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Le Célibat pour le Royaume des Cieux

Le Célibat pour le Royaume des Cieux

Publié par Incarnare le mercredi 26/08/2009 - 14:56

Jusqu'ici, la question centrale de nos articles était : qu'est-ce qu'être humain ? Avec cet article, nous entrons avec Jean-Paul II dans l'évocation d'une seconde question : Comment vivre ma vie en accord avec la vérité de mon humanité ?

Il est intéressant de noter que c'est dans la même discussion, en réponse aux pharisiens, que le Christ rétablit le plan de Dieu pour le mariage et qu'il présente le Célibat pour le Royaume des Cieux1 C'est pourquoi Jean-Paul II écrit2 :

 La Révélation chrétienne connaît deux façons spécifiques de réaliser la vocation à l'amour de la personne humaine, dans son intégrité: le mariage et la virginité. L'une comme l'autre, dans leur forme propre, sont une concrétisation de la vérité la plus profonde de l'homme, de son «être à l'image de Dieu».

Le célibat consacré fait l'objet de 14 catéchèses entre le 10 mars et le 21 juillet 1982. Le Pape a de bonnes raisons de présenter la vocation au célibat avant la vocation au mariage : ce n'est que la compréhension du sens du célibat consacré qui permet d'appréhender la sacramentalité du mariage. Le célibat consacré consiste en une participation immédiate (ne serait-ce que par anticipation) de la réalité signifiée sacramentellement par le mariage.

Rappelons-nous les paroles de Jean-Paul II : le mariage ne "correspond pas parfaitement au sens fondamental et originel de la corporéité et de la sexualité. Le mariage et la procréation permettent seulement de manifester ce sens de manière tangible dans l'histoire"3. (ie. pour l'homme historique) Dans ce sens, ceux qui vivent le célibat "pour le Royaume des Cieux" sortent de l'histoire : ils proclament que le "royaume de Dieu est parmi nous".

 

A cause du Royaume des Cieux. Qui peut comprendre, qu'il comprenne !

Le célibat est donc une orientation radicale vers l'état eschatologique où les êtres humains "ne prendront plus mari ni femme." Cependant, le fait que Jésus évoque le célibat dans le contexte de son dialogue avec les pharisiens (sur le mariage) plutôt que dans celui avec les sadducéens (sur la resurrection) a un sens.

Quand le Christ affirme l'indissolubilité du mariage, ses disciples lui disent : « Si telle est la situation de l'homme par rapport à sa femme, il n'y a pas intérêt à se marier. »4 Au lieu de répondre à leur argument, le Christ fait alors une autre déclaration, encore plus radicale5:

 Ce n'est pas tout le monde qui peut comprendre cette parole, mais ceux à qui Dieu l'a révélée. Il y a des gens qui ne se marient pas car, de naissance, ils en sont incapables ; il y en a qui ne peuvent pas se marier car ils ont été mutilés par les hommes ; il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du Royaume des cieux. Celui qui peut comprendre, qu'il comprenne ! »

Le Christ sait que ce qu'il dit va être dur à entendre pour ses auditeurs, qui participent d'une culture juive où le mariage est privilégié (et quasi universel) par la bénédiction de fécondité dans la genèse puis par celle d'Abraham. Le Pape le résume ainsi : c'est comme s'il voulait dire : "Je sais que ce que je vais vous dire va causer un grand trouble dans votre conscience et dans votre compréhension du corps ; je vais vous parle en effet de continence, que vous associez instinctivement à un état de déficience physique innée ou acquise. Je veux vous dire qu'au contraire la continence peut être librement choisie par l'homme 'pour le royaume des cieux' "6

Si le Christ amorce un virage théologique radical, il n'exprime par un commandement valable pour tous, mais un conseil qui ne concerne que quelques-uns. Ainsi, le Saint-Père dit que la continence est une exception à la règle générale qu'est le mariage7

Une communion virginale volontaire et surnaturelle

Le Pape souligne que le célibat est un choix personnel soutenu par une grâce particulière. Il est donc volontaire et surnaturel. Etant un choix personnel, il ne peut être imposé à quiconque8. De l'autre côté, même s'il est librement choisi, s'il ne l'est pas "pour le Royaume"9, alors il ne s'agit pas du célibat chrétien dont parle le Christ.

Le célibat chrétien est au coeur de cette tension du "déjà, mais pas encore". En effet, le Saint-Père souligne qu'il n'est pas question de célibat dans le royaume des cieux, mais pour le royaume des cieux10. C'est une anticipation de la vie eschatologique à venir. En tant que vocation terrestre, il diffère du "corps glorieux" de la résurrection car, le mariage étant dans ce monde la voie normale et noble, le célibat implique un renoncement et une effort spirituel particulier.
Cependant, cela ne signifie pas que l'état virginal du monde à venir soit marqué par une absence de réelle communion de personnes : la virginité et la communion ne s'opposent pas mais s'accomplissent l'une dans l'autre. Ainsi le célibataire consacré, s'il renonce à l'expression génitale de la communion incarnée, ne renonce pas à la vocation humaine de la communion des personnes.

Celui qui choisit le Célibat pour le Royaume des Cieux choisit de participer dès aujourd'hui aux "noces de l'Agneau". Le terme de célibat a pour nous une connotation négative qui rappelle plus ce à quoi le célibataire renonce que ce qu'il gagne - le mariage céleste11. Cette vocation est incompréhensible pour qui partage la culture juive, sauf à suivre l'exemple... du Christ lui-même.

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Le mariage virginal de Joseph et Marie

Le mariage de Joseph et Marie contient à la fois le mystère de la communion des personnes et le mystère de la continence pour le royaume. Dans l'alliance de Marie et Joseph dans le mariage et la continence s'opère, par la fécondité de l'Esprit, l'Incarnation du Verbe12

Joseph, loin d'être un faire-valoir pour donner une légitimité à Marie, joue par son "oui" virginal un rôle important dans le mystère de l'Incarnation, même s'il diffère de celui de Marie. Le Pape développe13: "Au moment sa propre annonciation, Joseph ne dit rien, il se contente de faire ce que l'ange du Seigneur lui avait commandé14. Ce consentement dans l'action, typiquement masculin, peut être considéré comme l'homologue conjugal du 'qu'il en soit fait selon ta parole' de Marie." La paternité de Joseph n'est pas moins réelle à cause de sa virginité. 

L'incompréhension du monde

Le monde (et un certain nombre de catholiques) peine à comprendre cette vocation... Ils se disent : "comment un catho peut-il se désinteresser du mariage ? après tout, c'est pour lui l'unique moyen d'avoir une vie sexuelle légitime, non ? comment quelqu'un sain d'esprit peut-il préférer une vie sans sexe ? "

Ce questionnement résulte d'une vision avec des oeillères causée par la normalisation de la concupiscence. 

En effet, quand elle est vécue de manière authentique, la vocation à la continence pour le royaume est un témoignage percutant de la liberté pour laquelle le Christ nous a rachetés. Bien sûr, un mariage chaste témoigne de la même liberté. Les oeillères consistent à croire que le mariage est le lieu d'expression légitime de la concupiscence.

Quiconque a une vision juste du mariage chrétien comprend également de manière juste le célibat chrétien. Jean-Paul II affirme que derrière l'appel à la continence (Mt 19) et l'appel à dépasser la convoitise (Mt 5) se trouve la même anthropologie et le même ethos.15

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La différence entre mariage et célibat ne se situe pas dans l'existence d'un lieu de légitimation de la concupiscence : le Christ nous appelle tous à vaincre la concupiscence et à vivre une liberté nouvelle. Sans l'expérience de cette liberté nouvelle, le célibat semble horriblement répressif et le mariage complètement permissif. Qu'on est loin de l'Évangile !

La "supériorité" du célibat

Au cours de l'histoire, des distorsions dans l'enseignement de l'Église ont laissé entendre que le célibat serait un appel "supérieur" au mariage. Ces distorsions sont dues notamment à une mauvaise interprétation de 1Co 7,916. Une bonne interprétation se trouve, on l'a vu, dans la notion de remedium concupiscentiae.

Certains en ont déduit que le mariage était une vocation de seconde zone pour ceux qui ne "peuvent encaisser" le célibat. Un raisonnement sous-jacent est le suivant : "si le célibat est si bon, alors le mariage doit être mauvais" ou "si s'abstenir de relation sexuelle est si bon, alors la relation sexuelle doit vraiment être sale". On est en pleine hérésie manichéenne. Rien ne pourrait être plus éloigné de la pensée de l'Église lorsqu'elle promeut la valeur du célibat.

La seule cause de supériorité du célibat est son orientation "pour le Royaume des Cieux"17. En ce sens, le célibat n'est pas un sacrement du ciel sur la terre, comme le mariage, mais il est le ciel sur terre (au moins par anticipation). Le mariage annonce que le Royaume des Cieux va venir ; le célibat annonce qu'il est déjà là. L'unique supériorité du célibat est qu'il se passe du signe dans la foi en la réalité effective du signifié. C'est le "heureux qui croit sans avoir vu"18 adressé à Thomas.

Solitude et communion dans le célibat

Puisque le mariage est une bonne institution, y renoncer demande un sacrifice. En appelant les hommes et les femmes à renoncer à mariage, le Christ ne leur cache pas les souffrances19 qui peuvent accompagner la continence. D'une certaine manière, ceux qui choisissent le célibat choisissent de demeurer dans la solitude originelle, dans cette contemplation de l'abîme intérieur comme appel à entrer en relation, cette souffrance qui fait dire à Dieu lui-même "Il n'est pas bon que l'homme soit seul"20. C'est choisir une solitude pour Dieu.

La personne continente reste ainsi sexuée (c'est-à-dire duale, poussée vers l'altérité), d'une manière différente de la personne mariée : non pas dans l'union en une chair mais plus vers l'intersubjectivité de tous.

Mariage et célibat se complètent et s'expliquent mutuellement

Le Concile Vatican II a réaffirmé que tous étaient appelés à la sainteté. Avant cela, beaucoup de catholiques pensaient que seuls les consacrés étaient appelés à la sainteté. Puisqu'on disait traditionnellement que ceux qui choisissaient vivre les conseils évangéliques (pauvreté, chasteté, obéissance) avaient choisi l'état de perfection, on en déduisait à tort que les autres vivaient l'état d'imperfection.

Jean-Paul II rétorque que "le célibat et le mariage ne divisent pas l'humanité en deux camps [....] la perfection de la vie chrétienne se mesure plutôt par la mesure de l'amour"21 Il ajoute que puisque la vocation dans le mariage mène à la maternité et la paternité, la vocation au célibat doit, dans son développement normal, mener à une certaine forme de paternité ou de maternité spirituelle. 

Tout homme, en vertu de la signification de son corps, est appelé à devenir mari et père. 
Toute femme, en vertu de la signification de son corps, est appelée à devenir épouse et mère.

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Certain(e)s vivent le célibat non choisi. Cela ne signifie pas que leur vie spirituelle et charnelle soit suspendue : ils et elles peuvent vivrent une vie féconde en servant leurs frères en gardant l'espoir de trouver un conjoint ou de discerner un appel au célibat. Dans la mesure où ils vivent le don d'eux-même, dans la prière, le travail, les loisirs, le service de leurs amis, familles, voisins ou des pauvres, ils vivent authentiquement la signification conjugale de leur corps.

Précisément parce que le célibat consacré n'est pas un sacrement, il montre en quoi le mariage est sacrement. Il montre que le mariage n'est pas une fin en soi mais pointe vers cette réalité eschatalogique des noces de l'Agneau. Il souligne donc la beauté du mariage. Il empêche également que le mariage soit idolâtré et est ainsi un remède au culte du corps auquel se livre le monde.

Le célibat révèle au monde la profondeur de l'amour de Dieu

Prendre sa croix et suivre le Christ au prix du renoncement au mariage et à la fondation de sa propre famille est un grand sacrifice. Si le Christ propose de sacrifier un bien si grand, c'est pour donner au centuple. Pour se donner complètement à l'homme. Ce choix est pour le monde un grand signe. 

Nous vivons dans cette tension du "déjà, mais pas encore" pour ce qui concerne la venue du Royaume. Dans ce sens on peut dire que le célibat insiste sur le déjà tandis que le mariage insiste sur le pas encore.

 

La relation entre mariage et célibat selon Paul

Revenons sur ce passage de 1Co 7 dont nous avons montré que l'interprétation commune est erronée. Le Pape y consacre quatre catéchèses (TDC 82-85). Il nous invite d'abord à considérer que Paul écrit sans doute en réponse à des questions22, probablement posées par des parents (à qui appartenait dans la société de l'époque le droit de marier ou non leurs enfants) de Corinthe (ville marquée par un ascétisme particulier dont l'origine se trouve dans les courants de pensée dualistes qui dévaluent le corps).

Paul propose une opinon en prenant bien soin de distinguer les paroles du Seigneur de ses propres interprétations. Il faut donc prendre soin de les lire à la lumière de la vie et des paroles du Christ.

Jean-Paul II, s'appuyant sur les écrits de l'apôtre, va jusqu'à se demander si Paul n'a pas une aversion pour le mariage. Il dit en effet "je voudrais que tous soient [célibataires] comme moi". Toutefois, il reconnaît que si l'on lit le texte dans son ensemble, on ne trouve pas les traits constitutifs de ce que sera le manichéisme.
Paul, tout en reconnaissant que le mariage n'est pas mauvais contre l'opinion majoritaire à Corinthe, veut donc manifestement en épargner aux fidèles "les épreuves"23 Cette observation réaliste semble être une réponse à certains qui auraient une vision un peu trop idéalisée. 
Paul adopte un critère de discernement très personnaliste : chacun a reçu de Dieu un don qui lui est personnel : l'un celui-ci, l'autre celui-là24 Le don de l'Esprit qui a fait son temple de notre corps s'exprime pareillement dans les deux vocations, pourvu que nous y restions fidèles.

Enfin, Paul ne peut justifier ici une vision du mariage comme lieu d'expression légitime de la concupiscence, qui serait en contradiction totale avec l'appel en Ep 5 : maris, aimez vos femmes comme le Christ aime l'Église. Le mariage est le remède et non le lieu d'expression légitime de la concupiscence.

Le célibat, meilleur ? 

En plus des éléments de réponse déjà fournis, un autre élément pousse Saint Paul a préférer le célibat au mariage : l'homme marié a le souci de cette vie tandis que l'homme non marié a le souci des affaires du Seigneur25. Le célibataire a choisi, selon les mots du Christ, la meilleure part, la seule chose nécessaire26

Jean-Paul II rappelle encore que dans le mariage comme dans le célibat, tous sont appelés à la sainteté. Considérer la sainteté comme quelque chose que nous produisons nous amène à considérer le meilleur moyen de production, la meilleure vocation. Cette vision est fausse : le sainteté est avant tout un don de Dieu, qui s'exerce également dans les différentes vocations.

Enfin, Saint-Paul considère - avec raison - que le mariage est une institution appelée à disparaître (dans les Cieux, car elle aura perdu sa raison d'être) et considère qu'il ne faut pas montrer trop d'attachement aux choses périssables. L'homme et la femme mariée ne doivent ainsi pas se laisser trop lier par les soucis du monde C'est ce qu'il veut dire en écrivant : que ceux qui ont une femme soient comme s'ils n'avaient pas de femme27.

Les "devoirs" des époux

L'aspect "contractuel" du mariage et les devoirs des époux ont été à une époque mis en avant de façon bien trop disproportionnée. En disant "Ne vous refusez pas l'un à l'autre, sinon temporairement et en plein accord, pour prendre le temps de prier et vous retrouver ensuite ; autrement vous ne sauriez pas vous maîtriser, et Satan vous tenterait", Saint-Paul offre, nous dit le Pape, une intuition pratique et personnaliste sur la vie sexuelle conjugale. Des périodes d'abstinence choisie, relativement courtes, nous aident à respecter le temps propre à chaque personne, la subjectivité et la riche différence entre les sexes. Confiées à Dieu, ces périodes sont ainsi un remède contre la concupiscence, et permettent de toucher plus encore au coeur du mariage.

 
 

 

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La presse se fait l'écho d'un livre du journaliste Ekke Overbeek indiquant que Karol Wojtyła, futur Pape Jean-Paul II (et aujourd'hui Saint Jean-Paul II) aurait avant son élection pontificale, en tant qu'archevêque de Cracovie, eu connaissance de témoignages de faits de pédo-criminalité (la presse ne relaie ni le nombre ni la nature des faits) et n'aurait pas apporté la réponse appropriée (à savoir le signalement des faits aux autorités civiles et le déclenchement d'une enquête canonique aboutissant au renvoi à l'état laïc des malfaiteurs).