TDC 010 - Valeur du mariage indissoluble, à la lumière des premiers chapitres de la Genèse
1. Rappelons-nous qu'interrogé sur l'unité et l'indissolubilité du mariage, le Christ en avait appelé à ce qui était "à l'origine ". Il a cité les paroles contenues dans les premiers chapitres de la Genèse. Cherchons donc, au cours des présentes réflexions, à pénétrer le sens propre de ces paroles et de ces chapitres.
La signification originelle de l'être humain que Dieu créa "homme et femme" se découvre (particulièrement à la lumière de Gn 2,23) en connaissant l'homme dans l'entière dotation de son être, c'est-à-dire dans toute la richesse de ce mystère de la création qui se trouve à la base de l'anthropologie théologique. Cette connaissance, c'est-à-dire la recherche de l'identité humaine de celui qui est seul à l'origine, doit toujours passer par la dualité, la "communion".
Rappelons-nous Gn 2,23: "Alors l'homme dit: "Cette fois, celle-ci est l'os de mes os, la chair de ma chair. Celle-ci on l'appellera Femme parce que d'un homme elle a été prise"". A la lumière de ce texte nous comprenons que la connaissance de l'homme passe par les caractères masculin et féminin qui sont comme deux "incarnations" de la même solitude métaphysique devant Dieu et le monde - comme deux manières d'"être corps" et d'être en même temps être humain qui se complètent réciproquement - comme deux dimensions complémentaires de l'"autoconscience" et de l'"autodétermination" et en même temps comme deux consciences complémentaires de la signification du corps. Ainsi, comme le démontre déjà Gn 2,23, le féminin, d'une certaine façon, se retrouve lui-même face au masculin tandis que le masculin se confirme par le féminin. Précisément la fonction du sexe qui, en un certain sens, est "constitutif de la personne" (et pas seulement "un attribut de la personne") démontre combien profondément l'être humain, avec toute sa solitude spirituelle, avec le caractère unique qui ne peut se répéter, propre à la personne, est constitué par le corps comme "lui" ou "elle". La présence de l'élément féminin à côté de l'élément masculin, et tout ensemble avec lui, signifie un enrichissement pour l'homme dans toute la perspective de son histoire, y compris l'histoire du salut. Tout cet enseignement sur l'unité a déjà été exprimé originairement dans Gn 2,23.
2. L'unité dont parle Gn 2,24 "les deux deviendront une seule chair" est sans aucun doute celle qui s'exprime et se réalise dans l'acte conjugal. La formule biblique, extrêmement concise et simple, indique le sexe, masculin et féminin, comme cette caractéristique de l'homme - mâle et femelle - qui leur permet, quand ils deviennent "une seule chair", de soumettre simultanément toute leur humanité à la bénédiction de la fécondité. Toutefois, dans son ensemble, le contexte de la lapidaire formule ne nous permet pas de nous arrêter à la surface de la sexualité humaine, ne nous permet pas de traiter du corps et du sexe en dehors de la pleine dimension de l'homme et de la "communion des personnes"; mais il nous oblige, dès l'"origine", à découvrir la plénitude et la profondeur propres de cette unité que l'homme et la femme doivent constituer à la lumière de la révélation du corps.
Donc, l'expression prospective qui dit "l'homme ... s'unira à sa femme" si intimement que "les deux deviendront une seule chair" nous induit toujours à retourner en tout premier lieu à ce que le texte biblique exprime auparavant au sujet de l'union dans l'humanité qui unit l'homme et la femme dans le mystère même de la création. Les paroles de Gn 2,23 que nous venons d'analyser, expliquent de manière particulière ce concept. L'homme et la femme s'unissant l'un à l'autre (dans l'acte conjugal) de manière si étroite qu'ils forment "une seule chair" redécouvrent, pour ainsi dire, chaque fois et de manière toute particulière, le mystère de la création et retournent ainsi à cette union dans l'humanité ("chair de ma chair et os de mes os") qui leur permet de se reconnaître réciproquement et, comme la première fois, de s'appeler par leur nom. En un certain sens cela signifie revivre l'originelle valeur virginale de l'homme qui émerge du mystère de sa solitude face à Dieu et au milieu du monde. Le fait qu'ils deviennent "une seule chair" est un lien puissant établi par le Créateur à travers lequel ils découvrent leur propre humanité, soit dans son unité originelle, soit dans la dualité d'une mystérieuse attraction réciproque. Mais le sexe est quelque chose de plus que la force mystérieuse de la corporéité humaine qui agit presque en vertu de l'instinct. A niveau d'homme et dans la réciproque relation des personnes, le sexe exprime un dépassement toujours nouveau des limites de la solitude de l'homme inhérente à la constitution de son corps et en détermine la signification originelle. Ce dépassement contient toujours en soi une certaine prise en charge comme sienne propre de la solitude du corps du second "ego".
3. Aussi cette "prise à sa charge" est-elle liée au choix. La formule même de Gn 2,24 indique, non seulement que les êtres humains, créés comme homme et femme, ont été créés pour l'unité, mais aussi que précisément cette unité, par laquelle ils deviennent une seule chair, a dès l'origine le caractère d'une union qui découle d'un choix. Nous lisons, en effet: "L'homme laissera son père et sa mère et s'unira à sa femme." Si du fait de la génération, l'être humain appartient "par nature" à son père et à sa mère, c'est au contraire "par choix" qu'il s'unit à sa femme (ou à son mari). Le texte de Gn 2,24 définit ce caractère du lien conjugal en se référant au premier homme et à la première femme mais il le fait en même temps dans la perspective de tout l'avenir terrestre de l'homme. C'est pourquoi en son temps le Christ en appellera-t-il à ce texte comme toujours actuel à son époque. Formés à l'image de Dieu, même lorsqu'ils forment une authentique communion de personnes, le premier homme et la première femme doivent en constituer l'origine et le modèle pour tous les hommes et pour toutes les femmes qui, à n'importe quelle époque, s'uniront l'un à l'autre si intimement qu'ils deviendront "une seule chair". Le corps qui, à travers son caractère masculin ou féminin, aide dès l'origine l'un et l'autre ("une aide qui soit semblable à lui") à se retrouver dans une communion de personnes devient de manière toute particulière l'élément constitutif de leur union lorsqu'ils deviennent mari et femme. Ceci se réalise, toutefois, à la suite d'un choix. C'est le choix qui établit le pacte conjugal entre les personnes (*) qui, en se basant seulement sur ce choix, deviennent "une seule chair".
(*) "La communauté profonde de vie et d'amour que forme le couple a été fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur; elle est établie sur l'alliance des conjoints, c'est-à-dire sur leur consentement personnel irrévocable" GS 48
4. Ceci correspond à la structure de la solitude de l'homme et, concrètement, à la "double solitude". Le choix, comme expression d'"autodétermination", repose sur le fondement de cette structure, c'est-à-dire sur le fondement de son "autoconscience". Ce n'est que sur la base de sa propre structure que l'homme "est corps" et, par le corps, il est également "homme et femme". Lorsque tous deux s'unissent d'une manière si intime qu'ils deviennent "une seule chair", leur union conjugale présuppose une mûre conscience du corps. Mieux, cette union renferme une particulière conscience de la signification du corps dans le don réciproque des personnes. Même en ce sens, Gn 2,24 est un texte perspectif. Il démontre en effet que dans toute union conjugale de l'homme et de la femme se redécouvre à nouveau la conscience originelle de la signification unitive du corps en tant que masculin et féminin; de cette manière le texte biblique indique en même temps que dans toute union de ce genre le mystère de la création se renouvelle, de certaine manière, dans toute son originelle profondeur et force vitale. "Tirée de l'homme" en tant que "chair de sa chair", la femme devient par la suite, comme épouse et de par sa maternité, mère des vivants Gn 3,20 car sa maternité a également en lui sa propre origine. La procréation est enracinée dans la création et, en un certain sens, elle reproduit chaque fois son mystère.
5. Une réflexion spéciale sera consacrée à "la connaissance et la procréation". Il faudra, en l'occurrence, se référer à d'autres éléments du texte biblique. L'analyse de la signification de l'unité originelle - que nous avons faite jusqu'à présent - démontre comment "depuis l'origine" cette unité de l'homme et de la femme, inhérente au mystère de la création, a été donnée également comme engagement en vue de tous les temps successifs.
- Le 21 novembre 1979