TDC 053 - Liberté et Amour
1. Dans son Epître aux Galates, saint Paul écrit: "Vous en effet, mes frères, vous avez été appelés à la liberté. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair; mais, par la charité, mettez-vous au service les uns des autres. Car un seul précepte contient toute la loi en sa plénitude: Tu aimeras ton prochain comme toi-même". Ga 5,13-14 Déjà la semaine dernière nous nous sommes arrêtés à cet énoncé; aujourd'hui, nous le reprendrons toutefois au point de vue du thème principal de nos réflexions.
Bien que le passage cité se réfère avant tout au thème de la justification, l'Apôtre, toutefois, tend ici à faire comprendre explicitement la dimension éthique de l'opposition du corps et de l'esprit, c'est-à-dire de la vie selon la chair et de la vie selon l'Esprit. De plus, il touche proprement le point essentiel, dévoilant ainsi les racines anthropologiques mêmes de l'ethos évangélique. En effet, si "toute la loi" (la loi morale de l'Ancien Testament) "trouve sa plénitude" dans le commandement de la charité, la dimension du nouvel ethos évangélique n'est rien d'autre qu'un appel adressé à la liberté humaine, un appel à sa plus pleine réalisation et, en un certain sens, à la plus pleine "utilisation" de la potentialité de l'esprit humain.
2. Il pourrait sembler que Paul oppose seulement la liberté à la Loi et la Loi à la liberté. Une analyse approfondie du texte de l'Epître aux Galates démontre cependant que Paul y souligne avant tout la subordination éthique de la liberté à cet élément dans lequel toute la loi s'accomplit, c'est-à-dire à l'amour qui est le contenu du plus grand commandement de l'Evangile. "Le Christ nous a libérés pour que nous restions libres"; et c'est précisément en ce sens qu'il nous a manifesté la subordination éthique (et théologique) de la liberté à la charité et qu'Il a lié la liberté au commandement de l'amour. Comprendre ainsi la vocation à la liberté ("Vous, en effet, mes frères, vous avez été appelés à la liberté": Ga 5,13) signifie déterminer l'ethos dans lequel se réalise la vie "selon l'Esprit". Le danger existe, en effet, d'entendre la liberté de manière erronée, et Paul nous l'indique clairement en écrivant dans ce même contexte: "Que cette liberté seulement ne donne aucune prise à la chair; mais, par la charité, mettez-vous au service les uns des autres." (Ibid.)
3. En d'autres termes: saint Paul nous met en garde contre la possibilité de faire un mauvais usage de la liberté, d'en faire un usage qui soit en contradiction avec la libération de l'esprit humain accomplie par le Christ et qui contredise cette liberté pour laquelle "le Christ nous a libérés". Le Christ, en effet, a réalisé et manifesté la liberté qui trouve sa plénitude dans la charité, la liberté grâce à laquelle nous sommes "au service les uns des autres"; en d'autres termes la liberté qui devient source d'"oeuvres" nouvelles et de "vie selon l'Esprit". L'antithèse et, en un certain sens, la négation de cet usage de la liberté ont lieu lorsque celle-ci devient pour l'homme "prétexte pour vivre selon la chair". La liberté devient alors source d'"oeuvres" et de "vie" selon la chair. Elle cesse d'être l'authentique liberté pour laquelle "le Christ nous a libérés" et elle devient un "prétexte pour vivre selon la chair, source (ou même instrument) d'un joug" spécifique imposé par l'orgueil de la vie, par la convoitise des yeux et la concupiscence de la chair. Celui qui, de cette manière, vit "selon la chair", c'est-à-dire s'assujettit - bien que ce soit de manière inconsciente mais non moins effective - à la triple concupiscence et, particulièrement, à la concupiscence de la chair, perd la capacité d'avoir cette liberté pour laquelle "le Christ nous a libérés"; il n'est plus capable de faire ce vrai don de soi qui est fruit et expression de cette liberté. En outre, il devient incapable de ce don qui est organiquement lié à la signification sponsale du corps humain que nous avons examinée au cours de nos précédentes analyses du Livre de la Genèse Gn 2,23-25.
4. De cette manière, la doctrine paulinienne sur la "pureté", doctrine qui est l'écho fidèle et authentique du Discours sur la Montagne, nous permet de considérer la "pureté de coeur" - évangélique et chrétienne - dans une plus large perspective et elle nous permet surtout de la rattacher à la charité "qui contient la loi dans sa plénitude". Comme le Christ, Paul reconnaît une double signification à la "pureté" et à l'"impureté" un sens générique et un sens spécifique. Dans le premier cas, est "pur" tout ce qui est moralement bon, "impur" tout ce qui est au contraire moralement mauvais. Nous en trouvons une claire affirmation dans les paroles du Christ, selon Mt 15,18-20, que nous avons citées précédemment. Dans les énoncés de Paul au sujet des "oeuvres de la chair" qu'il oppose au "fruit de l'Esprit", nous trouvons la base pour comprendre ce problème de manière analogue. Paul cite, parmi les "oeuvres de la chair", ce qui moralement est mauvais, tandis que tout ce qui est ,moralement bien est rattaché à la "vie selon l'Esprit". Ainsi, une des manifestations de la vie "selon l'Esprit" est le comportement conforme à cette vertu que Paul définit plutôt indirectement dans son Epître aux Galates, mais dont il parle de manière directe dans la première Epître aux Thessaloniciens.
5. Dans les passage de l'Epître aux Galates que nous avons déjà soumis antérieurement à des analyses détaillées, l'Apôtre cite en premier lieu, parmi les "oeuvres de la chair": la "fornication, l'impureté, la débauche"; toutefois, quand, ensuite, il leur oppose le "fruit de l'Esprit", il ne parle pas directement de la "pureté", mais seulement de la "maîtrise de soi", la enkräteia. Cette "maîtrise" de soi, on peut y reconnaître une vertu qui a trait à la continence dans le cadre de tous les désirs des sens, surtout dans le domaine sexuel; elle est donc opposée "à la fornication, à l'impureté, à la débauche", et aussi à l'"ivrognerie" et aux "orgies". On pourrait donc admettre que l'expression paulinienne, "maîtrise de soi", contient ce qu'on exprime par "continence" ou "tempérance" et qui correspond au terme latin "temperentia". Nous nous trouverions dans ce cas en présence du système des vertus que la théologie postérieure, particulièrement la théologie scolastique, allait, en un certain sens, emprunter à l'éthique aristotélicienne. Il est certain toutefois que, dans son texte, Paul ne se sert pas de ce système. Etant donné que, par "pureté", il faut entendre la juste manière de traiter le domaine sexuel selon l'état personnel (et non pas nécessairement une abstention absolue de la vie sexuelle), alors cette pureté est, sans le moindre doute, comprise dans le concept paulinien de "maîtrise de soi" ou enkrateia. C'est pourquoi, dans le cadre du texte paulinien, nous trouvons seulement une mention générique et indirecte de la pureté, en ce sens qu'à des "oeuvres de la chair", comme "fornication, impureté, débauche", l'auteur oppose "le fruit de l'Esprit", c'est-à-dire des oeuvres nouvelles dans lesquelles se manifeste "la vie selon l'Esprit". On peut en déduire qu'une de ces oeuvres nouvelles est précisément la "pureté": celle donc qui est opposée à l' "impureté" et aussi à la "fornication" et à la "débauche".
6. Mais déjà dans la première Epître aux Thessaloniciens, Paul avait écrit à ce sujet de manière explicite et sans équivoque. Nous y lisons: "La volonté de Dieu, c'est que vous viviez dans la sainteté, que vous vous absteniez d'impudicité, que chacun sache user de son corps (Sans entrer dans les discussions particulières des exégètes, il faut cependant signaler que l'expression grecque to heautoü skeüos peut également se référer à l'épouse 1P 3,7.) avec sainteté et respect, sans se laisser emporter par la passion comme font les païens qui ne connaissent pas Dieu". 1Th 4,3-5 Et ensuite: "Dieu ne nous a pas appelés à l'impureté mais à la sanctification. Ainsi donc, celui qui rejette ces instructions, ce n'est pas un homme qu'il rejette, c'est Dieu, lui qui vous donne son Esprit-Saint". 1Th 4,7-8. Bien que nous ayons encore affaire au sens générique de la "pureté ", identifiée dans ce cas à la "sanctification" (en ce sens que l'"impureté" est nommée comme antithèse de la "sanctification"), l'ensemble du contexte n'en indique pas moins clairement de quelle "pureté" ou de quelle "impureté" il s'agit, c'est-à-dire en quoi consiste ce que Paul appelle ici "impureté" et de quelle manière la "pureté" contribue à la sanctification de l'homme.
Aussi conviendra-t-il, dans les réflexions suivantes, de reprendre le texte de la première Epître aux Thessaloniciens, citée ici et là.
- 14 janvier 1981