TDC 041 - La concupiscence et les rapports entre l'homme et la femme
1. Dans le Discours sur la Montagne, le Christ dit: "Vous avez entendu qu'il a été dit: Tu ne commettras pas d'adultère; mais moi je vous dis: Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur" Mt 5,27-28. Depuis quelque temps, nous cherchons à pénétrer la signification de cet énoncé, en en analysant chaque composante pour mieux comprendre l'ensemble du texte.
Lorsque le Christ parle de l'homme qui "regarde pour désirer", il ne montre pas seulement la dimension de l'intentionnalité du "regard", donc de la connaissance concupiscente, la dimension "psychologique", mais il montre la dimension de l'intentionnalité de l'existence même de l'homme. Il montre ce qu' "est" ou, plutôt, ce que "devient", pour l'homme, la femme qu'il "regarde avec concupiscence" . Dans ce cas, l'intentionnalité de la connaissance détermine et définit l'intentionnalité même de l'existence. Dans la situation décrite par le Christ, cette dimension va unilatéralement de l'homme, qui est sujet, vers la femme, qui est devenue objet (mais cela ne veut pas dire que cette dimension soit seulement unilatérale). Pour le moment, ne renversons pas la situation analysée et ne l'étendons pas aux deux parties, aux deux sujets. Arrêtons-nous à la situation décrite par le Christ, en soulignant qu'il s'agit d'un acte "purement intérieur" caché dans le coeur et arrêté au seuil du regard.
Il suffit de constater que, dans ce cas, la femme qui, en raison de sa subjectivité personnelle, existe éternellement "pour l'homme" en attendant que lui aussi, pour la même raison, existe "pour elle", reste privée de la signification de son attirance comme personne. Cette attirance qui est, pourtant, propre à l'"éternel féminin", devient en même temps et seulement un objet pour l'homme: elle commence à exister intentionnellement comme objet de satisfaction potentielle du besoin sexuel qui est inhérent à sa masculinité. Bien que l'acte soit tout à fait intérieur, caché dans le "coeur" et exprimé seulement par le "regard", il y a déjà en lui un changement (subjectivement unilatéral) de l'intentionnalité même de l'existence. S'il n'en était pas ainsi, s'il ne s'agissait pas d'un changement aussi profond, les paroles suivantes de la même phrase: "Il a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur" Mt 5,28, n'auraient pas de sens.
2. Ce changement de l'intentionnalité de l'existence à travers lequel une certaine femme commence à exister pour un certain homme, non pas comme sujet d'un appel et d'une attirance personnelle ou comme sujet de "communion" mais exclusivement comme objet d'une satisfaction potentielle du besoin sexuel, se réalise dans le "coeur" parce qu'il est réalisé dans la volonté. La même intentionnalité cognitive ne veut pas encore dire asservissement du "coeur". C'est seulement lorsque la réduction de l'intention, illustrée précédemment, entraîne la volonté dans son horizon restreint, lorsqu'il en suscite la décision d'une relation avec un autre être humain (dans notre cas, avec la femme) selon l'échelle des valeurs propre à la "concupiscence", que l'on peut dire que le "désir" s'est emparé du "coeur". C'est seulement lorsque la "concupiscence" s'est emparée de la volonté qu'il est possible de dire qu'elle domine la subjectivité de la personne et qu'elle est à la base de la volonté et de la possibilité du choix et de la décision à travers lesquels - en vertu de l'autodécision ou de l'autodétermination - se trouve établi le mode même d'existence à l'égard d'une autre personne. L'intentionnalité d'une pareille existence acquiert alors une pleine dimension subjective.
3. C'est seulement alors - c'est-à-dire à partir de ce moment subjectif et dans son prolongement subjectif - qu'il est possible de confirmer ce que nous avons lu, par exemple dans Si 23,17-22, au sujet de l'homme dominé par la concupiscence et que nous lisons dans des descriptions encore plus éloquentes dans la littérature mondiale. Nous pouvons alors parler également de cette "contrainte" plus ou moins complète qui, ailleurs, est appelée "contrainte du corps" et qui porte avec elle la perte de la "liberté du don" connaturelle à la profonde conscience de la signification sponsale du corps dont nous avons également parlé dans les analyses précédentes.
4. Quand nous parlons du "désir" comme transformation de l'intentionnalité d'une existence concrète, par exemple de l'homme pour qui (selon Mt 5,27-28) une certaine femme devient seulement un objet de satisfaction potentielle du "besoin sexuel" inhérent à sa masculinité, il ne s'agit en aucune manière de mettre en question ce besoin, cette dimension objective de la nature humaine avec la finalité procréatrice qui lui est propre. Les paroles du Christ dans le Discours sur la Montagne (dans tout son vaste contexte) comme la tradition chrétienne authentique, sont loin du manichéisme. Dans ce cas, des objections de ce type ne peuvent donc pas surgir. Il s'agit au contraire du mode d'existence de l'homme et de la femme comme personnes ou, plutôt, de cette existence dans un "par" réciproque qui - également sur la base de ce qui est défini comme "besoin sexuel" selon la dimension objective de la nature humaine - peut et doit servir à la construction de l'unité "de communion" dans leurs rapports réciproques. Telle est, en effet, la signification fondamentale de l'attirance éternelle et réciproque de la masculinité et de la féminité contenues dans la réalité même de la constitution de l'être humain comme personne, à la fois corps et sexe.
5. A l'union ou "communion" personnelle à laquelle l'homme et la femme sont réciproquement appelés "depuis l'origine", ne correspond pas - elle est au contraire en opposition - l'éventuelle circonstance qu'une des deux personnes existe seulement comme sujet de satisfaction du besoin sexuel et que l'autre devienne exclusivement l'objet de cette satisfaction. En outre, le cas où les deux, l'homme et la femme, existeraient comme objet de satisfaction du besoin sexuel et que chacune des parties soit seulement sujet de cette satisfaction ne correspond pas à cette unité de "communion"; il s'y oppose au contraire. Cette "réduction" d'un si riche contenu de l'attirance éternelle et réciproque des personnes humaines, dans leur masculinité et dans leur féminité, ne correspond pas précisément à la "nature" de l'attirance en question. En effet, cette "réduction" étouffe la signification personnelle et "de communion" qui est propre à l'homme et à la femme et à travers laquelle, selon Gn 2,24, "l'homme... s'unira à sa femme et les deux ne seront qu'une seule chair". La "concupiscence" écarte la dimension intentionnelle de l'existence réciproque de l'homme et de la femme des perspectives personnelles et "de communion" qui sont caractéristiques de leur attirance éternelle et réciproque, en la réduisant et, pour ainsi dire, en la poussant vers des dimensions utilitaristes dans le cadre duquel l'être humain "se sert" de l'autre être humain, en "l'utilisant" seulement pour satisfaire ses propres "besoins".
6. Il semble que l'on puisse précisément retrouver ce contenu, chargé d'expérience intérieure humaine propre à des époques et à des milieux différents, dans la courte affirmation du Christ dans le Discours sur la Montagne. En même temps, on ne peut en aucun cas perdre de vue la signification que cette affirmation attribue à l'"intériorité" de l'homme, à la dimension intégrale du "coeur" comme dimension de l'homme intérieur. Ici se trouve le noyau même de la transformation de l'ethos vers laquelle tendent les paroles du Christ dans Mt 5,27-28 qui sont exprimées avec une force puissante et, en même temps, avec une admirable simplicité.
- 24 septembre 1980