La Pureté et la "Vie dans l'Esprit".
Heureux les coeurs purs :
ils verront Dieu !1
Heureux les coeurs purs, en effet, car ils verront le mystère de Dieu révélé dans le corps de l'homme. Rappelons-nous la thèse de Jean-Paul II : "seul le corps est capable de rendre visible le mystère invisible caché en Dieu de toute éternité".2
La pureté, nous dit le Pape, est le prérequis de l'amour : c'est la dimension de la vérité intérieure de l'amour dans le coeur de l'homme3. C'est la pureté qui, dans la subjectivité de l'homme, fait le lien entre sa solitude et son appel à la communion.
De la pureté du corps à la pureté du coeur
Pour parler de la pureté, nous utilisons instinctivement le vocabulaire de la propreté. L'Ancien Testament accorde une grande importance à la propreté du corps comme en témoigne le nombre incalculable d'ablutions rituelles. Nombre d'entre eux sont liés à l'impureté sexuelle (aux maladies sexuellement transmissibles)4.
Ces prescriptions médicales ont pris au fil du temps un sens moral - liée à la suspicion envers le corps - que le Christ récuse en disant que "Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme"5 : l'absence de propreté physique ne crée pas l'impureté morale6. A l'inverse, aucune ablution ne justifie l'impureté morale.
C'est parce que c'est la pureté du coeur qui est essentielle que Jean-Paul II accorde tant d'importance à la subjectivité de l'homme.
La chair et l'esprit dans Saint Paul
Pour retrouver l'expérience de la béatitude dans la pureté, nous devons dépasser la tension entre la chair et l'esprit exprimée par Paul7 :
Car les tendances de la chair s'opposent à l'Esprit, et les tendances de l'Esprit s'opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire ce que vous voudriez.
Comme le dit le Saint-Père, "le problème n'est pas le corps (la chair) et l'esprit (l'âme) : ceux-ci constituent depuis le commencement l'essence-même de l'homme. Leur unité rend l'homme très bon.8 Ce que Paul dénonce dans l'opposition entre la chair et l'esprit cest la tension introduite par le péché originel9.
Le Pape10 est attentif à utiliser un E majuscule poutrr parler du Saint-Esprit et de l'opposition que nous ressentons "dans la chair" avec ses désirs pour nous. Il note également que la "chair" dans Saint-Paul ne doit pas être identifiée avec la sexualité ou le corps, mais comprend, en plus de l'homme extérieur, l'homme intérieur coupé de Dieu. Vivre dans la chair c'est vivre de manière non-in-spirée, sans l'Esprit. C'est vivre comme si la poussière de notre humanité n'avait pas été inspirée.
Ajoutons que l'Eglise appelle le Saint Esprit la "Personne-Amour" ou la "Personne-Don"11: il veut nous in-spire pour que nous vivions selon la signification sponsale - conjugale - de notre corps. "Sur lui reposera l'Esprit de Dieu esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte de Dieu."12
La Justification par la Foi
Le Saint-Père observe que les mots de Saint Paul décrivent bien le combar dans le coeur de l'homme entre le bien et le mal. Mieux, ils donnent une méthode pour l'emporter. En effet, Paul parle du combat entre la chair et l'Esprit dans le cadre de son discours sur la justification par la foi. 13
L'homme ne peut se justifier par l'observance de la loi14 S'il tente de le faire, alors le Christ ne lui sert de rien et il passe à côté de la nécessité et de l'objectif de la rédemption. "Vous qui pensez devenir des justes en pratiquant la Loi, vous vous êtes séparés du Christ, vous êtes déchus de la grâce."15 Le Catéchisme résume16 :
La Loi confiée à Israël n’a jamais suffi à justifier ceux qui lui étaient soumis ; elle est même devenue l’instrument de la "convoitise" (cf. Rm 7, 7). L’inadéquation entre le vouloir et le faire (cf. Rm 7, 10) indique le conflit entre la loi de Dieu qui est la "loi de la raison" et une autre loi "qui m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres" (Rm 7, 23).
"Maintenant, sans la Loi, la justice de Dieu s’est manifestée, attestée par la Loi et les prophètes, justice de Dieu par la foi en Jésus Christ à l’adresse de tous ceux qui croient " (Rm 3, 21-22). Dès lors les fidèles du Christ "ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises" (Ga 5, 24) ; ils sont conduits par l’Esprit (cf. Rm 8, 14) et suivent les désirs de l’Esprit (cf. Rm 8, 27).
Et la foi, dans sa nature la plus profonde, est l'ouverture du cœur humain devant le Don, devant la communication que Dieu fait de lui-même dans l'Esprit Saint.17 Par la foi, ce n'est pas l'homme qui se justifie, mais Dieu qui le justifie.
L'homme justifié par la foi n'a plus besoin de la loi18. Christopher West, dans ses conférences illustre cela en demandant à un homme marié s'il désire tuer sa femme. Un homme qui ne le désire pas n'a pas besoin du commandement "tu ne tueras pas" car son coeur est a-justé sur la volonté de Dieu. De la même manière, un homme qui a reçu la pureté sexuelle n'a pas besoin d'un catalogue d'interdits.
[L'Évangile] n’ajoute pas de préceptes extérieurs nouveaux, mais il va jusqu’à réformer la racine des actes, le cœur, là où l’homme choisit entre le pur et l’impur (cf. Mt 15, 18-19), où se forment la foi, l’espérance et la charité, et avec elles, les autres vertus.19
La liberté que le Christ nous a gagnée
La vie selon la chair apporte la mort. Il ne s'agit pas que de la mort physique, mais aussi de la réalité du péché mortel qui tue en nous la vie de l'Esprit. Ceux qui vivent ainsi "n'hériteront pas du Royaume des Cieux"20 dit Saint Paul. Il ajoute ailleurs que l'homme impur ne reçoit en héritage le Royaume des Cieux21 Seul l'homme pur pourra voir Dieu. En fait, c'est la définition de la pureté dans la béatitude : la capacité à voir Dieu. L'impureté, inversement, n'est que l'incapacité à voir Dieu, qui veut pourtant toujours se donner.
Le Christ nous a libérés. Pour Saint-Paul, la liberté est toujours intimement liée à l'amour : "vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour satisfaire votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres"22. Supprimer notre liberté pour ne pas pécher ne correspond pas à l'Ethos de l'Évangile. Si comme Ulysse nous devons nous enchaîner pour ne pas pécher, alors nous sommes exactement ceci : enchaînés. "Or, le Seigneur, c'est l'Esprit, et là où l'Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté" 23.
Dieu ne veut pas imposer le bien, il veut des être libres.24 Le droit à l’exercice de la liberté est une exigence inséparable de la dignité de la personne humaine25 Cette dynamique opère dans l'éducation des enfants, spécialement une fois qu'ils ont atteint l'âge adulte : les parents ont la tâche délicate de proposer le bien à leurs enfants sans le leur imposer.
Si la loi semble oppressante, c'est lorsque nous ne croyons pas que nous pouvons nous affranchir de ce qu'elle condamne. L'homme qui imagine qu'il ne peut pas ne pas convoiter veut se "libérer" (comme dans "libération sexuelle") de ce poids pour pouvoir vivre sans contrainte enchaîné à la convoitise. S'affranchir de la liberté, en somme, pour accueillir à bras ouverts l'esclavage.
Pour les purs, tout est pur ; mais pour ceux qui sont souillés et qui refusent de croire, rien n'est pur : leur esprit et leur conscience sont souillés. Ils proclament qu'ils connaissent Dieu, mais ils le renient par leurs actes, abominables qu'ils sont, indociles et inaptes à rien faire de bien26
Pureté et chasteté
La pureté ne consiste pas simplement à éviter la non-chasteté. Elle demande d'accueillir vraiment la chasteté, c'est à dire une révérence, une admiration et un respect pour le corps. Toute pureté qui ne procèderait pas de ce respect pour la dignité du corps n'atteint pas le coeur de la chasteté.
Ainsi, la modestie qui s'appuie sur une dévalorisation de la sexualité n'est pas une modestie authentique. Dans Amour et Responsabilité le futur pape reconnaît que la modestie est liée à la manière dont les gens se vêtissent, mais le lien n'est pas celui que la plupart des gens intuitent. Couvrir les parties génitales ne manifeste pas une volonté de cacher des parties honteuses mais au contraire de protéger celles qui méritent l'honneur le plus grand en raison de la dignité que Dieu leur a accordé.
La nudité partielle et même totale ne sont ainsi pas nécessairement de l'immodestie : "l'immodestie est présente uniquement lorsque la nudité impacte négativement la dignité de la personne, quand elle a pour but d'attiser la concupiscence, qui a pour résultat de réduire la personne au rang d'objet de plaisir", ce qu'il appelle la dépersonnalisation par sexualisation. Mais il ajoute que cela n'est pas inévitable : seul un "maître du soupçon" supposerait que la nudité du corps mène inévitablement une personne à la concupiscence.
La pureté : vertu et don
La pureté est la capacité à faire fructifier les dons de l'Esprit.27 Parmi ces dons, la piété, c'est à dire la révérence pour le plan de Dieu, a une place particulière. Jean-Paul II dit d'elle qu'elle est un "fil conducteur peu connu de la théologie du corps, mais qu'elle mérite une étude approfondie".
Ce sens de la piété, Saint-Paul veut l'éveiller en nous :
Le corps est, non pas pour la débauche, mais pour le Seigneur Jésus, et le Seigneur est pour le corps ; Ne le savez-vous pas ? Vos corps sont les membres du Christ. Vais-je donc prendre les membres du Christ pour en faire les unir à une prostituée ? Absolument pas. Fuyez la débauche. Tous les péchés que l'homme peut commettre sont extérieurs à son corps ; mais la débauche est un péché contre le corps lui-même. Ne le savez-vous pas ? Votre corps est le temple de l'Esprit Saint, qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu ; vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes, car le Seigneur a payé le prix de votre rachat. Rendez donc gloire à Dieu dans votre corps.
La débauche est pour Saint-Paul un signe de dédain du salut accordé par Dieu. Là encore, les actes ne sont pas; la pureté du coeur est la seule chose qui compte.
Un couple qui choisirait de ne pas avoir de relations sexuelles avant le mariage mais qui, pour se tenir sa résolution, s'interdit de demeurer seuls a t-il vraiment trouvé la pureté ? Qu'est ce que cela dit du désir de leur coeur ?
Et que signifie alors la nuit de noce : que le mariage serait un lieu où la concupiscence peut légitimement avoir libre cours ? Si un couple n'est pas libre dans son coeur, passer devant l'autel ne les rendra pas magiquement libres.
Faire confiance à notre capacité à choisir dans la liberté de contrôler notre concupiscence et à choisir le bien peut nous effrayer. Il est plus facile de maintenir nos coeurs dans le soupçon perpétuel, mais c'est l'antithèse du sens de notre vie ! Nous sommes appelés, en fixant le Christ, à sortir de la barque et à marcher sur l'eau !
Cela implique un risque. Le "safe sex" n'existe pas. Il est toujours risqué d'aimer, mais ne pas le faire reviendrait à saborder la barque. Comme Pierre, le Christ nous appelle : "viens !"
- 1. Mt 5, 8
- 2. TDC 19,4
- 3. TDC 49,7
- 4. cf. Lv 15
- 5. Mt 15,11-20
- 6. Jésus va également ici clairement contre la croyance que la menstruation rend une femme impure (Lv 18,19)
- 7. Ga 5,17
- 8. TDC 51,1
- 9. cf CEC 2516, CEC 2517-2519, CEC 2520
- 10. contrairement à la Bible de la Liturgie...dont nous avons déjà souligné les faiblesses
- 11. Dominum et Vivificantem, 10
- 12. Is 11,1-2
- 13. cf. Rm 7 et Rm 8; Ga 5)
- 14. dont on a déjà vu que la suivre littéralement pouvait causer des dommages importants.
- 15. Ga 5,4
- 16. CEC 2542-2543
- 17. Dominum et Vivificantem, 51
- 18. cf. Ga 5,18
- 19. CEC 1968
- 20. Ga 5,21
- 21. Ep 5,5
- 22. Ga 5,13
- 23. 2Co 3,17
- 24. CEC 2847
- 25. CEC 1738
- 26. Tt 1,15-16
- 27. cf. TDC 56,1