La "vérité" du mariage (et l'accès à la communion des divorcés-remariés)
Le Synode sur la famille n'a pas conclu sur l'accès aux sacrements pour les divorcés-remariés : constatant que la question était épineuse, les Pères ont renvoyé la question à l'année prochaine. Les paragraphes 52 et 53, qui l'évoquaient, n'ont pas recueilli les deux tiers requis pour être adopté par le Synode. C'est que la question mérite d'être étudiée de près, car il ne s'agit pas d'une "simple" question disciplinaire.
Autrement dit, une compréhension - voire un approfondissement - de la doctrine sur le mariage est nécessaire pour saisir les options possibles. Et, dans la pensée catholique, le "possible" ne correspond pas simplement à l'exploitation opportuniste et politiquement satisfaisante d'un non-dit doctrinal ; il s'agit de comprendre en profondeur 1. ce qu'est le mariage ainsi que 2. la pédagogie des sacrements. L'agitation passée, et avec elle les oppositions stériles1, il est bon de prendre le temps de relire à tête reposée chacune des contributions au débat.
Deux approches complémentaires
Le Cardinal Kasper2 a, de son côté, réfléchi sur la pédagogie des sacrements. Réaffirmant l'indissolubilité "qui ne doit pas être abandonnée au nom d'une miséricorde à bas prix"3, le Card. Kasper étudie un 'régime d'exception', pour le salut des âmes : « Ne faut-il pas considérer que nous perdrons aussi la génération suivante et peut-être même celle d’après ? ».
Dans un livre4trop rapidement taxé de pamphlet, d'autres ont cherché à préciser ce qu'est le mariage.
Ce livre contient des articles de grande qualité, notamment une analyse canonique et historique par Mgr Vasil, jésuite et archevêque d'une église orientale, du divorce dans les églises orthodoxes, une analyse biblique de l'enseignement du Christ par le P. Mankoswski, également jésuite, et une analyse historique par John M. Rist du divorce dans l'Eglise primitive. Ces études permettent de renoncer à certaines idées reçues, ou solutions de facilité, par exemple celle comme quoi « certains conciles ont admis la possibilité d'un deuxième mariage »5.
L'indissolubilité, principe juridique ? prescription morale ? ou plus ? Le propos du Cardinal Caffara
Un article clé du livre est celui, relativement court, du Cardinal Caffara (dont nous avions déjà évoqué la pensée ici). Pour lui, l'indissolubilité du mariage sacramentel n'est « pas d'abord une obligation morale ou juridique. C'est un don qui configure ontologiquement la personne des époux, en tant qu'unis l'un à l'autre par un lien étroit, qui est le symbole réel de l'appartenance de l'Eglise au Christ et du Christ à l'Eglise. » Le Cardinal que ce symbole n'est pas un simple signe qui renvoie à une réalité, mais que « cette réalité est présente dans le signe ».
Pour expliquer, le cardinal (citant Saint Bonaventure) fait une analogie avec le baptême : dans celui-ci, il y a un caractère permanent rendu possible par une réalité transitoire (l'ablution). De même, dans le mariage, le consentement (transitoire, donné une fois) permet l'établissement de quelque chose de permanent, le lien conjugal.
La sacramentalité du mariage consistant principalement dans don lien indissoluble (Bonaventure : «c'est principalement en raison de son indissolubilité que le mariage a valeur de sacrement»), l'indissolubilité n'est pas posée dans l'être exclusivement ou principalement à cause de l'obligation mutuelle contractée par le double consentement, mais à cause de l'action de Dieu qui définit le sens du sacrement (Bonaventure : «la cause première est l'institution par Dieu ; la cause prochaine est le contrat humain»).
Dieu n'agit jamais contre la liberté de la personne ou indépendamment d'elle. Le consentement ne fait que rendre possible l'action de Dieu. Il ne constitue pas l'indissolubilité : il est seulement le consentement au don de l'indissolubilité par le Seigneur.
Un commentaire à ce stade : le Cardinal Caffara s'appuie ici sur le mariage en tant que sacrement. Certains jugent que cet aspect sacramentel est « un fardeau qu'on fait peser sur les gens d'avoir un amour qui est à l'image de l'Amour de Dieu pour les siens »6. De fait, le mariage est un signe de contradiction7. A la lumière ce ce qui précède, il semble que l'un des axes de réflexion à approfondir est précisément celui évoqué par Benoît XVI en janvier 2013 : le manque de foi peut-il est cause de nullité ? Des époux qui ne choisissent pas en connaissance de cause cette indissolubilité radicale, ontologique, et non seulement fait d'obligation morale, font-ils un mariage sacramentel chrétien ?
Quelles conséquences pour la communion des divorcés-remariés ? Après un développement sur l'eucharistie, lieu de réalisation de l'union du Christ et de l'Eglise, le cardinal poursuit sur les sacrements, qui selon lui ne sont pas une simple pédagogie ni un ordre moral :
Quand l'Eglise parle d'indissolubilité du mariage conclu et consommé (ratum et consumatum), elle parle d'un lien qui n'est pas d'abord moral (« il faut faut observer les accords : pacta sunt servanda ») même si l'on voit en lui, comme il se doit, une promesse faite coram Deo8. Le sacrement est l'oeuvre du Christ dans l'Eglise ; à ce titre, il ne peut être attaqué ni par les conjoints eux-mêmes, ni par une autorité civile ou ecclésiastique. L'accès du divorcé-remarié à l'eucharistie ne deviendrait plausible que par la réduction de l'économie sacramentelle à un ordre moral9.
En d'autres termes, le non-accès au sacrement n'est pas d'ordre disciplinaire, ni une pénalité, il est incompatibilité de fait. Le cardinal ajoute :
Qu'on fasse bien attention ! La loi morale n'est pas simplement imposition d'une volonté supérieure, fut-elle divine. C'est la destruction opérée par la crise nominaliste10 qui introduisit cette vision de la loi morale dans la pensée chrétienne.
L'essence des propositions normatives de la morale se trouve dans la vérité du bien qu'elles contiennent. La malice intrinsèque de l'acte adultérin consiste dans le fait que la liberté de l'adultère nie la vérité de la sexualité humaine. Le drame de l'homme ne consiste pas dans la difficulté de vivre une période de son histoire, contingente et unique par définition, en ayant à se conformer à une loi de caractère universel. Le drame de l'homme consiste dans la possibilité inscrite dans sa liberté, en tant que créée et blessée par le péché, de nier par ses choix la vérité sur le bien de sa personne, connue par la raison et/ou par la Révélation divine.
Cette réflexion est intéressante et le cardinal en tire deux conséquences : dans la mesure où l'indissolobilité du mariage n'est pas qu'une loi humaine, il est impossible de lui opposer l'epikie11 ; il est impossible également de faire appel à la prudence («ce qui est en soi intrinsèquement illicite ne peut jamais faire l'objet d'un jugement prudent») pour justifier un remariage.
Perspectives
Le dialogue entre cette réflexion sur la nature du mariage et la réflexion sur les sacrements comme pédagogie entrerprise par le Cardinal Kasper a de l'intérêt et doit être approfondi. C'est dans cette contemplation commune de la vérité donnée par Dieu pour nos vies, et non dans les solutions de facilité ou les réponses rapides, que se trouvera le juste chemin pour chacun.
Les évêques ont un an pour nourrir leur réflexion et demander à l'Esprit de les éclairer, en vue du concile de 2015. La vérité n'étant pas réservée à l'épiscopat, nous pouvons nous aussi suivre leur pas et nous essayer au dialogue paisible, nourri par une étude consciencieuse et soucieuse tant de la vérité que de la miséricorde.
- 1. les "cardinaux frondeurs" contre les "partisans du Pape"
- 2. cf. p5-6 de ce résumé de son discours au consistoire sur Aleteia
- 3. «On ne peut proposer une solution différente ou contraire à la Parole de Jésus. L’indissolubilité d’un mariage sacramentel et l’impossibilité d’un nouveau mariage durant la vie de l’autre partenaire fait partie de la tradition de foi contraignante de l’Eglise qui ne peut pas être abandonnée ou défaite au nom d’une compréhension superficielle de la miséricorde à bas prix»
- 4. "Demeurer dans la vérité du Christ. Mariage et communion dans l'Eglise catholique" textes rassemblés par Robert Dodaro - 311p, aux Editions Artège, 19,90€
- 5. cf. Anne Soupa dans cette vidéo de Pèlerin, à 4'46"
- 6. cf. Anne Soupa dans cette vidéo de Pèlerin, à 7'20". Oui, Anne Soupa a l'avantage de bien formuler les opinions courantes et les idées reçues ;)
- 7. cf. Relatio Synodi, 31
- 8. Note d'Incarnare: devant Dieu
- 9. Note d'Incarnare : l'argument du cardinal étant qu'elle a un caractère ontologique, et non moral.
- 10. Note d'Incarnare : théorie philosophique / hérésie inaugurée par Guillaume d'Ockham. D'après lui, on ne peut accéder à la nature des choses. Le "bien" nous est donc inaccessible par la raison : nous ne connaissons que la loi, expression d'une volonté divine vue comme arbitraire et non fondée sur la nature des choses et accessible par la raison. Cette pensée s'oppose à l'idée de loi naturelle, fondement de la pensée catholique en matière de morale.
- 11. qui consiste à dire que la loi humaine ne peut traiter convenablement tous les cas