TDC 036 - L'adultère dans l'Ancien Testament
1. Lorsque le Christ affirme, dans le Discours sur la Montagne: "Vous avez entendu qu'il a été dit: Tu ne commettras pas d'adultère", il se réfère à ce que chacun de ses auditeurs savait parfaitement et dont il se sentait l'obligé en raison du commandement de Dieu-Yahvé. Cependant, l'histoire de l'Ancien Testament fait voir qu'aussi bien la vie du peuple, uni à Dieu-Yahvé par une alliance particulière, que la vie de tous les hommes s'écarte souvent de ce commandement. Un regard sommaire jeté sur la législation, dont il y a une riche documentation dans les livres de l'Ancien Testament, le montre.
Les prescriptions de la loi dans l'Ancien Testament étaient très sévères. Elles étaient également très détaillées et pénétraient dans les détails concrets les plus minutieux de la vie Dt 21,10-13 Nb 30,7-16 Dt 24,1-4 Dt 22,13-21 Lv 20,10-21 (et d'autres.). On peut présumer que plus la légalisation de la polygamie devenait évidente dans cette loi, plus l'exigence de soutenir ses dimensions juridiques et de fortifier ses limites légales augmentait. D'où le grand nombre des prescriptions, et aussi la sévérité des peines prévues par le législateur lors de l'infraction de ces normes. Sur la base des analyses que nous avons faite s précédemment au sujet de la référence que le Christ fait à "l'origine" dans son discours sur l'indissolubilité du mariage et sur "l'acte de répudiation", il est évident qu'il voit clairement la contradiction fondamentale que le droit matrimonial de l'Ancien Testament cachait en lui en acceptant la polygamie dans les faits, c'est-à-dire en acceptant les concubines auprès des épouses légales ou le droit de vivre avec l'esclave.
Note - (Bien que le livre de la Genèse présente le mariage monogame d'Adam, de Set et de Noé comme une modèle à imiter et qu'il semble condamner la bigamie qui apparaît seulement parmi les descendants de Caïn Gn 4,19, la vie des patriarches fournit néanmoins d'autres exemples contraires. Abraham observe les prescriptions de la loi de Hammurabi qui acceptait que l'on épouse une seconde femme dans le cas où la première était stérile. Jacob avait deux épouses et deux concubines Gn 30,1-19.
Le livre du Deutéronome admet l'existence légale de la bigamie Dt 21,15-17 et même de la polygamie en demandant au roi de ne pas avoir trop de femmes Dt 17,17. Il confirme aussi l'institution des concubines prisonnières de guerre Dt 21,10-14 ou esclaves Ex 21,7-11. (Cf. R. De Vaux, Ancient Israël, Its Life and Institutions, London, 1976, 3ème éd., Darton, Longmann, Todd p.24-25, 83). Il n'y a pas non plus de mention explicite sur l'obligation de la monogamie, bien que l'image présentée par les livres postérieurs montre qu'elle prévalait dans la pratique sociale (cf. par ex. les livres sapientiaux, excepté Si 37,11 Tb 1 ss).
On peut dire que ce droit, tandis qu'il combattait le péché, le contenait en même temps en lui et qu'il protégeait même les "structures sociales du péché", qu'il en constituait la légalisation. Dans ces circonstances, il fallait que le sens éthique essentiel du commandement. "tu ne commettras pas d'adultère" subisse aussi une réévaluation fondamentale. Dans le Discours sur la Montagne, le Christ dévoile de nouveau ce sens en dépassant les étroitesses traditionnelles et légales.
2. Il vaut peut-être la peine d'ajouter que dans l'interprétation de l'Ancien Testament, autant l'interdiction de l'adultère est marquée, si l'on peut dire, par le compromis avec la concupiscence du corps, autant la position à l'égard des déviations sexuelles est déterminée. Ceci est confirmé par les prescriptions correspondantes qui prévoient la peine capitale pour l'homosexualité et pour la bestialité. Pour ce qui est du comportement d'Onan, fils de Judas (qui a donné naissance à la dénomination moderne d'"onanisme "), la Sainte Ecriture dit "qu'il ne plut pas au Seigneur qui le fit mourir aussi" Gn 38,10.
Le droit matrimonial de l'Ancien Testament, dans sa plus vaste globalité, met au premier plan la finalité procréatrice du mariage et, dans quelques cas, cherche à montrer un traitement juridique équivalent pour l'homme et pour la femme - par exemple en ce qui concerne la peine pour adultère, il est explicitement dit: "Quand un homme commet l'adultère avec la femme de son prochain, ils seront mis à mort, l'bomme adultère aussi bien que la femme adultère" Lv 20,10 - mais, dans l'ensemble, il porte préjudice à la femme en la traitant avec une plus grande sévérité.
3. Il faudrait peut-être mettre en relief le langage de cette législation qui, comme toujours dans ce cas, est un langage objectivant de la sexualité de cette époque. C'est aussi un langage important pour l'ensemble des réflexions sur la théologie du corps. Nous y rencontrons la confirmation du caractère de pudeur qui entoure ce qui, dans l'homme, appartient au sexe. Ce qui est sexuel se trouve même, dans un certain sens, considéré comme "impur", en particulier lorsqu'il s'agit des manifestations physiologiques de la sexualité humaine. Le fait de "découvrir la nudité" (cf. par ex. Lv 20,11 Lv 20,17-21 est stigmatisé comme l'équivalent de l'accomplissement d'un acte sexuel illicite. La même expression semble déjà ici suffisamment éloquente. Il n'y a pas de doute que le législateur a cherché à se servir de la terminologie qui correspondait à la conscience et aux coutumes de la société contemporaine. Ainsi donc le langage de la législation de l'Ancien Testament doit nous confirmer dans la conviction que non seulement la physiologie du sexe et les manifestations somatiques de la vie sexuelle sont connues du législateur, mais qu'elles sont également évaluées d'une manière déterminée. Il est difficile de se soustraire à l'impression que cette évaluation avait un caractère négatif. Ceci n'annule certainement pas les vérités que nous connaissons à partir du livre de la Genèse et on ne peut pas accuser l'Ancien Testament - et, entre autres, les livres législatifs - d'être comme les précurseurs d'un manichéisme. Le jugement qui y est exprimé au sujet du corps et du sexe n'est pas tant "négatif" ni sévère que, caractérisé plutôt par un objectivisme motivé par l'intention de mettre de l'ordre dans ce domaine de la vie humaine. Il ne s'agit pas directement de l'ordre du "coeur", mais de l'ordre de la vie sociale tout entière à la base de laquelle se trouve, depuis toujours, le mariage et la famille.
4. Si l'on prend en considération la problématique "sexuelle" dans son ensemble, il convient peut-être encore de porter son attention sur un autre aspect qui est mis en évidence dans les différents livres de l'Ancien Testament et qui porte sur le lien existant entre la moralité, la loi et la médecine. Ces livres contiennent beaucoup de prescriptions pratiques concernant le domaine de l'hygiène ou celui de la médecine qui sont plus caractérisés par l'expérience que par la science, selon le niveau qui est alors atteint Lv 12,1-6 Lv 15,1-28 Dt 21,12-13 Du reste, il est notoire que le lien expérience-science est encore actuel. Dans ce vaste domaine de problèmes, la médecine suit toujours de près l'éthique, et l'éthique, tout comme la théologie, cherche sa collaboration.
5. Dans le Discours sur la Montagne, lorsque le Christ prononce les paroles: "Vous avez entendu qu'il a été dit: Tu ne commettras pas l'adultère et qu'il ajoute immédiatement: "Mais moi je vous dis ...", il est clair qu'il veut reconstruire dans la conscience de ses auditeurs la signification éthique propre de ce commandement en se séparant de l'interprétation des "docteurs", les experts officiels de la loi. Mais, en plus de l'interprétation provenant de la tradition, l'Ancien Testament nous offre encore une autre tradition pour comprendre le commandement: "Tu ne commettras pas d'adultère." C'est la tradition des prophètes. Ces derniers, en se référant à "l'adultère", voulaient rappeler à "Israël et à Juda que leur plus grand péché était l'abandon de l'unique et vrai Dieu en faveur du culte aux différentes idoles que le peuple choisi avait adoptées facilement et de manière inconsidérée au contact des autres peuples. Ainsi donc, la caractéristique propre du langage des prophètes est plutôt l'analogie avec l'adultère que l'adultère lui-même. Cependant, cette analogie sert à comprendre aussi le commandement: "Tu ne commettras pas d'adultère" et l'interprétation qui s'y rapporte et qui fait défaut dans les documents législatifs. Dans les oracles des prophètes et, particulièrement, dans ceux d'Isaïe, d'Osée et d'Ezéchiel, le Dieu de l'Alliance se trouve souvent représenté comme l'Epoux et l'amour par lequel il est lié à Israël peut et doit être identifié avec l'amour conjugal des conjoints. Et voici qu'Israël, à cause de son idolâtrie et de l'abandon du Dieu-Epoux, commet vis-à-vis de lui une trahison qui peut se comparer à celle de la femme à l'égard du mari: il commet précisément un "adultère".
6. Par des discours éloquents et souvent par des images et des ressemblances extraordinairement vivantes, les prophètes présentent aussi bien l'amour de Yahvé-Dieu que la trahison d'Israël-Epouse qui s'abandonne à l'adultère. C'est là un thème qui devra encore être repris dans nos réflexions quand nous analyserons le problème du "sacrement". Néanmoins, il faut Dès maintenant l'effleurer car il est nécessaire pour comprendre les paroles du Christ selon Mt 5,27-28, et pour comprendre ce renouvellement de l'ethos qu'impliquent les paroles suivantes: "Mais moi je vous dis ...". Si, d'une part, dans ses textes, Isaïe Is 54 Is 62,1-5 met surtout en relief l'amour de Yahvé-Epoux qui, dans chaque circonstance, va à la rencontre de l'épouse en dépassant toutes ses infidélités, d'autre part, Osée et Ezechiel abondent en comparaisons qui éclairent surtout la laideur et le mal moral de l'adultère commis par l'Epouse-Israël.
Dans la méditation suivante, nous chercherons à pénétrer encore plus profondément dans les textes des prophètes pour éclaircir ultérieurement le contenu qui, dans la conscience des auditeurs du Discours sur la Montagne, correspondait au commandement: "Tu ne commettras pas d'adultère."
- 20 août 1980