Rayonnement de la Paternité est la 3ème pièce de théâtre majeure de Wojtyla, après Frère de notre Dieu et La boutique de l'Orfèvre. Comme elles, c'est un théâtre particulier1, dépouillé, où l'action est réduite au stricte minimum pour laisser place à la parole, qui propose une réflexion philsophique.
Qu'est-ce que devenir père ? Est-ce trouver dans son enfant le prolongement de soi ? D'un soi qui, de son côté, se conçoit comme pure autonomie ? Est-ce l'exigence de devoir être tout pour l'enfant à qui l'on a donné l'existence ?
Mettant en scène un monologue d'Adam2, Karol Wojtyla médite sur ce mystère de la paternité :
[...] je ne pouvais pas porter la paternité ; je n'étais pas à la hauteur. Je me sentais totalement impuissant - et ce qui était un don est devenu pour moi comme un fardeau. Je me suis débarassé de la paternité comme d'un fardeau insupportable. En fait, devrais-je être un père ou les gens m'auraient-ils tout bonnement associés pour toujours à l'idée de Père ?
J'ai peur du mot "mien" alors même que j'aime profondément son sens. J'en ai peur parce que ce mot me met sans cesse en face à face avec toi. Une analyse du mot "mien" met ramène toujours à Toi. Et je préférerais renoncer à l'utiliser que de trouver son sens ultime en Toi. Parce que je veux posséder toutes choses par moi-même, et non pas grâce à Toi.
Au bout d'un certain temps, j'en suis venu à comprendre que tu ne voulais pas que je devienne père avant d'être devenu enfant. C'est pourquoi Ton Fils est venu dans le monde. Il est entièrement Tien. En lui, le mot "mien" trouve sa pleine justification ; il peut être prononcé par lui de manière crédible. Sans une telle justification et une telle crédibilité ce mot est un risque - l'amour est un risque également. Pourquoi m'as-tu infligé l'amour qui en moi doit être un risque ? Et maintenant, Ton Fils prend sur Lui tout le risque de l'amour.
Un éclairage sur la théologie du corps
La paternité met Adam face à un choix : celui de la solitude, de l'autonomie du moi ; ou celui de l'amour, risqué car c'est celui de la relation, exigeant car il nécessite de se recevoir d'un Autre. Sur ce chemin, Adam échange avec deux autres personnages : tout d'abord Monica, jeune fille qui a perdu son père.Puis "La Mère", personnage dans lequel je vois avant tout3 l'Eglise :
Je rassemble les personnes qu'Adam a dispersées. Il y a en moi un amour plus fort que la solitude. Cet amour ne vient pas de moi. Bien que je me propose d'en parler, le silence ici exprime davantage que le discours. Les gens habitent une terre qui possède deux pôles. Ils n'ont pas de place permanente ici. Ils vont tous leur chemin, qui les conduit du pôle de la solitude au pôle de l'amour. J'aime Adam, et je restaure constamment en lui la paternité à laquelle il renonce. Je transforme discrètement sa solitude en ma maternité.
Cette pièce propose une méditation profonde sur cette difficulté à nous recevoir du Père. Dans leur lecture de la Théologie du corps, beaucoup interprètent les catégories du « don » - et la difficulté à vivre ce don - uniquement comme des catégories morales. En "déplaçant le problème" hors de la sphère conjugale, la pièce invite à voir la dimension existentielle de cette difficulté, constitutive de l'expérience humaine.
---
C'est cette année que la pièce a été traduite pour la première fois en français. Vous pouvez la commander sur le site de La Procure.