TDC 072 - Spiritualisation du corps, source de son incorruptubilité
1. Des paroles du Christ sur la future résurrection des corps, rapportées par les trois Evangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) nous avons porté nos réflexions sur ce que Paul a dit de ce thème dans 1Co 15. Notre analyse est centrée principalement sur ce qu'on pourrait appeler anthropologie de la résurrection selon saint Paul. L'auteur de l'épître oppose l'état de l'homme de la terre (c'est-à- dire historique) à l'état de l'homme ressuscité, caractérisant de manière à la fois lapidaire et pénétrante, le système de forces intérieur spécifique de chacun de ces états.
2. Que ce système intérieur de forces doive subir une transformation radicale dans la résurrection, cela est indiqué avant tout, semble-t-il, par la mise en confrontation du corps faible et du corps plein de force. Paul écrit: " On sème de la corruption, il ressuscite de l'incorruptibilité; on sème de l'ignominie, il ressuscite de la gloire; on sème de la faiblesse, il ressuscite de la force" 1Co 15,42-43. Faible: voilà donc ce qu'est le corps qui - pour employer un langage métaphysique - surgit du sol temporel de l'humanité. La métaphore paulinienne correspond également à la terminologie scientifique qui définit par le même terme (semen) le début de l'homme en tant que corps. Si, aux yeux de l'Apôtre, le corps humain, qui surgit de la semence terrestre, révèle sa faiblesse, cela signifie non seulement qu'il est corruptible, soumis à la mort et à tout ce qui y conduit, mais aussi qu'il est corps psychique (*). Le corps plein de force que l'homme héritera du dernier Adam, le Christ, en tant que participant de la future résurrection, sera un corps spirituel. Il sera incorruptible, non plus menacé par la mort. Ainsi donc, l'antinomie faible-plein de force se réfère explicitement non pas tellement au corps considéré à part qu'à toute la constitution de l'homme considéré dans son état corporel. Ce n'est que dans le cadre de cette constitution que le corps peut devenir spirituel, et cette spiritualisation du corps sera la source de son incorruptibilité (immortalité).
Note (*) L'original grec se sert ici du terme psychicon. Dans saint Paul, il paraît seulement dans 1Co 2,14 1Co 15,44 1Co 15,46 et nulle part ailleurs probablement à cause des tendances pré-gnostiques des Corinthiens, et à un sens négatif: concernant son contenu il correspond au terme "charnel" 2Co 1,12 2Co 10,4. -- Toutefois dans les autres épîtres de saint Paul la psyché et ses dérivés signifient l'existence terrestre de l'homme dans ses manifestations, le mode d'existence de l'individu et même la personne humaine au sens positif (par exemple pour indiquer l'idéal de vie de la communauté ecclésiale: miâ-i psychê-i. "dans un seul esprit" Ph 1,27; sym-psychoi = "avec l'union de vos esprit": Ph 2,2; isôpsychon = "d'âme égale", Ph 2,20; cf. R. JEWETT, Paul's Anthropological terms. A Study of their use in Conflit Settings, Brill, Leiden, 1971, p. 2, 448-449).
3. L'origine de ce thème nous la trouvons dès les premiers chapitres de la Genèse. On peut dire que saint Paul voit la réalité de la future résurrection comme une certaine restitutio in integrum, c'est-à-dire comme la réintégration et en même temps l'obtention de la plénitude de l'humanité. Ce n'est pas seulement une restitution, parce que, dans ce cas, la résurrection serait en un certain sens le retour à l'état auquel participait l'âme avant le péché, hors de la connaissance du bien et du mal Gn 1-2. Mais un tel retour ne correspond pas à la logique interne de toute l'économie du salut, au sens le plus profond du mystère de la Rédemption. Restitutio in integrum liée à la résurrection et à la réalité de l'autre monde, cela peut n'être qu'une introduction à une nouvelle plénitude. Ce sera une plénitude qui suppose d'abord toute l'histoire de l'homme, formée du drame de l'arbre de la connaissance du bien et du mal Gn 3 et en même temps imprégnée du mystère de la Rédemption.
4. Suivant les paroles de la première épître aux Corinthiens, l'homme chez qui la concupiscence prévaut sur la spiritualité, c'est-à-dire le corps psychique ou animal 1Co 15,44 est condamné à la mort; doit au contraire resurgir comme un corps spirituel, l'homme chez qui l'esprit aura une juste suprématie sur le corps, la spiritualité sur la sensualité. On comprend aisément qu'ici Paul pense à la sensualité comme somme des facteurs qui constituent la limitation de la spiritualité humaine, c'est-à-dire celle qui lie l'esprit (pas nécessairement au sens platonicien) moyennant la restriction de sa propre faculté de connaître (voir) la vérité et également de la faculté de vouloir librement et d'aimer dans la vérité. En revanche, il ne peut s'agir de cette fonction fondamentale des sens qui sert à libérer la spiritualité, c'est-à-dire de la simple faculté de connaître et de vouloir qui est le propre du compositum psychosomatique du sujet humain. Comme on parle de la résurrection du corps, c'est-à-dire de l'homme dans son authentique réalité corporelle, le corps spirituel devrait par conséquent signifier précisément la parfaite sensibilité des sens, leur parfaite harmonisation avec l'activité de l'esprit humain dans la vérité et dans la liberté. Le corps psychique, qui est l'antithèse terrestre du corps spirituel, indique par contre la sensibilité comme une force qui cause souvent du tort à l'homme, en ce sens que vivant dans la connaissance du bien et du mal il est souvent sollicité et quasi poussé vers le mal.
5. On ne saurait oublier qu'il est moins question ici du dualisme anthropologique que d'une antinomie de fond. En fait partie non seulement le corps (comme hyle - matière et forme au sens aristotélicien) mais aussi l'âme, c'est-à-dire l'homme comme "âme vivante" Gn 2,7. Les éléments constitutifs sont par contre: d'une part tout l'homme, l'ensemble de sa subjectivité psychosomatique, en tant qu'il reste sous l'influence de l'esprit vivifiant du Christ; d'autre part le même homme en tant qu'il résiste et s'oppose à cet Esprit. Dans le second cas, l'homme est un corps psychique (ou animal) et ses oeuvres sont oeuvres de la chair. Si, par contre, il reste sous influence de l'Esprit- Saint, l'homme est spirituel (et produit le "fruit de l'Esprit", Ga 5,22.
6. Par conséquent on peut dire qu'en 1Co 15 non seulement nous avons affaire avec l'anthropologie de la résurrection, mais que toute l'anthropologie et l'éthique de saint Paul sont imprégnées du mystère de la résurrection par lequel nous avons définitivement reçu l'Esprit-Saint. 1Co 15 constitue l'interprétation paulinienne de l'autre monde et de l'état de l'homme dans ce monde où chacun, en même temps qu'à la résurrection du corps, participera pleinement au don de l'Esprit vivifiant, c'est-à-dire au fruit de la résurrection du Christ.
7. Concluant l'analyse de l'anthropologie de la résurrection selon la première épître de saint Paul aux Corinthiens, il nous faut une fois de plus tourner la pensée vers les paroles de Jésus sur la résurrection et sur l'autre monde qui sont rapportées par les Evangélistes Matthieu, Marc et Luc. Rappelons que répondant aux sadducéens, le Christ lie la foi en la résurrection à toute la révélation du Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et de Moïse "qui n'est pas un Dieu des morts, mais des vivants" Mt 22,32. Et, en même temps, repoussant la difficulté avancée par ses interlocuteurs, il prononça ces paroles significatives: "Lorsqu'on ressuscite d'entre les morts, on ne prend ni femme ni mari" Mc 12,25. C'est précisément à ces paroles - dans leur contexte immédiat - que nous avons consacré nos précédentes considérations, passant ensuite à l'analyses de 1Co 9,15. Ces réflexions ont une importance fondamentale pour toute la théologie du corps: pour comprendre tant le mariage que le célibat "pour le Royaume des Cieux". Nos prochaines analyses seront consacrées à ce dernier sujet.
- 10 février 1982