TDC 057 - La vie selon l'Esprit dans Saint Paul
1. Au cours de notre rencontre, il y a quelques semaines, nous avons attiré l'attention sur le passage de la Première Lettre aux Corinthiens où saint Paul appelle le corps humain le "temple de l'Esprit-Saint". Il écrit: "Ou bien ne savez- vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous et que vous tenez de Dieu et que vous ne vous appartenez pas? En effet, vous avez été rachetés à un prix élevé". 1Co 6,19-20. "Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ?" 1Co 6,15. L'apôtre montre le mystère de la "Rédemption du corps", accomplie par le Christ, comme la source d'un devoir moral particulier qui engage les chrétiens à la pureté, à celle que Paul définit ailleurs comme l'exigence d'"user de son corps avec sainteté et respect" 1Th 4,4.
2. Cependant, nous ne découvririons pas toute la richesse de la pensée contenue dans les thèmes pauliniens si nous ne remarquions pas que le mystère de la Rédemption fructifie également dans l'homme de manière charismatique. L'Esprit- Saint qui, selon les paroles de l'apôtre, entre dans le corps humain comme dans son propre "temple", y habite et y oeuvre par ses dons spirituels. Parmi ces dons, connus dans l'histoire de la spiritualité comme les sept dons du Saint- Esprit (cf. Is 11,2, selon la Septante et la Vulgate), celui qui s'adapte le mieux à la vertu de pureté semble être le don de la "piété" (eusebeia, donum pietatis).
note (L'eusebeia ou pieta se référait généralement à l'époque gréco-romaine à la vénération des dieux (comme dévotion) mais conservait encore le sens primitif plus vaste de respect envers les structures vitales. -- L'eusebeia définissait le comportement réciproque des consanguins, les relations entre époux, et aussi l'attitude dûe à César par les légions et à leurs maîtres par les esclaves. -- Dans le Nouveau Testament, seuls les documents les plus récents appliquent l'eusebeia aux chrétiens; dans les écrits les plus anciens ce terme caractérise les "bons païens" Ac 10,2-7 Ac 17,23 -- Et ainsi l'eusebeia grecque tout comme le donum pietatis, tout en se référant indubitablement à la vénération divine, ont aussi une vaste base dans la connotation des rapports inter-humains (cf. W. Foerster, article eusebeia, dans Theological Dictionary of the New- Testament ed. G. Kittel - G. Bromiley, vol. III, Grand Rapids 1971, Eerdmans, pp. 177-182).
Si la pureté amène l'homme à "user de son corps avec sainteté et respect", comme nous le lisons dans 1Th 4,3-5, la piété, qui est un don de l'Esprit-Saint, semble servir la pureté de manière particulière en sensibilisant le sujet humain à cette dignité qui est propre au corps humain en vertu du mystère de la création et de la Rédemption. Grâce au don de la piété, les paroles de Paul: "Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous (...) et que vous ne vous appartenez pas? 1Co 6,19 acquièrent l'éloquence d'une expérience et deviennent une vérité vivante et vécue dans l'action. Elles ouvrent même l'accès plus pleinement à l'expérience de la signification sponsale du corps et de la liberté du don qui lui est liée et dans laquelle se dévoilent la physionomie profonde de la pureté et son lien organique avec l'amour.
3. Bien que le fait d'user de son corps "avec sainteté et respect" consiste à s'abstenir de "l'impucidité" - et cette voie est indispensable - cette attitude fructifie toujours dans l'expérience la plus profonde de cet amour qui a été inscrit depuis "l'origine", d'après l'image et la ressemblance de Dieu lui-même, dans l'être humain tout entier et donc aussi dans son corps. C'est pourquoi, au chapitre 6 de la Première lettre aux Corinthiens, saint Paul termine son argumentation par une exhortation significative "Glorifiez donc Dieu dans votre corps" 1Co 6,20. La pureté, comme vertu ou capacité d'"user de son corps avec sainteté et respect", alliée au don de la piété comme fruit de l'habitation de l'Esprit-Saint dans le "temple" du corps, réalise dans ce dernier une telle plénitude de dignité dans les rapports entre personnes que Dieu lui-même y est glorifié. La pureté est gloire du corps humain devant Dieu. C'est la gloire de Dieu dans le corps humain à travers lequel se manifestent la masculinité et la féminité. De la pureté jaillit cette singulière beauté qui imprègne tout le domaine de la convivence réciproque des hommes et permet d'y exprimer la simplicité et la profondeur, la cordialité et l'authenticité incomparable de la confiance personnelle. Peut-être aurons-nous plus tard une autre occasion pour traiter plus amplement ce thème. Le lien entre la pureté et l 'amour est également le lien de la même pureté dans l'amour, et ce don de l'Esprit-Saint qu'est la piété constitue une trame peu connue de la théologie du corps qui mérite cependant un approfondissement particulier. Cela pourra être réalisé au cours des analyses concernant le caractère sacramentel du mariage.
4. Et maintenant, référons-nous brièvement à l'Ancien Testament. La doctrine paulinienne de la pureté, entendue comme "vie selon l'Esprit", semble indiquer une certaine continuité par rapport aux Livres "sapientiaux" de l'Ancien Testament. Nous y trouvons, par exemple, la prière suivante pour obtenir la pureté dans les pensées, les paroles et les actions: "Seigneur, Père et Dieu de ma vie. (...) Que la sensualité et la luxure ne s'emparent pas de moi. Ne me livre pas au désir impudent". Si 23,4-6. La pureté est en effet la condition pour trouver la sagesse et pour la suivre, comme nous le lisons dans le même livre: "Vers elle (c'est-à-dire vers la sagesse) j'ai dirigé mon âme et dans la pureté je l'ai trouvée". Si 51,20. On pourrait aussi, d'une certaine manière, prendre en considération le texte de Sg 8,21 que la liturgie connaît dans la version de la Vulgate: "Je savais que nul ne pouvait avoir la continence si Dieu ne la donnait. Et c'était déjà de la sagesse de savoir de qui elle était le don (Cette version de la Vulgate conservée par la Neo- Vulgate et par la liturgie, citée de nombreuses fois par saint Augustin (de S. Virg, par. 43; Confess.VI II; X 29; Serm. CLX 7), change toutefois le sens de l'original grec qui se traduit ainsi: "Sachant que je ne l'aurais pas obtenue autrement (la sagesse) si Dieu ne me l'avait donnée..").
Selon ce concept, ce n'est pas tellement la pureté qui est la condition de la sagesse, mais la sagesse condition de la pureté, comme un don de Dieu. Il semble que dans les textes sapientiaux cités ci-dessus s'esquisse déjà la double signification de la pureté: comme vertu et comme don. La vertu est au service de la sagesse et la sagesse prédispose à accueillir le don qui provient de Dieu. Ce don fortifie la vertu et permet de jouir dans la sagesse des fruits d'une conduite et d'une vie qui soient pures.
5. Comme le Christ dans la béatitude du Discours sur la Montagne, qui se réfère "aux coeurs purs", met en relief la "vision de Dieu", fruit de la pureté, dans une perspective eschatologique, ainsi Paul, à son tour, met en lumière son rayonnement dans les dimensions de la temporalité lorsqu'il écrit: "Tout est pur pour les purs. Mais pour ceux qui sont souillés et qui n'ont pas la foi, rien n'est pur. Leur esprit même et leur conscience sont souillés. Ils font profession de connaître Dieu mais, par leur conduite, ils le renient". Tt 1,15-16 Ces paroles peuvent également se référer à la pureté au sens, général et spécifique, comme à la note caractéristique de tout bien moral. Pour la conception paulinienne de la pureté, au sens dont parlent 1Th 4,3-5 1Co 6,13-20 c'est-à-dire au sens de la "vie selon l'Esprit", l'anthropologie de la renaissance dans l'Esprit- Saint semble être fondamentale - comme il ressort de l'ensemble de nos considérations Jn 3,5 ss. Elle grandit à partir des racines mises dans la réalité de la Rédemption du corps opérée par le Christ Rédemption dont l'expression ultime est la résurrection. Il y a de profondes raisons pour lier toute la thématique de la pureté aux paroles de l'Evangile dans lesquelles le Christ se réfère à la résurrection (et cela constituera le thème de la future étape de nos considérations). Ici, nous l'avons surtout mise en relation avec l'ethos de la Rédemption du corps.
6. La manière de comprendre et de présenter la pureté - héritée de la tradition de l'Ancien Testament et caractéristique des Livres "sapientiaux" - était certainement une préparation indirecte mais néanmoins réelle à la doctrine paulinienne sur la pureté comprise comme "vie selon l'Esprit". Sans doute, cette manière aidait aussi beaucoup d'auditeurs du Discours sur la Montagne à comprendre les paroles du Christ lorsque, expliquant le commandement "Tu ne commettras pas d'adultère", il se référait au "coeur" humain. L'ensemble de nos réflexions a pu montrer de cette manière, du moins dans une certaine mesure, avec quelle richesse et quelle profondeur la doctrine de la pureté se distingue dans ses sources bibliques et évangéliques.
- 18 mars 1981