TDC 099 - Le mariage, partie intégrante de la nouvelle économie sacramentelle
1. Mercredi dernier, nous avons parlé de l'héritage intégral de l'Alliance avec Dieu, et de la grâce unie originairement à l'oeuvre divine de la création. Faisait également partie de cet héritage intégral - comme il convient de le déduire de Ep 5,22-33 - le mariage comme sacrement primordial, institué dès l'origine et lié au sacrement de la création considérée globalement. Le caractère sacramentel du mariage n'est pas seulement modèle et figure du sacrement de l'Eglise (du Christ et de l'Eglise) mais constitue également une part essentielle du nouvel héritage: l'héritage du sacrement de la Rédemption, dont l'Eglise a été gratifiée dans le Christ. Ici, il importe une fois de plus de se reporter aux paroles du Christ dans Mt 19,3-9 Mc 10,5-9 où, répondant à la demande des pharisiens au sujet du mariage et de son caractère spécifique, Jésus se réfère uniquement, exclusivement, à l'institution originaire - à l'origine donc -, par le Créateur. Réfléchissant sur la signification de cette réponse, à la lumière de l'épître aux Ephésiens (en particulier Ep 5,22-33), nous pouvons conclure à une relation, double en un certain sens, entre le mariage et tout l'ordre sacramentel qui, dans la Nouvelle Alliance, émerge de ce même sacrement de la Rédemption.
2. Comme sacrement primordial, le mariage constitue d'une part la figure (et donc: la ressemblance, l'analogie), suivant laquelle s'édifie la structure portante fondamentale de la nouvelle économie du salut et de l'ordre sacramentel où trouve son origine le don conjugal que l'Eglise a reçu du Christ en même temps que tous les biens de la Rédemption (on pourrait dire en reprenant les premières paroles de l'épître aux Ephésiens: "bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles" Ep 1,3. De cette manière, le mariage est, en tant que sacrement primordial, assumé et inséré dans la structure intégrale de la nouvelle économie sacramentelle, issue de la Rédemption sous forme de prototype, dirais-je: le mariage est assumé et inséré à partir de ses bases mêmes. Dans son entretien avec les pharisiens Mt 19,3-9, le Christ lui-même reconfirme avant tout son existence. A bien réfléchir sur cette dimension il faudrait conclure que tous les sacrements de la Nouvelle Alliance trouvent en un certain sens leur prototype dans le mariage en tant que sacrement primordial. Cela semble s'annoncer dans le passage classique déjà cité de l'épître aux Ephésiens, comme nous le dirons encore bientôt.
3. Toutefois la relation du mariage avec tout l'ordre sacramentel, issue de la relation de l'Eglise avec les biens de la Rédemption, ne se limite pas seulement à la dimension du modèle. Dans son entretien avec les pharisiens Mt 19, le Christ non seulement confirme l'existence du mariage institué par le Créateur dès l'origine, mais le déclare aussi partie intégrante de la nouvelle économie sacramentelle, du nouvel ordre des signes salvifiques qui tire son origine du sacrement de la Rédemption, de même que l'économie originaire est issue du sacrement de la création; et en réalité le Christ se limite à l'unique sacrement qu'avait été le mariage institué à l'état d'innocence et de justice originaires de l'être humain, créé comme homme et femme à l'image et à la ressemblance de Dieu.
4. La nouvelle économie sacramentelle, qui se constitue sur la base du sacrement de la Rédemption émergeant de la gratification nuptiale de l'Eglise de la part du Christ, est différente de l'économie originaire. En effet, elle s'adresse, non pas à l'homme, à la justice et innocence originelles, mais à l'homme chargé de l'héritage du péché originel, en état de culpabilité (status naturae lapsae). Elle s'adresse à l'homme à la triple concupiscence, suivant les paroles classiques de 1Jn 2,16, à l'homme "en qui la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair" Ga 5,17, suivant la théologie (et l'anthropologie) de saint Paul, auxquelles nous avons réservé une large place dans nos réflexions précédentes.
5. Ces considérations, basées sur une analyse approfondie de la signification de l'énoncé du Christ dans le Sermon sur la Montagne au sujet du regard concupiscent en tant qu'adultère dans le coeur, préparent à comprendre le mariage comme partie intégrante du nouvel ordre sacramentel qui tire son origine du sacrement de la Rédemption, c'est-à-dire de ce grand mystère qui, comme mystère du Christ et de l'Eglise, détermine le caractère sacramentel de l'Eglise elle-même. En outre, ces considérations préparent à comprendre le mariage comme sacrement de la Nouvelle Alliance, dont l'oeuvre salvifique s'unit organiquement à l'ensemble de cet éthos qui a été défini, dans les analyses précédentes, éthos de la Rédemption. L'épître aux Ephésiens exprime à sa manière la même vérité: en effet, elle parle du mariage comme d'un grand sacrement, dans un ample contexte parénétique, c'est-à- dire dans le contexte des exhortations de caractère moral concernant précisément l'éthos qui doit qualifier la vie des chrétiens, c'est-à-dire des hommes conscients de l'élection qui se réalise dans le Christ et dans l'Eglise.
6. Sur cet ample fond de réflexions qui ressortent de la lecture de l'épître aux Ephésiens (plus particulièrement de Ep 5,22-33), on peut et l'on doit, enfin, toucher encore le problème des sacrements de l'Eglise. Le texte précité de l'épître aux Ephésiens en parle indirectement et, dirais-je, de manière secondaire bien que suffisante pour que ce problème ait également sa place dans nos considérations. Il convient toutefois de préciser au moins brièvement, le sens que nous adoptons dans l'emploi du terme sacrement, ce qui est important pour nos considérations.
7. Jusqu'à présent en effet nous avons utilisé le terme sacrement, (conformément d'ailleurs à toute la tradition biblico-patristique (*)) en un sens plus ample que celui qui est le propre de la terminologie théologique traditionnelle et contemporaine. Par le terme sacrement celle-ci indique les signes institués par le Christ et administrés par l'Eglise qui expriment la grâce divine et la confèrent aux personnes qui reçoivent ce sacrement. En ce sens, chacun des sept sacrements de l'Eglise est caractérisé par une action liturgique déterminée, constituée à travers la parole (forme) et la spécifique matière sacramentelle, suivant la théorie hilémorphique provenant de Thomas d'Aquin et de toute la tradition scolastique.
Note (*) Cf. LEON XIII, Acta, t. 2, 1881, p. 22.
8. En relation avec la signification circonscrite de cette manière, nous nous sommes servis, dans nos considérations, d'un sens plus large et peut-être aussi plus ancien et fondamental du terme sacrement (*). L'épître aux Ephésiens, et spécialement les versets 22-23 du chapitre 5, semblent tout particulièrement nous le permettre. Ici sacrement signifie le mystère de Dieu, caché depuis l'éternité, non pas toutefois dans un secret éternel, mais dans sa révélation et réalisation mêmes (également dans la révélation réalisation). On a parlé encore en ce sens du sacrement de sa création et du sacrement de la Rédemption. C'est sur la base du sacrement de la création qu'il faut comprendre le caractère sacramentel originaire du mariage (sacrement primordial). Puis, sur la base du sacrement de la Rédemption, on peut comprendre la nature sacramentelle de l'Eglise, ou plutôt la nature sacramentelle de l'union du Christ avec l'Eglise que l'auteur de l'épître aux Ephésiens présente dans la comparaison du mariage, de l'union conjugale du mari et de la femme. Une analyse attentive du texte démontre que, dans ce cas, il ne s'agit pas seulement d'une comparaison au sens métaphorique, mais d'un renouvellement réel (ou d'une recréation c'est-à- dire d'une nouvelle création) de ce qui constitue le contenu salvifique (en un certain sens, la substance salvifique) du sacrement primordial. Cette constatation a une importance essentielle tant pour expliquer la nature sacramentelle de l'Eglise (et à ceci se réfèrent les paroles très significatives de LG 1) que pour comprendre le caractère sacramentel du mariage entendu précisément comme un des sacrements de l'Eglise.
note (*). A ce propos, voir l'Allocution lors de l'Audience générale du 8 septembre 1982, J.P.II 8/9/1982 note
- 20 octobre 1982