La "Théologie du Corps" ?
Les Catéchèses du mercredi
Initialement conçues par Karol Wojtila comme un livre, la "Théologie du Corps" a providentiellement trouvé un statut nouveau et une audience nouvelle du fait de l'élection comme Pape. Jean-Paul II a souhaité en faire véritablement le socle de son pontificat en y consacrant les audiences du mercredi pendant près de cinq ans !
Le terme de "Catéchèse" peut évoquer pour certain une instruction destinée aux enfants. En réalité, il vient du grec katekhein qui signifie 'faire résonner la Parole'. Le but de la catéchèse n'est pas d'acquérir des connaissances ; elle vise à nous faire entrer dans une plus grande intimité avec la Personne du Christ. Le Concile de Vatican II a d'ailleurs insisté sur la place que les évêques doivent y accorder1.
La Crise du Corps
Jean-Paul II a considéré que l'un des chantiers les plus urgents de son pontificat était de restaurer dans les hommes et les femmes le sens de leur corporéité. Les pèlerins présents ont fait montre de leur étonnement : les catéchèses ne sont-elles pas censées évoquer des sujets plus 'spirituels' ?
C'est en fait une telle conception achrétienne de la spiritualité que Jean-Paul II vise par ces enseignements : l'occident est en effet contaminé par le divorce cartésien entre le corps et l'âme :
"Malheureusement, la pensée occidentale, avec le développement du rationalisme moderne, s'est peu à peu éloignée de cet enseignement. Le philosophe qui a énoncé le principe du « cogito, ergo sum », « je pense, donc je suis », a aussi imprimé à la conception moderne de l'homme le caractère dualiste qui la distingue. C'est le propre du rationalisme d'opposer chez l'homme, de manière radicale, l'esprit au corps, et le corps à l'esprit. Au contraire, l'homme est une personne dans l'unité de son corps et de son esprit [...] La séparation de l'esprit et du corps dans l'homme a eu pour conséquence l'affermissement de la tendance à traiter le corps humain non selon les catégories de sa ressemblance spécifique avec Dieu, mais selon celles de sa ressemblance avec tous les autres corps présents dans la nature, corps que l'homme utilise comme matériel pour son activité en vue de la production des biens de consommation. Mais tous peuvent immédiatement comprendre que l'application à l'homme de tels critères cache en réalité d'énormes dangers. Lorsque le corps humain [...] est utilisé comme matériel au même titre que le corps des animaux [...] on va inévitablement vers une terrible dérive éthique.2
Le problème du culte du corps actuel n'est pas qu'il accorde trop de valeur au corps, mais qu'il n'en accorde pas assez ! Il rejoint en effet - parfois dans l'esprit de certains chrétiens - une vieille hérésie déjà condamnée par l'Eglise, le manichéisme, qui affirme que l'esprit serait la partie digne de la personne, le corps en étant la partie indigne. Jean-Paul II poursuit :
Devant une pareille perspective anthropologique, la famille humaine en arrive à vivre l'expérience d'un nouveau manichéisme, dans lequel le corps et l'esprit sont radicalement mis en opposition : le corps ne vit pas de l'esprit, et l'esprit ne vivifie pas le corps. Ainsi, l'homme cesse de vivre comme personne et comme sujet. Malgré les intentions et les déclarations contraires, il devient exclusivement un objet. Dans ce sens, par exemple, cette civilisation néo-manichéenne porte à considérer la sexualité humaine plus comme un terrain de manipulations et d'exploitation que comme la réalité de cet étonnement originel qui, au matin de la création, pousse Adam à s'écrier à la vue d'Eve : « C'est l'os de mes os et la chair de ma chair » (Gn 2, 23). C'est l'étonnement dont on perçoit l'écho dans les paroles du Cantique des Cantiques : « Tu me fais perdre le sens, ma sœur, ô fiancée, tu me fais perdre le sens par un seul de tes regards » (Ct 4, 9). Comme certaines conceptions modernes sont loin de la compréhension profonde de la masculinité et de la féminité offerte par la Révélation divine ! Cette dernière nous fait découvrir dans la sexualité humaine une richesse de la personne qui trouve sa véritable mise en valeur dans la famille et qui exprime aussi sa vocation profonde dans la virginité et dans le célibat pour le Règne de Dieu.
Nous sommes faits à l'image et à la ressemblance de Dieu, affirme la Bible.. cependant, nous perdons de vue ce fait, pour nous attacher à notre similarité aux animaux. En déshumanisant ainsi le corps, nous le réifions, le dominons et l'exploitons. L'expression principale de la corporéité étant la sexualité, c'est celle-ci qui subit une blessure profonde.
Pour dépasser cette vision du corps, nous devons retrouver l'émerveillement originel qu'inspirait à Adam la vue du corps humain. Nous devons reconnaître le trésor que constitue la sexualité en ce qu'elle est un signe de notre ressemblance à Dieu et un appel à vivre à l'image de Dieu dans le don sincère de soi. C'est le but de la Théologie du Corps de Jean-Paul II.
L'Évangile du Corps
La Théologie du Corps est plus qu'une catéchèse sur l'amour et la sexualité : c'est une réponse, non seulement à la révolution sexuelle, mais aussi aux Lumières, au dualisme cartésien et aux anthropologies désincarnées qui se répandent.
Du début à la fin, ces catéchèses appellent à rencontrer le Christ vivant et incarné, et à comprendre comment son corps nou revèle le sens de nos corps. Le Concile Vatican II le résume ainsi :
En réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe Incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de Celui qui devait venir le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation.3
Le corps du Christ proclame l'évangile du corps : le Verbe n'a pas choisi d'être un "pur esprit". Il s'est incarné dans le corps d'une femme vierge, a voulu être baptisé dans le Jourdain, est transfiguré sur la montagne, a guéri les malades et pris soin des foules qui avaient faim, avant de livrer son corps pour souffrir sa passion.
Nous sommes appelés à partager la vie divine : c'est même le but de notre création4 Nous sommes appelés à l'union avec le Dieu qui a pris chair. Car l'union de l'homme et de la femme en une chair est un "grand mystère" qui, dès le début de la Genèse, signifie et préfigure l'union du Christ et de l'Église5. Ceci est une bonne nouvelle, l'Évangile du Corps
- 1. "la prédication et l'enseignement catéchétique qui tiennent toujours la première place", Décret Christus Dominus - 1965
- 2. Jean-Paul II, Lettre aux Familles, 1994
- 3. Gaudium et Spes, 22
- 4. Dieu, infiniment Parfait et Bienheureux en Lui-même, dans un dessein de pure bonté, a librement créé l’homme pour le faire participer à sa vie bienheureuse, Catéchisme de l'Eglise Catholique, 1
- 5. Saint Paul : "A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme et tous les deux ne feront plus qu'un. Ce mystère est grand : je le dis en pensant au Christ et à l'Église", Ep 5,31-32