TDC 055 - Le corps dans la première lettre aux Corinthiens
1. Dans nos considérations de mercredi dernier sur la pureté selon l'enseignement de saint Paul, nous avons attiré l'attention sur le texte de la Première lettre aux Corinthiens. L'apôtre y présente l'Eglise comme corps du Christ et il nous offre l'occasion de faire le raisonnement suivant au sujet du corps humain: "Dieu a placé les membres, et chacun d'eux dans le corps, selon qu'il l'a voulu ... Même les membres que nous tenons pour les plus faibles sont nécessaires; et ceux que nous tenons pour les moins honorables sont ceux-là même que nous entourons de plus d'honneur. Ainsi nos membres indécents sont traités avec le plus de décence; nos membres décents n'en ont pas besoin. Mais Dieu a disposé le corps de manière à donner davantage d'honneur à ce qui en manque, afin qu'il n'y ait point de division dans le corps, mais qu'au contraire les membres se témoignent une mutuelle sollicitude". 1Co 12,18 1Co 12,22-25
2. La "description" paulinienne du corps humain correspond à la réalité qui le constitue: elle est donc une description "réaliste". Dans le réalisme de cette description se trouve mêlée en même temps une ligne d'évaluation très mince qui lui confère une valeur profondément évangélique, chrétienne. Certes, il est possible de "décrire" le corps humain, d'exprimer sa vérité avec l'objectivité propre des sciences naturelles. Mais une telle description - avec toute sa précision - ne peut être adéquate (c'est-à-dire comparable à son objet), étant donné qu'il ne s'agit pas seulement du corps (entendu comme organisme, au sens "somatique"), mais de l'homme qui s'exprime lui-même par le moyen de ce corps et qui, dans ce sens, dirais-je, est ce corps. Ainsi donc, cette ligne d'évaluation, étant donné qu'il s'agit de l'homme comme personne, est indispensable dans la description du corps humain. En outre, il faut dire que cette évaluation est juste. C'est une des tâches et un des thèmes éternels de toute la culture: de la littérature, de la sculpture, de la peinture et aussi de la danse, des oeuvres théâtrales et enfin de la culture de la vie quotidienne, privée ou sociale. C'est un sujet qu'il vaudrait la peine qu'il soit traité séparément.
3. La description paulinienne de 1Co 12,18-25 n'a certainement pas une signification "scientifique": elle ne présente pas une étude biologique de l'organisme humain ou de la "somatique" humaine. De ce point de vue, elle est une simple description "préscientifique", du reste concise, faite de quelques phrases à peine. Elle a toutes les caractéristiques du réalisme commun et elle est, sans doute, suffisamment "réaliste". Cependant, ce qui détermine son caractère spécifique, ce qui justifie de manière particulière sa présence dans la Sainte Ecriture, c'est précisément cette évaluation qui est liée à cette description et qui est exprimée dans sa trame "narratrice et réaliste". On peut dire avec certitude que cette description ne serait pas possible sans toute la vérité de la création et même sans toute la vérité de la "Rédemption du corps" que Paul professe et proclame. On peut également affirmer que la description paulinienne du corps correspond vraiment à l'attitude spirituelle de "respect" envers le corps humain, respect qui lui est dû en raison de la "sainteté" 1Th 4,3-5 1Th 4,7-8 qui naît des mystères de la création et de la Rédemption. La description paulinienne est également éloignée aussi bien du mépris manichéen du corps que des différentes manifestations d'un "culte naturaliste du corps".
4. L'auteur de 1Co 12,18-25 a devant les yeux le corps humain dans toute sa vérité et donc le corps imprégné (si l'on peut s'exprimer ainsi) de toute la réalité de la personne et de sa dignité. Il est, en même temps, le corps de l'être humain "historique", homme et femme, c'est-à-dire de cet être humain qui, après le péché, a été conçu, pour ainsi dire, à l'intérieur et par la réalité de l'être humain qui avait fait l'expérience de l'innocence originelle. Dans les expressions de Paul au sujet des "membres indécents" du corps humain, comme aussi au sujet de ceux qui "semblent les plus faibles" ou de "ceux que nous tenons pour les moins honorables", il semble que nous retrouvions le témoignage de la même honte que les premiers êtres humains, homme et femme, avaient expérimenté après le péché originel. Cette honte s'est gravée en eux et dans toutes les générations de l'être humain "historique" comme fruit de la triple concupiscence (avec une référence particulière à la concupiscence de la chair). En même temps que cette honte - comme on l'a déjà mis en relief dans les précédentes analyses - un certain "écho" de la même innocence originaire de l'homme s'y est gravé: presque un "négatif" de l'image dont le "positif" était précisément l'innocence originelle.
5. La "description" paulinienne du corps humain semble confirmer parfaitement nos analyses antérieures. Dans le corps humain, il y a des "membres indécents", non en raison de leur nature "corporelle" (puisqu'une description scientifique et physiologique traite tous les membres et les organes de manière "neutre", avec la même objectivité), mais seulement et exclusivement parce qu'existe dans l'homme lui- même cette honte qui perçoit quelques membres du corps comme "indécents" et qui conduit à les considérer comme tels. En même temps, la même honte semble être à la base de ce qu'écrit l'apôtre dans la Première lettre aux Corinthiens: "Ceux que nous tenons pour les moins honorables du corps sont ceux-là même que nous entourons de plus d'honneur. Ainsi nos membres indécents sont traités avec le plus de décence". 1Co 12,23 Ainsi donc, on peut dire que de la honte naît précisément le "respect" pour son propre corps: respect dont Paul sollicite l'usage dans 1Th 4,4. C'est précisément ce fait d'user "avec sainteté et avec respect" qui se trouve retenu pour la vertu de pureté.
6. En revenant encore à la "description" paulinienne du corps dans 1Co 12,18-25, nous voulons attirer l'attention sur le fait que, selon l'auteur de la lettre, cet effort particulier, qui tend à respecter le corps humain et spécialement les membres les plus "faibles" et les plus "indécents", correspond au dessein originel du Créateur ou à cette vision dont parle le Livre de la Genèse: "Dieu vit tout ce qu'il avait fait et voilà, c'était très bon". Gn 1,31 Paul écrit: "Dieu a disposé le corps de manière à donner davantage d'honneur à ce qui en manque, afin qu'il n'y ait point de division dans le corps, mais qu'au contraire les membres se témoignent une mutuelle sollicitude". 1Co 12,24-25 La "division dans le corps", dont le résultat est que quelques membres sont considérés comme "plus faibles", "moins honorables", donc "indécents", est une expression postérieure à la vision de l'état intérieur de l'homme après le péché originel, c'est-à-dire de l'"homme historique". L'être humain de l'innocence originelle, homme et femme, dont nous lisons dans Gn 2,25, qu'"ils étaient nus ... mais qu'ils n'en éprouvaient pas de honte", ne ressentait pas non plus cette "division dans le corps". A cette harmonie objective dont le Créateur a doté le corps et que Paul précise comme étant une mutuelle sollicitude que se témoignent les différents membres 1Co 12,25, correspondait une harmonie analogue dans l'intimité de l'homme: l'harmonie du "coeur" . Cette harmonie ou, précisément, la "pureté du coeur" permettait à l'homme et à la femme, dans l'état d'innocence originelle, d'expérimenter simplement (et d'une manière qui les rendait originellement heureux tous les deux) la force d'union de leurs corps qui était, pour ainsi dire, l'"insoupçonnable" substrat de leur union personnelle ou de la communion de leurs personnes (communio personarum).
7. Comme on le voit dans la Première lettre aux Corinthiens, l'apôtre lie sa description du corps humain à l'état de l'homme "historique". Au seuil de l'histoire de cet homme se trouve l'expérience de la honte liée à la "division du corps", au sens de pudeur à l'égard de ce corps (et en particulier à l'égard de ses membres qui déterminent du point corporel la masculinité et la féminité). Cependant, dans la même "description", Paul indique la voie qui (précisément sur la base du sens de la honte) conduit à la transformation de cet état jusqu'à la victoire progressive sur cette "division dans le corps", victoire qui peut et qui doit se réaliser dans le coeur de l'homme. Cette voie est précisément celle de la pureté ou du "fait d'user de son corps avec sainteté et respect". Dans 1Co 12,18-25, Paul se réfère au "respect" dont parle 1Th 4,3-5 en utilisant quelques locutions équivalentes lorsqu'il parle du "respect" ou de l'estime pour les membres "les moins honorables", "les plus faibles" du corps et lorsqu'il recommande une plus grande "décence" à l'égard de ce qui est considéré comme "indécent" dans l'homme. Ces locutions caractérisent de plus près ce "respect", surtout dans le domaine des rapports et des comportements humains à l'égard du corps. Voilà ce qui est important, tant à l'égard de son "propre" corps que, évidemment, dans les rapports réciproques (spécialement entre l'homme et la femme, bien qu'ils ne se limitent pas à eux).
Nous n'avons aucun doute que la "description" du corps humain, dans la Première lettre aux Corinthiens, ait une signification fondamentale pour l'ensemble de la doctrine paulinienne de la pureté.
- 4 février 1981