Dans "Aimer en vérité", l'abbé Grosjean livre la matière d'un topo sur la vie affective, destiné à un public de jeunes de 17 à 22 ans et dont un enregistrement a connu un franc succès sur la toile.
On referme le livre (lu de couverture à couverture sans décrocher) avec des sentiments mitigés, car ses grandes qualités ne font que plus regretter ses défauts.
On a aimé :
Un vrai amour des jeunes, que l'on ressent du début à la fin.
Une ligne claire : pour l'abbé, les débuts de l'âge adulte restent un temps de construction de soi, où l'on "prépare" le mari ou la femme que l'on sera appelé(e) à être. Vivre de grandes amitiés, apprendre le don de soi dans le service, sont autant de missions fixées au jeune adulte.
Cet appel sonne juste à une époque où l'âge décroissant de la puberté et l'entrée toujours plus tardive dans la vie professionnelle ouvrent un espace (voire un abîme) entre adolescence et vie conjugale. Cependant, le discours semble parfois assimiler ce choix de la continence à une "période de latence", ce qui serait irréaliste ; ou, quand il tient compte du caractère sexué des personnes, il semble y voir surtout un risque.
Autre qualité : dès le début de son livre, l'abbé invite à dépasser la sincérité comme unique critère de vérité (on peut sincèrement se planter) et amène son lecteur à réfléchir sur la différence entre le sentiment amoureux et le choix de l'amour.
On a regretté :
On aurait aimé, après cette charge contre la sincérité, que l'abbé évoque la possibilité de conquérir - par le développement progressif des vertus - une vraie et juste spontanéité en matière amoureuse.
À défaut, on se retrouve à devoir jeter le soupçon sur le corps et le cœur. L'exigence, en effet, n'est pas tant de suivre une loi morale que de suivre le désir profond de son cœur, en prenant les moyens d'un discernement des mouvements de l'affectivité.
On sait gré à l'abbé de ne pas se contenter de principes et de parler concrètement en proposant quelques moyens pour vivre ce qu'il propose. On aurait toutefois souhaité que ses conseils aux jeunes soient plus orientés sur le développement des vertus et moins sur la "limitation des risques". Même étayées d'exemples, des prescriptions strictement comportementales ("pas trop vite, pas trop près..") ne sont pas à la hauteur de l'enjeu.
L'abbé souligne la difficulté de l'écrit et de la parole publique sur un tel sujet, là où son ministère mène habituellement à un accompagnement plus personnel.
Cette dimension personnelle manque à l'ouvrage : le "jeune de 17 ans" semble pouvoir/devoir l'ouvrir vierge de toute expérience et de toute blessure, sans autre entrave qu'un manque d'éducation qui conduit à des relations trop précoces et que l'abbé viendrait combler.
Or, même à 17 ans, chacun porte déjà des blessures (pas forcément dans le domaine de la sexualité), des craintes qui demandent à être apaisées, etc. qui ne sont pas abordées
Ce parcours (et celui de la personne avec qui il ou elle est en relation) est notamment à prendre en compte pour déterminer les moyens accessibles et nécessaires pour progresser vers un amour réellement conjugal. `
Si l'abbé propose un chemin vers la relation, on perd parfois de vue que les relations sont autant de chemins où l'on grandit et qui construisent, même si l'on s'y blesse parfois.
De ce point de vue, il m'aurait semblé utile de manifester plus clairement la manière dont la miséricorde divine sait rejoindre chacun dans son parcours, même (et surtout) quand il est imparfait.
Le risque est toujours présent d'idéaliser à outrance un modèle de vie où la première relation amoureuse est celle qui mènera au mariage : la peur de l'échec peut alors conduire à refuser d'aimer ! et ce phénomène n'est pas négligeable dans la jeune génération...
So what?
En résumé, cet ouvrage n'est pas dénué de mérite. Il propose une parole claire et qui tranche avec la pensée dominante ; il me semble cependant que sa lecture par un adolescent doit surtout être le moyen d'initier un échange de fond avec un adulte de confiance.