce fardeau, nous les disqualifions.
Il devient alors tentant de nier la possibilité du célibat consacré. C'est assez pratique, car ça nous permet, en évinçant le curé, de nous hisser nous-même au rang de 'manager de paroisses', d'être le GO4 d'une communauté. Bref, c'est gratifiant. Ca nous dispense de faire preuve d'humilité, vertu il est vrai assez peu à la mode, et de remiser les conseils évangéliques qui, il faut le dire, sont assez encombrants quand on veut vivre pour soi-même et pour son propre besoin de reconnaissance.
En abaissant le consacré, on espère élever le laïc : cette idée procède d'une vision distordue de l'Église et des vocations, qui hiérarchiserait célibat et mariage, alors qu'ils s'expliquent mutuellement. Le premier n'est que l'accomplissement anticipé, certes perfectible, de ce que le second préfigure : la communion avec le Christ. Lorsque nous récusons la place des consacrés, cherchons-nous réellement le Christ ? Cherchons-nous à nous faire pauvres et serviteurs, ou à être les maîtres ?
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'apostolat laïc, mais il ne doit pas se faire au détriment des consacrés. La moisson est abondante et les ouvriers peu nombreux, dit-on5 : pourquoi mettre au chômage les uns pour embaucher les autres ?6 Continuons sur notre incursion dans l'économie... un phénomène que les économistes connaissent bien est la dévalorisation des ressources gratuites : en d'autres termes, laïcat et sacerdoce ne se valorisent mutuellement pas assez.
Mesurons-nous réellement la beauté du don de leur vie dans la pauvreté que font les consacrés ? Probablement pas. Nous voyons en eux des comtemplatifs désincarnés qui jouiraient, les chanceux, d'un accès privilégié au ciel... alors qu'ils acceptent, au nom de leur amour pour le Christ, de travailler avec leur faiblesse pour une église imparfaite (et dans le laïcat, et dans la hiérarchie) dans un monde imparfait.
A l'inverse, il peut être tentant pour un prêtre de considérer les laïcs, qui donnent pour certains beaucoup de leur temps, comme une main-d'oeuvre interchangeable. Les laïcs -même engagés- ont des faiblesses, qui incitent les consacrés à agir ainsi : ils sont souvent peu ou mal formés philosophiquement et théologiquement, leur capacité d'engagement, limitée, varie d'un couple à l'autre et pour un même couple au cours du temps. Ils sont susceptibles de déménager pour leur travail du jour au lendemain. Ces caractéristiques sont connues depuis Saint-Paul7 !!!
Dans une société (relativement) éduquée comme la nôtre, les laïcs ne se contentent plus d'une posture de spectateurs et ils ont raison : on ne peut pas être docteur en physique et se contenter brevet des collèges en théologie. Ils veulent également servir l'Église concrètement, dans un témoignage plus direct. Ne restreignons pas l'Esprit (cf. l'évangile d'il y a quelques semaines) ! Mais notre monde exige -avec raison- une parole crédible8. Pour être des croyants crédibles9, les laïcs ont besoin de formation10.
Le but de la vie chrétienne
J'ai ouvert ce billet sur le célibat consacré et je me rends compte à la relecture qu'il évoque presque plus le rôle des laïcs. Loin de m'étonner, cela me rassure : en effet, les uns comme les autres n'ont et ne devraient avoir qu'un seul but, la recherche du Christ. L'Eglise n'a nulle autorité si ce n'est dans le Christ : ni en matière de morale, ni pour exercer la charité. C'est souvent pour s'adjuger l'autorité de l'institution que les groupes revendicatifs laïcs se font entendre.
Si nous perdons de vue la finalité de l'Église, alors celle-ci n'est pour nous qu'une coquille vide et nous tentons de l'investir pour profiter des reliquats d'autorité et de visibilité qu'elle a. Mais si nous croyons dans sa finalité -et ne nous y trompons pas : il s'agit d'un réel acte de foi face aux imperfections d'une institution- alors nous ne pouvons qu'ensemble, laïcs et prêtres, consacrés ou non, célibataires ou mariés, rechercher le même Christ.
Enfin, rappelons-nous que notre meilleure "arme" missionnaire est l'amour que nous avons les uns pour les autres11.
- 1. rappelons ici que le mariage n'est pas l'opposé de la chasteté...
- 2. Jean-Marie Vianney, wikipedia
- 3. en Jn 21,21-22 : "En voyant [Jean], Pierre dit à Jésus: Et celui-ci, Seigneur, que lui arrivera-t-il? Jésus lui dit: Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe? Toi, suis-moi".
- 4. gentil organisateur
- 5. dans la Bible en Lc 10
- 6. également : pourquoi vouloir être manager plutôt qu'ouvrier dans les vignes du Seigneur ?
- 7. cf 1Co 7, 32-35
- 8. quand bien même il se complait par ailleurs dans un mode de vie peu crédible
- 9. et pour le bénéfice de leur foi personnelle
- 10. Ce n'est pas qu'il ne puisse y avoir de parole légitime sans une maîtrise de théologie, mais il y a plus de deviances sans !
- 11. Jn 17