TDC 083 - Le Christ met en relief la grandeur de la virginité
1. Expliquant 1Co 7 la question du mariage et de la virginité, c'est-à-dire de la continence pour le Royaume de Dieu, saint Paul cherche à expliquer pourquoi celui qui choisit le mariage fait bien et pourquoi celui qui, par contre, choisit la continence ou la virginité, fait mieux. Voici en effet, ce qu'il écrit: "Je vous le dis frères: le temps se fait court. Reste donc que ceux qui ont femme vivent comme s'ils n'en avaient pas ..."; et puis: "Ceux qui achètent, comme s'ils ne possédaient pas; ceux qui usent de ce monde, comme s'ils n'en usaient pas véritablement. Car elle passe la figure de ce monde! Je voudrais vous voir exempts de soucis" 1Co 7,29-32.
2. Les dernières paroles du texte cité démontrent que dans son argumentation Paul se réfère également à sa propre expérience, ce qui rend cette argumentation plus personnelle. Non seulement il formule le principe et tâche de le motiver comme tel, mais il le relie à ses réflexions et convictions personnelles nées de la pratique du conseil évangélique du célibat. De leur force de persuasion témoignent les diverses expressions et locutions. L'Apôtre non seulement écrit à ses Corinthiens: "Je voudrais que tout le monde fût comme moi" 1Co 7,7, mais il va plus loin quand, se référant aux hommes qui contractent mariage, il écrit: "Mais ceux-là connaîtront des tourments dans leur chair, et moi je voudrais vous les épargner" 1Co 7,28. Du reste, cette conviction personnelle il l'avait déjà exprimée dès les premiers mots du chapitre 7 de cette épître, en rapportant, même si c'était pour la modifier, cette opinion des Corinthiens: "Je viens maintenant à ce que vous m'avez écrit. Il est bon pour l'homme de s'abstenir de la femme ..." 1Co 7,1.
3. On pourrait se demander quels sont les tourments dans la chair que Paul avait dans l'esprit? Le Christ n'a parlé que des souffrances, ou tristesse, qu'éprouvait la femme quand elle devait mettre l'enfant au monde, mais il a aussi souligné la joie Jn 16,21 qui la payait de ses souffrances à la naissance de son enfant: la joie de la maternité. Paul, cependant, parle des tourments dans la chair, qui attendent les conjoints. Serait-ce là l'expression d'une aversion personnelle de l'apôtre à l'égard du mariage? Dans cette observation réaliste il faut voir un avertissement pour ceux qui - comme parfois les jeunes - croient que l'union et la coexsistence conjugales doivent leur donner uniquement du bonheur et de la joie. L'expérience de la vie démontre qu'il n'est pas rare de voir des époux déçus dans ce qu'ils espéraient le plus. La joie de l'union comporte également ces tourments dans la chair dont parle l'Apôtre dans son épître aux Corinthiens. Ces tourments sont souvent de nature morale. S'il entend dire par là que le véritable amour conjugal - précisément celui en vertu duquel "l'homme s'unira à sa femme et les deux ne seront qu'une seule chair" Gn 2,24 - est aussi un amour difficile, il est certain qu'il se maintient sur le terrain de la vérité évangélique, et il n'y a aucune raison d'y rechercher des symptômes de l'attitude qui, plus tard, allait caractériser le manichéisme.
4. Par ses paroles concernant la continence pour le Royaume de Dieu, le Christ ne cherche d'aucune manière à guider ses auditeurs vers le célibat ou la virginité en leur indiquant les tourments du mariage. On comprend plutôt qu'il cherche à mettre en relief les divers aspects, humainement pénibles, du fait de se décider à la continence: soit la raison sociale, soit les raisons de nature subjective amènent le Christ à dire que l'homme qui prend une telle décision se fait eunuque, c'est-à-dire embrasse volontairement la continence. Mais c'est précisément pour cela que sautent clairement aux yeux toute la signification subjective, la grandeur et le caractère exceptionnels d'une semblable décision: elle signifie une réponse mûrie à un don particulier de l'Esprit.
5. Dans son épître aux Corinthiens, saint Paul n'entendait pas différemment le conseil de continence, mais il l'exprimait d'une autre manière. Il écrit en effet: "Je vous le dis, frères: le temps se fait court ..." 1Co 7,31. Cette constatation de la caducité de l'existence humaine et du caractère transitoire du monde temporel, en un certain sens du caractère accidentel de tout ce qui est créé, doit faire en sorte que "ceux qui ont femme vivent comme s'ils n'en avaient pas" 1Co 7,29 1Co 7,31 et doit en même temps préparer le terrain pour l'enseignement de la continence. Paul, en effet, place au centre de son raisonnement la phrase clé qui peut être unie à l'énoncé du Christ, unique en son genre, sur le thème de la continence pour le Royaume de Dieu Mt 19,12.
6. Tandis que le Christ met en relief la grandeur du renoncement, inséparable de cette décision, Paul indique surtout comment il faut entendre le Royaume de Dieu, dans la vie de l'homme qui a renoncé au mariage en vue de ce Royaume. Et, tandis que le triple parallélisme de l'énoncé du Christ atteint le point culminant dans la parole qui signifie la grandeur du renoncement assumé volontairement: "Et il en est d'autres qui se sont faits eunuques pour le Royaume des Cieux " Mt 19,12. Paul définit la situation d'un seul mot: agamos - qui n'est pas marié; plus loin, par contre, il traduit tout ce que contient l'expression Royaume des Cieux par une merveilleuse synthèse. Il dit, en effet: "L'homme qui n'est pas marié se préoccupe des affaires du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur" 1Co 7,32.
Chaque mot de cet énoncé mérite une analyse particulière.
7. Le contexte du verbe se préoccuper ou chercher indique, dans l'évangile de Luc, disciple de Paul, qu'il faut "chercher" vraiment et uniquement "le Royaume de Dieu" Lc 12,31 ce qui constitue "la partie la meilleure", l'unum necessarium Lc 10,41. Et Paul lui-même parle de "son souci pour toutes les Eglises" 2Co 11,28, de la recherche du Christ moyennant sa sollicitude pour les problèmes des frères, pour les membres du Corps du Christ Ph 2,20-21 1Co 12,25 Déjà de ce contexte émerge tout l'immense champ des préoccupations auxquelles l'homme non marié peut consacrer entièrement ses pensées, ses fatigues et son coeur. L'homme en effet ne saurait se préoccuper que de ce qu'il a vraiment à coeur.
8. Selon l'énoncé de Paul, l'homme qui n'est pas marié se préoccupe des affaires du Seigneur (ta toû Kyriou). Par cette expression concise, Paul embrasse la réalité objective tout entière du Royaume de Dieu. "La terre est au Seigneur, et tout ce qu'elle contient" dira-t-il plus loin dans cette épître 1Co 10,26 Ps 24,1. Pour les chrétiens, c'est le monde entier qui est l'objet de leur sollicitude.
Quant à Paul, c'est avant tout à Jésus-Christ qu'il donne le nom de "Seigneur" Ph 2,11; et les affaires du Seigneur signifient donc en premier lieu le Royaume du Christ, son "Corps qui est l'Eglise" Col 1,18, et tout ce qui contribue à sa croissance. C'est de tout cela que se préoccupe l'homme non marié; c'est pourquoi Paul qui est, dans toute l'acception du terme, apôtre de Jésus-Christ 1Co 1,1 et ministre de l'Evangile Col 1,23, écrit aux Corinthiens: "Je voudrais que tout le monde fût comme moi" 1Co 7,7.
9. Toutefois, le zèle apostolique et l'activité la plus fructueuse n'épuisent pas encore le contenu de la motivation paulinienne de la continence. On pourrait même dire que leur racine et leur source se trouvent dans la seconde partie de la phrase qui démontre la réalité subjective du Royaume de Dieu: "Qui n'est pas marié, se préoccupe ... des moyens de plaire au Seigneur". Cette constatation embrasse tout le domaine des relations personnelles de l'homme avec Dieu. Plaire à Dieu: l'expression se retrouve dans d'anciens livres de la Bible Dt 13,19; elle est synonyme de vie dans la grâce de Dieu, et elle exprime l'attitude de celui qui cherche Dieu, c'est-à-dire qui se comporte suivant sa volonté; afin de lui plaire. Dans un des derniers livres de la Sainte Ecriture, cette expression devient une synthèse de la sainteté. Saint Jean l'applique une seule fois au Christ: "Je fais toujours ce qui plaît" Jn 8,29. Dans Rm 15,3 saint Paul observe que le Christ "ne cherche pas à se plaire à lui-même".
Dans ces deux constatations, on retrouve tout ce qui constitue le contenu du plaire à Dieu que le Nouveau Testament entendait comme suivre les traces du Christ
10. Il semble que chacun des deux membres de l'expression paulinienne se superposent: en effet, d'une part, se préoccuper de ce qui appartient au Seigneur, des affaires du Seigneur doit plaire au Seigneur. D'autre part, celui qui plaît à Dieu ne peut se renfermer en lui-même; il s'ouvre au monde, à tout ce qui doit être ramené au Christ. Ce sont seulement, c'est évident, deux aspects de la même réalité de Dieu et de son Royaume. Paul devait toutefois les distinguer pour démontrer plus clairement la nature et la possibilité de la continence pour le Royaume des Cieux.
Nous tâcherons de revenir encore sur ce thème.
- 30 juin 1982