TDC 080 - Continence pour le Royaume de Dieu et signification conjugale du corps
1. "Il y a des eunuques qui se sont rendus tels en vue du Royaume des Cieux": c'est ainsi que le Christ s'exprime selon Mt 19,12.
C'est le propre du coeur humain d'accepter des exigences, même très difficiles, au nom de l'amour pour un idéal et surtout au nom de l'amour envers une personne (l'amour est en effet, par son essence même, orienté vers la personne). C'est pourquoi, d'abord les disciples eux-mêmes, puis toute la tradition vivante ne tardèrent pas à découvrir dans l'invitation à la continence pour le Royaume des Cieux cet amour qui se réfère au Christ lui-même en tant qu'Epoux de l'Eglise et Epoux des âmes, auxquelles il s'est donné lui- même jusqu'à la fin, dans le mystère de sa Pâque et dans l'Eucharistie. De cette façon, la continence pour le Royaume des Cieux, le choix de la virginité ou du célibat pour toute la vie sont devenus, dans l'expérience des disciples et de ceux qui suivent le Christ, une réponse particulière à l'amour de l'Epoux divin; ils ont donc acquis la signification d'un acte d'amour conjugal, c'est-à-dire d'une donation personnelle de soi-même, afin ou de vivre de manière spéciale l'amour conjugal du Rédempteur; c'est une donation de soi-même, entendue comme renoncement, mais réalisée surtout par amour.
2. Nous avons déjà tiré de l'énoncé du Christ sur la continence pour le Royaume des Cieux toute la richesse qu'il contient, si concis soit-il mais en même temps d'une si grande profondeur. Mais il convient maintenant de prêter attention à la signification que ces paroles ont pour la théologie du corps de la même manière que nous avons déjà cherché à en présenter et à en reconstruire les fondements bibliques dès l'origine. C'est précisément l'analyse de ce "dès l'origine" biblique auquel le Christ s'est référé dans son entretien avec les pharisiens sur le thème du mariage, de son unité et de son indissolubilité Mt 19,3-9 - peu avant d'adresser à ses disciples ses paroles sur la continence pour le Royaume des Cieux Mt 19,10-12 - qui permet de se rappeler la profonde vérité sur la signification conjugale du corps humain dans sa masculinité et sa féminité, telle que nous l'avons déduite en son temps de l'analyse des premiers chapitres de la Genèse et en particulier de Gn 2,23-25. C'est précisément ainsi qu'il importait de formuler et de préciser ce que nous trouvons dans ces textes anciens.
3. Conformément à la manière de penser et à la mentalité actuelles, on a pris l'habitude de parler surtout d'instinct sexuel, transférant sur le terrain de la réalité humaine ce qui est le propre du monde des animaux. Or une profonde méditation du texte concis des deux premiers chapitres de la Genèse nous permet d'établir avec certitude et conviction que dès l'origine il a été déterminé dans la Bible une limite très claire et indiscutable entre le monde des animaux (animalia) et l'homme créé à l'image et ressemblance de Dieu. Bien que relativement très bref, il y a cependant assez d'espace dans ce texte pour démontrer que l'homme a une claire conscience de ce qui le distingue, d'une manière essentielle, de tous les êtres vivants (animalia).
4. Donc, l'application à l'homme de cette catégorie, substantiellement naturaliste, qui est contenue dans le concept et dans l'expression "instinct sexuel" n'est nullement appropriée et adéquate. Il est évident que cette application peut advenir en se basant sur une certaine analogie; en effet, la particularité de l'homme en comparaison du monde des êtres vivants (animalia) n'est pas telle que l'homme, entendu du point de vue de l'espèce, ne puisse être fondamentalement qualifié lui aussi comme animal, mais alors comme animal raisonnable. C'est pourquoi, malgré cette analogie, l'application du concept d'instinct sexuel à l'homme - considérant le dualisme dans lequel il existe comme homme et comme femme - limite toutefois fortement et en un certains sens diminue ce qu'est la masculinité-féminité même dans la dimension personnelle de la subjectivité humaine. On limite et atténue également ce pourquoi l'un et l'autre, l'homme et la femme, s'unissent si intimement qu'ils ne font qu'"une seule chair" Gn 2,24. Pour exprimer cela de façon appropriée et adéquate il faut faire appel également à une analyse différente de l'analyse naturaliste. Et c'est précisément l'étude de l'origine biblique qui nous oblige à le faire de manière convaincante. La vérité sur la signification conjugale du corps humain dans sa masculinité et féminité, déduite des premiers chapitres de la Genèse (et en particulier de Gn 2,23-25, c'est-à-dire la découverte de la signification conjugale du corps dans la structure personnelle de la subjectivité de l'homme et de la femme, semble être dans ce domaine un concept clé et en même temps le seul approprié et adéquat.
5. Or, c'est précisément, en relation avec ce concept, avec cette vérité sur la signification conjugale du corps humain, qu'il importe de relire, de comprendre les paroles du Christ au sujet de la continence pour le Royaume des Cieux, prononcées dans le contexte immédiat de cette référence à l'origine sur laquelle Il a fondé sa doctrine concernant l'unité et l'indissolubilité du mariage. A la base de l'invitation du Christ à la continence, il y a non seulement l'instinct sexuel, comme catégorie d'une nécessité, dirais- je, naturaliste, mais aussi la conscience de la liberté du don qui est organiquement connexe à la profonde et mûre conscience de la signification conjugale du corps, dans la structure totale de la subjectivité personnelle de l'homme et de la femme. C'est seulement en relation avec cette signification de la masculinité et féminité de la personne humaine que l'appel à la continence volontaire pour le Royaume des Cieux trouve sa pleine garantie et motivation. C'est seulement et exclusivement dans cette perspective que le Christ dit: "Comprenne qui pourra!" Mt 19,12; par cela, il indique que cette continence - bien que de toute façon elle soit surtout un don - peut être également comprise, c'est-à-dire tirée et déduite, de l'idée que l'homme a de son propre ego psychosomatique dans sa totalité et, en particulier, de la masculinité et féminité de cet ego dans le rapport réciproque qui est inscrit, comme par nature, dans toute subjectivité humaine.
6. Comme nous l'avons tiré des analyses précédentes faites sur la base du livre de Gn 2,23-25, ce rapport réciproque de la masculinité et de la féminité, ce 'pour' réciproque de l'homme et de la femme ne peuvent se comprendre de manière appropriée et adéquate que dans l'ensemble dynamique du sujet personnel. Les paroles du Christ dans Mt 19,11-12 indiquent ensuite que ce 'pour' présent dès l'origine à la base du mariage peut également se trouver à la base de la continence "pour" le Royaume des Cieux! En s'appuyant sur la même disposition du sujet personnel grâce à quoi l'homme se retrouve pleinement à travers un don sincère de soi GS 24, l'homme masculin-féminin est capable de choisir la donation personnelle de lui-même faite à une autre personne dans le pacte conjugal où tous deux deviennent une seule chair, et il est également capable de renoncer librement à cette donation de lui-même à une autre personne afin que choisissant la continence pour le Royaume des Cieux, il puisse se donner totalement au Christ. C'est sur la base de cette disposition du sujet personnel et sur la base de la signification conjugale même de l'être en tant que corps, masculin ou féminin, que peut se former à la dimension de la vie tout entière, l'amour qui engage l'homme au mariage Mt 19,3-10 mais peut également se former l'amour qui engage l'homme pour toute la vie à la continence pour le Royaume des Cieux. C'est précisément de cela que le Christ parle dans l'ensemble de son énoncé, quand il s'adresse d'abord aux pharisiens Mt 19,3-10 puis à ses disciples Mt 19,10-12.
7. Il est évident que le choix du mariage tel qu'il a été institué par le Créateur dès l'origine suppose la prise de conscience et l'acception intérieure de la signification conjugale du corps, liée à la masculinité et féminité de la personne humaine. Ce fait est précisément exprimé de manière lapidaire dans les versets du livre de la Genèse. Quand nous écoutons les paroles que le Christ adressa à ses disciples sur la continence "pour le Royaume des Cieux" Mt 19,11-12, nous ne saurions penser que ce second genre de choix puisse être fait de manière consciente et libre sans se référer à sa propre masculinité ou féminité et à cette signification conjugale qui est le propre de l'homme, précisément dans la masculinité ou féminité de son être sujet personnel. Mieux, à la lumière des paroles du Christ, nous devons admettre que ce second genre de choix, c'est-à-dire la continence pour le Royaume de Dieu, se réalise surtout par rapport à la masculinité ou féminité propre de la personne qui fait ce choix; il se réalise sur la base de la pleine conscience de cette signification conjugale que la masculinité et la féminité renferment en-soi. Si ce choix se réalisait à travers une quelconque négligence artificieuse de cette authentique richesse de chaque sujet humain, il ne répondrait pas de manière appropriée et adéquate au contenu des paroles du Christ rapportées par Mt 19,11-12.
Ici le Christ demande explicitement une pleine compréhension quand il dit "Comprenne qui pourra" Mt 19,12.
- 28 avril 1982