Le corps, au coeur du combat spirituel
La vie humaine est au centre d'un combat spirituel entre le bien et le mal. Le Concile Vatican II le décrit ainsi1 :
Un dur combat contre les puissances des ténèbres passe à travers toute l'histoire des hommes; commencé dès les origines, il durera, le Seigneur nous l'a dit(8), jusqu'au dernier jour. Engagé dans cette bataille, l'homme doit sans cesse combattre pour s'attacher au bien; et ce n'est qu'au prix de grands efforts, avec la grâce de Dieu, qu'il parvient à réaliser son unité intérieure.
A quel niveau ce combat se situe-t-il ? Remarquons que le chapitre 5 de la lettre aux Éphésiens, qui se conclut sur cette affirmation de Saint-Paul "ceci [l'union en une chair de l'homme et la femme] est un grand mystère, je le dis en pensant au Christ et à l'Église", est immédiatement suivi... du chapitre 6 qui, après une exhortation aux enfants, annonce le combat spirituel2 :
Revêtez l'équipement de Dieu pour le combat, afin de pouvoir tenir contre les manoeuvres du démon. Car nous ne luttons pas contre des hommes, mais contre les forces invisibles, les puissances des ténèbres qui dominent le monde, les esprits du mal qui sont au-dessus de nous.
Dès lors que l'on approche le mystère, les "ténèbres tentent de nous en éloigner".. par quel moyen ?
Parodie du Sacrement primordial
Toute la création fait écho à la beauté du Verbe, mais l'humain dispose d'une voix propre pour louer dans la liberté. Dieu a voulu l'homme libre de ses propres décisions3 : en effet, l'homme est la seule créature voulue pour elle-même.
Au commencement, le corps humain reflètait sans tâche la beauté du Verbe, et ainsi ils étaient nus et n'avaient pas honte. Entre cette expérience primordiale et la feuille de vigne, l'homme et la femme rencontrent le père du mensonge. que Jean-Paul II qualifie d'anti-Verbe4.
Beaucoup d'entre nous ne voient aujourd'hui dans Satan que le symbole du mal, mais posons-nous la question : si il y a un ennemi qui veut nous empêcher d'accéder au salut (ie. aux noces de l'Agneau) et que l'union sexuelle entre l'homme et la femme est le signe fondamental que Dieu a voulu donner pour signifier son plan, où l'ennemi va t-il attaquer ? où va t-il diriger ses flèches ?
Le but de Satan est de nous convaincre que nous ne pouvons pas faire confiance à Dieu, et ainsi détourner notre liberté de Lui. Tertullien, un écrivain chrétien des premiers siècles, remarquait déjà5 que sa meilleure arme consiste à parodier les sacrements. Il vise ainsi le Dieu de l'Alliance.
Considérons le monde actuel :
- Dieu se présente comme un Père aimant ; la paternité est au centre des attaques du diable avec la pédophilie. Cette attaque contre le symbole du père est encore plus violente lorsqu'elle est du fait d'un prêtre.
- Dieu se présente comme Créateur soucieux de ses créatures ; notre participation a son oeuvre de création, la pro-création, est handicapée avec les souffrances liées à l'infertilité ou niée avec l'avortement.
- Dieu se présente comme Don total et fidèle ; le diable par l'infidélité et le divorce nous fait douter de la possibilité-même d'un tel don, nous éloignant ainsi du mariage.
- Dieu est un dieu Personnel, qui aime chacun personnellement ; la pornographie présente des corps impersonnels, anonymisés dont on n'attend pas qu'ils se donnent pour se les approprier et que ne révèlent pas le signe de la beauté de la Personne.
En effet, c'est ce qui est le plus sacré qui est le plus lourdement profané : en retournant ce fait, il suffit de regarder ces choses de notre monde qui sont le plus fréquemment et le plus violamment attaquées pour, en négatif, retrouver ce qui a la plus de valeur aux yeux de Dieu.
Le diable n'a qu'un pouvoir limité : tout ce qu'il peut faire, c'est proposer une contrefaçon de l'Amour, prendre le mystère de Dieu et de la beauté de notre création et les tordre.
Symbolique et diabolique
Notre culture vit un combar entre le symbolique et le diabolique. En grec, symballein signifie 'rassembler, unir' ; diaballein signifie 'séparer, disperser'. Le plan de Dieu, symbolisé par le corps, est l'union, la communion, le mariage ; le diable en fait une contrefaçon en le diabolisant par la séparation et le divorce.
Beaucoup d'entre nous vivent la tentation de "spiritualiser" l'appel de Dieu à la sainteté. Cependant, l'esprit qui nie la réalité charnelle n'est pas l'Esprit de Dieu6 et céder à cette tentation fait de nous des schyzophrènes spirituels.
Comment vaincre alors ce mensonge et vivre une vie spirituelle incarnée ? Ne cédons pas à la tentation de nous éloigner du corps au motif que le diable l'a détourné de son objectif : prenons "l'équipement de Dieu pour le combat" et revendiquons ce que Satan a plagié et parodié.
Nous éviter ce "dédoublement de personnalité" est exactement le but de la Théologie du Corps.
Angélisme et animalisme
Les anges sont des personnes, sans être corporels ; les animaux sont corporels mais ne sont pas des personnes. L'homme est une personne à la fois corporelle et spirituelle. Le Catéchisme insiste7 lourdement8 sur ce point, et notamment sur le fait que Dieu a voulu ces deux natures qui sont, comme telles, très bonnes.
Au commencement cette nature double se vit dans l'harmonie et est un signe efficace de l'appel au don sincère de soi. Cependant, quand l'homme a accepté l'anti-Verbe, son péché a altéré cette harmonie, provoquant un véritable divorce. Le monde touché par le péché est ainsi un monde où les Époux ne se reconnaissent pas : séparation entre le divin et l'humain, entre le ciel et la terre, l'âme et le corps, la spiritualité et la sexualité, la sacralité et la sensualité, la masculinité et la féminité.
Ceux qui perpétuent ce divorce entendent le vivre comme s'il s'agissait d'une donnée fondamentale : ils tombent ainsi dans l'un de ces deux travers qui mènent l'un comme l'autre à la destruction de la personne et de la culture.
- l'Angélisme promeut une vie spirituelle, divorcée du corps. En échouant à reconnaître la dignité du corps, il mène à la pruderie ou au puritanisme. La morale qui en découle est le rigorisme qui condamne des manifestations de la sexualité parmi les plus naturelles. Le grand danger en est qu'il peut facilement être confondu pour de la sainteté.
- l'Animalisme issu du matérialisme promeut une vie charnelle divorcée de l'esprit. En échouant à considérer que le corps et la sexualité doivent être éclairées par la dignité spirituelle de l'homme, il vise l'indécence ; il confond le plaisir physique et la satisfaction ultime de l'homme. La morale qui en découle est le permissivisme et le libertarisme, qui condamne toute forme de tempérance comme un obstacle à la liberté. Pour le trouver, il suffit d'allumer votre télévison !
Réunir le Corps et l'Esprit
L'attaque de la paternité de Dieu - sur le fait que Dieu est Amour - a connu différentes étapes au cours de l'histoire. Elle est d'abord passé par la destruction systématique de notre représentation de Dieu pour arriver, dans une nouvelle étape de l'Histoire lorsque la "culture du mort" y a été prête, à la négation même de son existence, dans l'athéisme humaniste.
Nos sociétés, et nous-mêmes, tendons à osciller entre ces deux extrêmes. Cependant le Christ propose une autre voie par l'Incarnation.Voici en somme ce que nous dit le Christ : "Tu ne crois pas dans l'Amour de mon Père ? Je vais le rendre tangible, je vais l'incarner pour que vous puissiez Le goûter et Le voir. Vous ne croyez pas que Dieu veut vous donner la vie ? Je vais donner ma vie, mon corps et mon sang, pour vous afin que mon sang vous vivifie. Vous pensiez que Dieu est un esclavagiste ou un tyran, qu'il vous fouetterait si vous lui en donniez l'occasion ? Je vais prendre pour vous la forme de l'esclave et je vous laisserai me flageller et me clouer sur un arbre ; pour vous montrer que mon Père n'a aucun désir de domination sur vous, je vais vous laisser me dominer. Je ne suis pas venu vous condamner, mais vous sauver ; je ne veux pas vous réduire en esclavage mais faire de vous des hommes libres. Ne soyez pas incroyants : croyez et recevez le don de la vie que je vous offre."
Croire, pour un chrétien, ce n'est pas adhérer à une fable. On ne croit pas "à quelquechose" mais "en quelqu'un" ! Avoir la foi, c'est accepter le don de Dieu, de croire qu'il m'a créé et que cela était bon, très bon. C'est baisser les boucliers pour s'ouvrir à la Vie. Jean-Paul II nous explique9 :
[Dans sa participation à la rédemption,] l'homme retrouve la grandeur, la dignité et la valeur propre de son humanité. [Il] se trouve de nouveau «confirmé» et il est en quelque sorte créé de nouveau. Il est créé de nouveau! [...] L'homme qui veut se comprendre lui-même jusqu'au fond ne doit pas se contenter pour son être propre de critères et de mesures qui seraient immédiats, partiaux, souvent superficiels et même seulement apparents; mais il doit, avec ses inquiétudes, ses incertitudes et même avec sa faiblesse et son péché, avec sa vie et sa mort, s'approcher du Christ. Il doit, pour ainsi dire, entrer dans le Christ avec tout son être, il doit «s'approprier» et assimiler toute la réalité de l'Incarnation et de la Rédemption pour se retrouver soi-même. S'il laisse ce processus se réaliser profondément en lui, il produit alors des fruits non seulement d'adoration envers Dieu, mais aussi de profond émerveillement pour soi-même.
Le mal a jeté le doute sur la Vérité "Dieu est Amour" et en conséquence a implanté en nous l'image du maître et de l'esclave comme modèle de relation avec Dieu. Ce paradigme est étranger à l'Évangile, affirme Jean-Paul II10.
La vie libérée de ce fardeau devient action de grâce (eucharistia)
L'homme ne peut vivre sans amour
Notre création à l'image de l'Amour qui donne la vie explique pourquoi le corps et la sexualité nous fascinent et pourquoi nous avons à ce point besoin d'intimité, de tendresse et d'union. Oui, dans le monde tombé loin de Dieu, cette fascination se manifeste de manière destructrice. Mais si nous corrigeons la convoitise qui nous aveugle, nous réalisons que cette fascination révèle une soif de Dieu. Jean-Paul II développe11:
L'homme ne peut vivre sans amour. Il demeure pour lui-même un être incompréhensible, sa vie est privée de sens s'il ne reçoit pas la révélation de l'amour, s'il ne rencontre pas l'amour, s'il n'en fait pas l'expérience et s'il ne le fait pas sien, s'il n'y participe pas fortement. C'est pourquoi, comme on l'a déjà dit, le Christ Rédempteur révèle pleinement l'homme à lui-même.
Christ ne vient pas pour détruire en nous l'humanité mais pour la restaurer dans sa gloire originelle. Voici la proposition que l'Eglise fait au monde ! Malheureusement, même dans des pays chrétiens, beaucoup d'hommes et de femmes n'ont pas encore entendu cette proposition. Les gens continuent de penser que le Christianisme est une liste de commandements et de règles, particulièrement strictes dès lors qu'il s'agit de sexualité. Quelle appauvrissement !
Le monde occidental est aujourd'hui "un champ à moissonner". Le projet philophique et théologique de Jean-Paul II est sans doute l'un des principaux outils de cette moisson.
- 1. Gaudium et Spes, 37
- 2. Ep 6,11-12
- 3. cf. Si 15,14 : Au commencement il a créé l’homme, et il l’a laissé dans la main de son conseil
- 4. Dominum et Vivificantem, 37
- 5. Tertullien, Prescription contre les hérétiques, 40 : Le rôle [du Diable] est de pervertir la vérité. [...] Celui qui s'est si jalousement efforcé de reproduire dans les choses de l'idolâtrie les rites mêmes qui servent à administrer les « sacrements » du Christ, celui-là aussi, dans une intention toute pareille, a désiré passionnément et a pu appliquer à une foi profane et rivale les instruments des choses divines et des sacrements chrétiens, en tirant sa pensée de leurs pensées, ses paroles de leurs paroles, ses paraboles de leurs paraboles.
- 6. cf. 1Jn 4,2-3
- 7. CEC 327
- 8. CEC 362-368
- 9. Redemptor Hominis, 10
- 10. cf. Franchir le seuil de l'espérance
- 11. Redemptor Hominis, 10