TDC 065 - La Résurrection manifeste la puissance de Dieu
1. "Vous êtes dans l'erreur, parce que vous méconnaissez les Ecritures et la puissance de Dieu" Mt 22,29; c'est ce que le Christ dit aux sadducéens qui, refusant de croire à la future résurrection des corps, lui avaient exposé le cas suivant: "Il y avait chez nous sept frères. Le premier se maria puis mourut sans postérité, laissant sa femme à son frère. Pareillement le deuxième, puis le troisième jusqu'au septième. Finalement, après eux tous, la femme mourut. A la résurrection, duquel des sept sera-t-elle la femme?" Mt 22,25-28
Le Christ répliquant aux sadducéens affirme, au début et à la fin de sa réponse, qu'ils étaient grandement dans l'erreur, ne connaissant "ni les Ecritures ni la puissance de Dieu" Mc 12,12-24 Mt 22,29. Comme les trois Evangiles synoptiques nous rapportent l'entretien avec les sadducéens, nous allons confronter brièvement les textes qui s'y rapportent.
2. La version de Mt 22,24-30 concorde presque entièrement avec celle de Mc 12,18-25, même si elle ne fait aucune allusion au buisson ardent. Il y a dans l'une et l'autre version les deux éléments essentiels: - 1) l'énoncé au sujet de la future résurrection des corps, et - 2) l'énoncé au sujet de l'état des corps des hommes ressuscités (*). Ces deux éléments se retrouvent chez Lc 20,27-36 (**). Le premier élément, celui qui concerne la résurrection future des corps, est en liaison - principalement chez Matthieu et chez Marc -, avec le reproche adressé aux sadducéens parce qu'ils ne connaissent ni les Ecritures ni la puissance de Dieu. Cette affirmation mérite une attention particulière parce que le Christ y indique les bases mêmes de la foi en la résurrection à laquelle il s'était référé dans sa réponse aux sadducéens, qui avaient cité l'exemple concret de la loi mosaïque sur le lévirat.
Notes - (*) Bien que le Nouveau Testament ne connaisse pas l'expression la résurrection des corps qui apparaît pour la première fois en saint Clément (2 Clém 9,1) et en Justin (Dial 80,5) et se sert de l'expression résurrection des morts, entendant ainsi l'homme dans toute son intégrité, il est possible toutefois de trouver en de nombreux textes du Nouveau Testament la foi en l'immortalité de l'âme, et son existence également en dehors du corps Lc 23,43 Ph 1,23-24 2Co 5,6-8 i.
(**] Le texte de Luc contient des éléments nouveaux sur lesquels porte la discussion des exégètes.
3. Il est évident que les sadducéens traitaient la question de la résurrection comme une sorte de théorie ou d'hypothèse susceptible d'être dépassée.(*)
Note - (*) Comme on le sait, il n'y eut jamais, à cette époque, une doctrine clairement formulée au sujet de la résurrection; existaient seulement les diverses théories lancées par les écoles particulières. -- Les pharisiens qui pratiquaient la spéculation théologique ont fortement développé la doctrine sur la résurrection, y trouvant des allusions dans les livres de l'Ancien Testament. Toutefois ils entendaient la future résurrection d'une manière terrestre et primitive, annonçant par exemple un énorme accroissement de la récolte et de la fertilité dans la vie d'après la résurrection. -- Les sadducéens combattaient une telle conception, partant de la prémisse que le Pentateuque ne parle pas de l'eschatologie. Il importe aussi de tenir compte du fait qu'au premier siècle le canon des livres de l'Ancien Testament n'avait pas encore été établi. Le cas mis en avant par les sadducéens attaque directement la conception pharisaïque de la résurrection. En fait, les sadducéens estimaient que le Christ en était partisan. -- La réponse du Christ corrige tant la conception des pharisiens que celle des sadducéens.
Jésus leur démontre d'abord que leur méthode est erronée: ils ne connaissent point les Ecritures, puisqu'ils commettent une erreur à ce sujet: ils n'acceptent pas ce que révèlent les Ecritures - ils ne connaissent pas la puissance de Dieu, ils ne croient pas en Celui qui s'est révélé à Moïse dans le buisson ardent. C'est une réponse très significative et très précise. Le Christ est en contact ici avec des hommes qui se disent experts et interprètes compétents des Ecritures. Jésus répond à ces hommes, c'est-à-dire à ces sadducéens, que la connaissance uniquement littérale de la Sainte Ecriture ne suffit pas. En effet, l'Ecriture est surtout un moyen permettant de connaître la puissance du Dieu vivant qui s'y révèle, comme elle s'est révélée à Moïse dans le buisson ardent. Dans cette révélation, Il se nomme lui-même "le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et de Jacob" (*), de ceux, donc, qui furent les chefs de file de Moïse dans la foi qui jaillit de la révélation du Dieu vivant. Du reste, ils sont tous morts depuis longtemps; toutefois le Christ complète la référence qu'il en a faite affirmant que Dieu n'est pas un Dieu des morts mais des vivants. Cette affirmation clé par laquelle le Christ interprète les paroles adressées à Moïse depuis le buisson ardent ne peut se comprendre que si l'on admet la réalité d'une vie qui ne finit pas avec la mort. Les pères de Moïse dans la foi, Abraham, Isaac et Jacob, sont pour Dieu des personnes vivantes Lc 20,38: "Tous en effet vivent pour lui", bien que selon les critères humains ils doivent être comptés parmi les morts. Méditer correctement l'Ecriture et, en particulier ces paroles, veut dire connaître et accueillir par la foi la puissance du Donneur de la vie, de celui qui n'est pas lié à la loi de la mort qui domine l'histoire terrestre de l'homme.
Note (*)- Cette expression signifie non pas le Dieu qui était honoré par Abraham, Isaac et Jacob, mais le Dieu qui prenait soin des Patriarches et les libérait. - Cette formule revient dans Ex 3,6 Ex 3,15-16 Ex 4,5, toujours dans le contexte de la libération d'Israël; le nom du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob est le gage et la garantie de cette libération. - Dieu de X est synonyme de secours, de soutien et d'abri pour Israël. On trouve une signification semblable dans Gn 49,24: " Dieu de Jacob, Pasteur et Pierre d'Israël, Dieu de tes pères, il t'aidera " Gn 49,24-25 Gn 24,27 Gn 26,24 Gn 28,13 Gn 32,10 Gn 46,3 - Cf. DREYFUS, o.p., L'Argument scripturaire de Jésus en faveur de la résurrection des morts (Mc 12,26-27, in Revue biblique 66, 1959, p. 218. - La formule Dieu d'Abraham, Isaac et Jacob où sont cités les trois noms des Patriarches indiquait dans l'exégèse judaïque contemporaine de Jésus, le rapport de Dieu avec le Peuple de l'Alliance comme communauté. - Cf. E. ELLIS, Jésus, the Sadducees and Qumran, New Testament Studies, n. 10, 1963-1964, p. 275
4. Il semble qu'il faut interpréter ainsi la réponse que, selon la version des trois Synoptiques, le Christ a donnée aux sadducéens au sujet de la possibilité de la résurrection (*). Viendra le jour où le Christ y répondra par sa propre résurrection; toutefois, en ce moment, il fait appel au témoignage de l'Ancien Testament, indiquant comment on peut y découvrir la vérité sur l'immortalité et sur la résurrection. Cela, il faut le faire, non pas en s'attachant seulement au son des paroles, mais en remontant à la puissance de Dieu qui révèle ces paroles. La référence à Abraham, à Isaac et à Jacob faite dans cette Théophanie à Moïse et dont nous parle Ex 3,2-6, constitue un témoignage que le Dieu vivant donne à ceux qui vivent pour Lui: à ceux qui grâce à sa puissance ont la vie, même si, s'arrêtant aux dimensions de l'histoire, il faudrait les compter depuis longtemps parmi les morts.
Note - (*) Selon notre manière contemporaine de comprendre ce texte évangélique, le raisonnement de Jésus concerne seulement l'immortalité; en effet, si après leur mort les Patriarches vivent déjà maintenant et avant la résurrection eschatologique du corps, alors la constatation de Jésus regarde l'immortalité de l'âme et ne parle pas de la résurrection du corps. -- Mais le raisonnement de Jésus s'adressait aux sadducéens qui ne concevaient pas le dualisme de l'âme et du corps, acceptant seulement l'unité psychologique de l'homme qui est le corps et souffle de vie. C'est la raison pour laquelle, selon eux, l'âme meurt en même temps que le corps. L'affirmation de Jésus selon laquelle les Patriarches vivent, pouvait uniquement signifier pour les sadducéens la résurrection avec le corps.
5. La pleine signification de ce témoignage qu'évoque Jésus dans son entretien avec les sadducéens pourrait (toujours à la seule lumière de l'Ancien Testament) s'éclairer de la manière suivante: Celui qui est - Celui qui vit et qui est la Vie - constitue la source inépuisable de l'existence et de la vie, comme cela a été révélé à l'origine Gn 1-3. Même si la mort est devenue le sort de l'homme à cause du péché Gn 3,19 (*6), et bien que défense ait été faite de s'approcher de l'arbre de la Vie (grand symbole de Gn 3,22), toutefois, le Dieu vivant, en contractant Alliance avec les hommes (Abraham, les Patriarches, Moïse, Israël), renouvelle sans cesse, dans cette Alliance, la réalité même de la Vie, il en dévoile de nouveau la perspective et, en un certain sens, ouvre de nouveau l'accès à l'arbre de la Vie. Et avec l'Alliance, cette vie dont Dieu lui-même est la source; la vie est donnée en partage à ces mêmes hommes qui, suite à la rupture de la première Alliance avaient été, dans la dimension de leur histoire terrestre, soumis à la mort.
Note (*) -Ici, nous ne nous arrêtons pas sur la conception de la mort au sens uniquement vétéro-testamentaire, mais nous prenons en considération l'anthropologie théologique dans son ensemble.
6. Le Christ est l'ultime parole de Dieu à ce sujet; en effet l'Alliance qui, avec Lui et par Lui, est établie entre Dieu et l'humanité, ouvre une perspective de Vie infinie: et l'accès à l'arbre de la Vie - suivant le plan originel du Dieu de l'Alliance - est révélé à chaque homme dans sa plénitude définitive. Ce sera cela la signification de la mort et de la résurrection du Christ; ce sera cela le témoignage du mystère pascal. Toutefois l'entretien avec les sadducéens se passe dans la phase pré-pascale de la mission messianique du Christ. Le déroulement de l'entretien, comme le racontent Mt 22,24-30 Mc 12,18-27 Lc 20,27-36, manifeste que le Christ qui avait plus d'une fois parlé de la future résurrection du Fils de l'homme, principalement dans ses entretiens avec ses disciples Mt 17,9 Mt 17,23 Mt 20,19 (etc.), dans celui avec les sadducéens, au contraire, ne fait pas état de cet événement. Les raisons en sont évidentes et claires. Le dialogue se déroule avec les sadducéens qui affirment qu'il n'y a pas de résurrection (comme le souligne l'évangéliste), c'est-à-dire qui mettent en doute sa possibilité même et, en même temps, se considèrent comme experts et interprètes qualifiés de l'Ecriture de l'Ancien Testament. C'est pourquoi Jésus se réfère à l'Ancien Testament et démontre, se basant sur celui-ci, qu'ils ne connaissent pas la puissance de Dieu. (*)
Note - (*) Ceci est l'argument déterminant qui prouve le caractère authentique de la discussion avec les sadducéens.-- Si, comme l'estimait par exemple R. BULTMANN, cette péricope constituait "une ajoute post-pascale de la communauté chrétienne", la foi en la résurrection des corps serait soutenue par le fait de la résurrection du Christ qui s'impose comme une force irrésistible ainsi que le fait comprendre saint Paul, par exemple. -- Cf. J. JEREMIAS, Neutestamentliche Théologie, 1re partie, Gutersloh, Mohn, 1971; cf. en outre I.H. MARSHALL, The Gospel of Luke, Exeter, The Pater-noster Press, 1978, p. 738. -- La référence au Pentateuque - alors que dans l'Ancien Testament il y avait de nombreux textes traitant directement de la résurrection (comme par ex. Is 26,19) - démontre que le colloque s'est déroulé réellement avec les sadducéens, qui tenaient le Pentateuque pour l'unique autorité décisive. -- La structure de la conversation démontre qu'il s'agissait d'une discussion rabbinique, conforme aux modèles classiques en usage dans les académies de ce temps. -- Cf. J. LE MOYNE, o.s.b., Les Sadducéens, Paris, Gabalda, 1972, p. 124 et sq.; E. LOHMEYER, Das Evangelium des Markus, Gottingen, 1959, p. 257; D. DAUBE, New Testament and Rabbinic Judaism, Londres, 1956, p. 158-163; J. RADEMACKERS, S.J., La Bonne Nouvelle de Jésus selon saint Marc, Bruxelles, Institut d'études théologiques, 1974, p. 313.
7. Quant à la possibilité de la résurrection, le Christ fait précisément état de cette puissance qui va de pair avec le témoignage du Dieu vivant qui est le Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob - et le Dieu de Moïse. Le Dieu que les sadducéens privent de cette puissance n'est plus le vrai Dieu de leurs pères, mais le Dieu de leurs hypothèses et de leurs interprétations. Le Christ est venu, au contraire, pour rendre témoignage au Dieu de la Vie dans toute sa puissance qui se déploie sur la vie de l'homme.
- 18 novembre 1981